Fil d'Ariane
Ce mot est désormais sorti des salles de tribunaux pour s'insérer au coeur du débat public sur les violences sexuelles : consentement. Comment le définir, quelles sont ses limites, et pourquoi sert-il le plus souvent à défendre l'agresseur ? Pour la juriste Catherine Le Magueresse, il est temps plus que jamais de rédéfinir pénalement la notion de consentement sexuel. Quand non veut dire non.
De #metoo à #metooinceste, le monde entier bruisse des cris de révolte des victimes de violences sexuelles. De ces femmes et de ces enfants que l’on a dit consentant·es : toutes celles et ceux dont l’agresseur a pu soutenir qu’il croyait en leur assentiment – parce que non , "je ne l’ai pas forcée – et parce que oui, elle était d’accord puisqu’elle n’a pas réagi", "ne s’est pas débattue", "a partagé le secret", "est revenue", "ne s’est pas enfuie"…
Pour Catherine Le Magueresse, juriste, ces arguments sont au cœur de la stratégie de défense classique des agresseurs, ancrée dans la croyance tenace selon laquelle les violences sexuelles sont, au pire, des jeux qui ont mal tourné.
"Aussi impossible ou improbable soit-il, le consentement est quasi systématiquement invoqué par les agresseurs pour effacer les violences sexuelles et les métamorphoser en de simples relations sexuelles. Juridiquement, en effet, le consentement de la victime entraîne l’impossibilité de qualifier les contacts sexuels de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement sexuel. Ceux-ci deviennent alors des relations sexuelles non répréhensibles. D’où l’enjeu de l’invoquer lors des procédures pénales, d’autant que cette stratégie est souvent couronnée de succès devant les tribunaux. Le consentement censé garantir la liberté des femmes d’avoir ou non des relations sexuelles devient alors un piège qui se referme sur celles qui osent dénoncer l’agresseur", écrit la juriste militante dans son ouvrage Les pièges du consentement (Edition iXe, collection racine de 1Xe, 2021).
Selon la juriste, la question du consentement sexuel ne devrait pas se poser : "celui-ci est inexistant du côté de la victime et sans objet du côté de l’agresseur qui, précisément, choisit de s’en passer", explique-t-elle, "Et pourtant, elle se pose dès la plainte au commissariat, puis tout au long de la chaîne pénale jusqu’au procès – quand il se tient, et elle est principalement adressée à la victime".
Celle-ci n’aurait-elle pas, par son comportement ou ses réactions, conduit le mis en cause à penser qu’elle consentait ? N’aurait-elle pas consenti sans pouvoir l’assumer ? Etc... Parole contre parole.
Terriennes : Quelle est votre définition du consentement ?
Catherine Le Magueresse : Le consentement sexuel pour moi c'est quand il y a un désir qui est exprimé, qui est extériorisé et une relation qui est réciproque, dans laquelle les rapports de pouvoir ont été posés de façon à ce que chacun ou chacune puisse dire oui librement, joyeusement et avec désir.
C'est donc le droit de dire oui ou non...
Absolument. Et de dire non sans représailles, bien sûr. Si le choix est limité, parce que je sais que je vais perdre mon travail, ça ce n'est pas un consentement libre.
Ce terme s'est imposé dans le débat public, comment ?
C'est vrai qu'il a été beaucoup médiatisé récemment. Mais dans les procédures pénales pour violences sexuelles, c'est l'argument favori des mis en cause et de leurs avocats. La meilleure défense pour quelqu'un qui est mis en cause pour violences sexuelles est de dire "Mais elle était consentante !" et là, tout s'arrête. Tout d'un coup, on passe du domaine des violences sexuelles à celui des relations sexuelles. Si elle est consentante, c'est une relation, et , le droit n'a rien à voir dans cette histoire... Tout l'enjeu, c'est de mlontrer qu'il n'y a pas consentement. D'ailleurs, les femmes ne disent pas qu'elles n'étaient pas consentantes, elles disent "Je ne voulais pas, il m'a imposé ça, etc", elles, les victimes, n'utilisent jamais ce mot de consentement. Le mot de consentement est vraiment le mot de l'agresseur.
On parle de présomption de consentement comme on parle de présomption d'innocence ?
