Egérie démocrate égyptienne, revendiquant sa foi musulmane mais le respect de toutes et tous, Buthayna Kamel fait de plus en plus parler d'elle depuis qu'elle a annoncé sa candidature à l'élection présidentielle de 2012. Elle est en première ligne dans les derniers événements de la place Tahrir, à quelques jours des élections législatives du 28 novembre, 2011. En octobre 2011, le photographe Nabil Boutros a suivi cette militante en déplacement dans le pays.
« J’avais rencontré Mme Kamel à plusieurs reprises il y a quelques années. Elle était speakerine et présentatrice de journal à la télévision nationale. A l’époque on ne se connaissait pas très bien, je ne connaissais pas ses engagements politiques. Fin septembre 2011 nous nous sommes rencontrés par hasard avec des amis et j’ai appris qu’elle se présentait aux élections présidentielles. Je ne comprenais pas ce que cela signifiait, car à cette date, les élections présidentielles était plus qu'improbables. J'ai simplement pensé qu'un réel vent de liberté soufflait et que le mur de la peur était tombé. Puis, j'ai appris par d'autres amis et journalistes ses différents engagements politiques alors je lui ai proposé de la suivre au quotidien pour un reportage photo. Quelques mois avant la révolution, elle a défendu des paysans devant être expropriés de leur île, du côté d’Assouan, par un magnat du BTP, et elle a obtenu gain de cause. Ensuite, elle était de toutes les manifestations, en première ligne, risquant plusieurs fois de se faire tuer. J'étais surpris au fur et à mesure que j'apprenais ses engagements et mon admiration pour elle grandissait. Je ne pensais pas qu'elle était aussi engagée, puisqu’elle travaillait à la radio nationale, l’organe officiel, ce qui impliquait - à mon regard - beaucoup de compromissions. Il s’est avéré qu’elle avait démissionné depuis un moment déjà. Faire campagne pour des présidentielles me semblait une idée farfelue, je n'ai pas pu m'empêcher de penser à Coluche, mais j'ai réalisé à quel point cela représente un grand défi en soi. Globalement, elle mène campagne, mais son réel objectif est de sensibiliser sur le fait qu’une femme peut défendre des idées et se présenter à une élection présidentielle, et pourquoi pas être présidente. Son programme n’est pas encore défini, pas plus que les autres présidentiables d'ailleurs, mais elle commence à être sérieusement entourée, j'ai pu le constater. Pour le moment, elle cherche avant tout à défendre le social et les femmes. Evidemment, elle est contre le joug actuel des militaires, leur gestion lamentable des affaires et leurs mensonges contre lesquels les Égyptiens commencent à se lever. Elle a encore été arrêtée lors des récents événements de la Place Tahrir, puis une fois libérée, elle est allée à la morgue soutenir les familles des jeunes tués sur la place. Elle a très peu de chances d’être élue face à des hommes politiques installés comme El-Baradei, Moussa ou les candidats des partis islamistes. Dans la tradition de l’islam, une femme ne peut pas diriger un homme. Les salafistes se plaisent à le répéter, autant que la démocratie est incompatible avec l'islam. L’idée qu’une femme dirige le pays est donc discréditée d’avance. Elle se fait parfois conspuer et injurier, des hommes de main tentent régulièrement de la salir, mais elle est aussi encouragée et soutenue par des hommes de milieux traditionnels, à ma grande surprise. C'est justement là où se situe son combat, que les femmes ne sont pas des personnes de seconde classe, encore moins des objets ! Sa candidature même, si elle est officiellement accréditée est une victoire en soi, au nom des femmes. Elle jouit d'une notoriété grâce à son passé de présentatrice télé, mais sa vraie force, c’est sa présence sur le terrain, là où est l’action. Elle a défendu des gens, socialement comme économiquement. C’est une femme engagée et très courageuse. »
« Je pense qu'elle fait partie de ces femmes qui ont beaucoup étonné en Egypte, parce qu'on les a vu, parce qu'on les a découvertes. Il y a une femme qui vient de se présenter aux élections parlementaires, il y en a même plusieurs. Ce sont des femmes qui étaient aussi en première ligne . Je trouve qu'elles sont très courageuses, surtout dans le milieu ambiant, surtout avec les salafistes qui n'arrêtent de faire monter la pression, qui veulent le pouvoir. »
Buthayna Kamel : la présentatrice devenue activiste.
Née en 1962, Buthayna Kamel est très tôt impliquée dans les mouvements de lutte pro-démocratiques, notamment à l’université. Elle n’aura de cesse, par la suite, de promouvoir la diversité égyptienne, religieuse et ethnique, comme faisant partie entièrement de l’identité culturelle et historique du pays, et de militer pour plus de démocratie. Déjà bien avant la révolution, elle sillonne le pays, d’abord pour raisons professionnelles (une de ses premières émissions de radio, L’Egypte que l’on ne connaît pas, l’a amenée à collecter des bribes de cultures locales), puis pour défendre une multitude de causes sociales et politiques. Activiste, elle l’était aussi déjà du temps où elle travaillait pour les radio et télévision d’Etat, relayant les maux de la société égyptienne dans son émission Confessions Nocturnes, ou encore refusant de lire des informations dont elle n’était pas sûre de la véracité. Elle ira jusqu’à monter Shayfeen.com (nous vous surveillons), un groupe pour contrôler le suivi légal des élections parlementaires de 2005. L’annonce de sa candidature à la présidence égyptienne est donc la suite logique de son engagement d’avant et pendant la révolution égyptienne.
Elections égyptiennes : le calendrier
Après avoir été maintes fois repoussées, les élections législatives en vue de la formation d’une nouvelle Assemblée du Peuple, la chambre basse du pouvoir législatif égyptien, devraient débuter le 28 novembre. Ces élections se dérouleront en 3 temps. Le 28 novembre et le 5 décembre, le vote aura lieu dans les gouvernorats de Basse Egypte. Les 14 et 21 décembre, ça sera au tour des régions du delta du Nil de choisir leurs représentants. Enfin, les 3 et 10 janvier 2012, les électeurs de Haute Egypte voteront. La répartition sera mixte : majorité simple pour deux tiers des 498 sièges à pourvoir, et proportionnelle pour le tiers restant (réservés pour les candidats indépendants). Près de 50 partis et 6500 indépendants vont concourir lors de ces élections. A l’heure actuelle, les sondages indiquent que les partis Liberté et Justice (l'émanation partisane des Frères Musulmans) et le nouveau Wafd (libéraux), allié politiquement à la Confrérie, sont largement favoris. Dans la foulée de l’élection de l’Assemblée du Peuple, un vote en 3 temps pour désigner les 270 représentants de la Shura (la chambre haute) débutera le 22 janvier 2012. Enfin, le processus électoral se conclura dans le courant mars/avril 2012, avec l’élection présidentielle, devant mettre fin au régime militaire de transition.
Nabil Boutros
Nabil Boutros est un photographe franco-égyptien de confession copte. Très attaché à son pays d'origine, il promène son objectif entre Alexandrie et Paris, en passant par Marseille et Le Caire. Il a exposé de nombreuses fois et édité quelques albums, soulignant toujours la diversité et la richesse de l'Egypte.