Il y a une présomption de consentement qui est inscrite en filigrane du droit pénal, liée à la façon dont on a pensé les violences sexuelles, c'est une histoire très longue, pluriséculaire, où finalement toutes les femmes étaient l'objet d'appropriation des hommes. On ne se souciait pas de leur consentement. A priori, nous sommes toutes d'accord - vous pourriez dire tous aussi car cela ne concerne pas que les femmes, mais les statistiques montrent qu'elles sont les victimes majoritaires. Elles sont donc présumées consentantes et cet a priori n'arrive à être inversé que lorsqu'elles arrivent à prouver qu'il y a eu violence, contrainte ou surprise. C'est le texte du droit, la définition du viol ou de l'agression sexuelle. Le fait qu'une femme ait refusé ne suffit pas, il lui faut en plus prouver qu'il y a eu un de ces quatre éléments.
Qu'est-ce que cela veut dire ? C'est tout de même incroyable ! Cela veut dire que je dis "non" mais mon "non" ne suffit pas ? Il faut que cela soit corroboré par une violence, contrainte ou surprise. Et ça cela traduit là aussi une défiance là aussi pluriséculaire à l'égard des femmes, de leur parole. Cette parole en tant que telle ne suffit pas, il faut qu'elle soit étayée par un autre élément dit objectif.
On le voit d'ailleurs avec les affaires actuelles. Une victime ne suffit pas, mais à partir de trois, on commence à prendre la chose au sérieux et à se dire qu'il s'est peut-être passé quelque chose. On voit, alors qu'elles ne se connaissent pas, à quel point leurs récits sont les mêmes sur le mode opératoire de l'agresseur. Et il va recommencer, car il est dans l'impunité, et s'il s'organise suffisamment bien, il s'en sortira aussi si on parie sur le silence des femmes qui n'iront pas jusqu'à porter plainte.
De quels moyens, quels outils les femmes disposent-elles pour prouver leur non-consentement ?
La jurisprudence le dit : le seul non-consentement résulte de violence, contrainte ou surprise. C'est un droit qui est plutôt partial, s'il ne l'était pas, la parole des femmes aurait une validité en tant que telle. Et qui favorise le système de défense de l'agresseur. Par exemple, face à une femme qui est sidérée, l'agresseur n'a pas besoin d'utiliser la violence, elle est totalement paralysée, et il pourra la violer sans avoir besoin d'une violence supérieure à celle du viol, qui est en soi une violence, faut-il le rappeler.
C'était le même régime légal qui était appliqué au mineur jusqu'à la loi du 21 avril 2021. Pour un enfant, il fallait aussi prouver violence, contrainte ou surprise.
On voit bien l'abbération du système. C'est à dire qu'un enfant de 6 ans devait aussi prouver qu'il y avait une contrainte exercée contre lui. Alors qu'on voit bien le rapport de pouvoir adulte-enfant. Ce qui parait absolument choquant pour un mineur, c'est le même régime qui est applicable au majeur, les adultes peuvent aussi se retrouver dans un état de sidération, d'emprise, de contrainte, sans pouvoir réagir. On attend des victimes qu'elles réagissent, là aussi c'est encore une idée reçue. On entend souvent dire "mais pourquoi n'est-elle pas partie, ne lui a-t-elle pas mis une claque ?"
Plutôt que de s'intéresser aux agissements de l'agresseur, on s'intéresse à la réaction de la victime. C'est à elle de savoir réagir, de résister. Cette obligation de résistance elle est encore inscrite dans notre droit, quand on ouvre le code pénal, on ne voit pas le mot résistance, mais quand on regarde la jurisprudence, on voit bien que le terme résistance apparaît régulièrement. En gros, ça veut dire : "Il n'a pas compris qu'elle n'était pas d'accord, puisqu'elle n'a pas résisté". Et là on passe sur le mode intentionnel. Que peut-être il a exercé des violences, mais comme elle ne disait rien, il pensait donc qu'elle était consentante.
Au cours des dix dernières années, quel a été le moment clé mettant le consentement au premier plan ?
Ce que #metoo a permis, et qui est absolument fondamental, c'est que, maintenant, des magistrats qui étaient choqués par la défense des agresseurs, le disent et posent des questions plus audacieuses. Car ils peuvent appliquer le droit d'une façon plus restrictive ou d'une façon un peu plus éclairée et humaniste. Or le respect du consentement de l'autre n'est autre qu'une forme de relation humaine. Ces magistrats seront confortés dans leur capacité à juger différement et à faire bouger la jurisprudence vers quelque chose de moins sexiste, de moins biaisé en faveur des agresseurs.
Les victimes, elles, sont renforcées dans leur capacité à nommer les choses. Le viol conjugal, pour beaucoup de femmes, ne s'appelait pas du viol conjugal. C'était normal, c'était le devoir conjugal. Il y a eu tellement de récits sur ce sujet que les femmes ont peut-être pris conscience que leur "non" avait une signification. Il veut dire qu'elle n'a pas envie et doit être respecté. Les victimes sont désormais renforcées dans le rapport de pouvoir avec leur compagnon, leur agresseur, leur employeur...
Les verdicts ont-ils évolué ?
Les pénalités sont encore très faibles. Je vois encore des viols, qui devraient être jugés en Cour d'Assises, traités comme des délits en correctionnelle - donc pas les mêmes peines, pas les mêmes règles de prescription, pas la même reconnaissance... Il faut bien sûr mettre cette situation en parallèle avec les conditions de travail des magistrats : si beaucoup d'affaires sont "correctionnalisées", c'est aussi parce que la justice n'a pas les moyens de les traiter aux Assises. C'est une volonté politique.
Certes, le gouvernement a commencé à financer la formation des policiers, mais on entend encore des horreurs. Il y a trois jours, une amie m'a raconté l'agression sexuelle qu'elle avait subie dans l'espace public. On lui a demandé ce qu'elle portait - un jean - alors était-il serré ? Comment est-ce possible que des policiers puissent encore poser ces questions en 2021 à une femme qui vient dénoncer une agression sexuelle commise sur la voie publique par un inconnu ?
Rendez-vous dans dix ans : que peut-on espérer au cours des dix prochaines années ?
Une réforme complète du droit français pour inscrire dans la loi pénale une définition du consentement positif, à l'instar de ce qu'a pu faire le Canada - le premier pays, en 1992, à changer sa législation - qui a été suivi par une quinzaine d'autres pays, dont la Suède, en 2018, et en ce moment, l'Espagne, qui est en train de modifier son droit pénal.
Poser une définition du consentement positif, cela veut dire que l'on poserait dans le code pénal que "non" veut dire "non", que "oui" n'est valable qu'exprimé librement, donc indépendamment de tout rapport de pouvoir préexistant, que l'on doit s'assurer du consentement positiof libre, librement exprimé et extériorisé de l'autre. Le Code criminel canadien parle de "mesure raisonnable", qui déconstruit complètement le "qui ne dit mot consent" qui prévaut en France. Car qui ne dit mot ne consent pas, quand on dit "non" c'est "non" et tant qu'on a pas dit "oui", c'est encore "non".
Juridiquement, nous sommes obligés de le faire puisque nous avons ratifié la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe sur les violences dont l'article 36-2 définit le consentement comme l'accord volontaire donné en tenant compte des circonstances environnantes - la contrainte économique, par exemple, si un employeur menace de représailles une employée pour la forcer à céder.
Que répondez-vous à ceux qui dénoncent les excès - comme cette application, aux Etats-Unis, par laquelle les hommes doivent s'assurer que leur amie est d'accord ?
Si j'ai très soif et que vous tenez une bouteille, je ne vais pas me jeter dessus parce que j'ai très soif. Donc, oui, on va demander. Nous parlons là de relations humaines extrêmement intimes, dont on connait l'impact quand elles sont pas désirées. Pour tout humain à peu près respectueux son prochain, il y a des précautions minimales à respecter. Car les conséquences des violences sexuelles sont dramatiques, traumatisantes et qu'un homme normalement constitué n'a pas envie d'imposer ces traumatismes.
Le souci du bien-être fait partie d'une sexualité saine - je ne vois pas où est l'excès. Et puis nous sommes encore tellement loin de ce type d'éducation-là, de ce type de relations, que nous ne sommes pas prêts de tomber dans le surcroît d'attention ! Je serais ravie que l'on tombe dans l'excès inverse, mais cela fait trente ans que j'entends cet argument de la part de ceux qui veulent conserver leur droit d'appropriation. Et pourtant, il va falloir qu'ils se fassent à l'idée de perdre leurs privilèges, parce que c'est le sens de l'histoire.