Samedi 6 juillet 2013, un train fou chargé de pétrole déraille dans la petite ville de Lac-Mégantic, au Québec - une catastrophe sans précédent dans l'histoire du Canada. Depuis, la mairesse, Colette Roy-Laroche, gère la situation avec une sensibilité et une énergie qui impressionnent. Une semaine après le drame, elle raconte comment elle l'a vécu et parle de ses projets pour sa ville.
L'explosion de 72 wagons-citernes de 100 tonnes de pétrole chacun a fait 50 morts, soufflé une trentaine de bâtiments, dont la bibliothèque et de nombreux commerces, et forcé l'évacuation d'un tiers de la commune, soit 2000 personnes. En apprenant l'insoutenable, Colette Roy-Laroche a accusé le choc. Et puis devant le désarroi de ses concitoyens, très vite, ce petit bout de femme de 69 ans a relevé la tête. Inépuisable, elle soutient, gère, aide, mobilise... Entretien avec une femme révélée par la crise.
Comment avez-vous réagi en apprenant le drame ?
Lorsque j'ai été informée d'une explosion au centre-ville, par téléphone à 1h25 du matin, j'ai tout de suite su que c'était grave, connaissant la nature dangereuse des matériaux. Je suis sortie accompagnée de mon mari et me suis approchée le plus près possible. En descendant la rue, je voyais tous les gens sortir de chez eux, paniqués, en pleurs. A chaque fois qu'un conteneur explosait, un nuage de feu s'élevait. Le ciel était rouge de feu. Et puis le bruit des sirènes de la police, des pompiers, des ambulances s'est mêlé au chaos. C'était épouvantable. Jamais nous n'avions vécu quelque chose de semblable.
Quelques heures plus tard, tous les intervenants se sont réunis au poste de la sûreté du Québec. Puis les ressources extérieures nous ont rejoints pour convenir d'un plan d'action. Nous recevions constamment de nouvelles informations... un nouveau secteur incendié, encore un nouveau bâtiment en feu, le pétrole gagne le lac, le lac en feu... J'ai cru que ma ville allait brûler.
Toute la nuit, je suis restée assez solide, mais quand je me suis présentée devant ma population, au matin, pour prendre la parole, j'ai senti l'émotion monter. Quand j'ai réalisé que j'étais sur le point de montrer ma peine - et, oui, aussi un peu de désarroi - j'ai réagi presque instantanément. Je ne me souviens pas de ce que j'ai dit aux autres, mais je me souviens de ce que je me suis dit à moi-même : "Non ! Je suis devant les gens qui m'ont élue parce qu'ils avaient confiance en moi. C'est moi la mairesse de Lac-Mégantic. Il faut qu'ils sentent qu'ils ont un maire capable de les soutenir." Depuis onze ans, je pense avoir toujours manifesté calme et sérénité, même dans les dossiers les plus chauds et controversés. J'ai toujours été capable de rassembler tout le monde. Ce jour-là, il fallait que la mairesse se tienne debout, qu'elle soit courageuse, pour que tous, ensemble, nous puissions vivre ce deuil le plus sereinement possible, et surtout s'en relever.
Qu'est-ce qui vous a permis de tenir ?
Je crois que c'est dans ma nature d'être une personne calme qui ne panique pas devant une situation. Et puis il y a eu le soutien moral, les messages de solidarité qui me sont parvenus de mes concitoyens, du Québec et du monde entier. C'est autant d'énergie que je reçois. C'est très difficile à expliquer, mais je sens cette énergie qui me donne la force de poursuivre. Jamais je n'aurais soupçonné être capable de gérer cette crise-là de cette manière-là. La ville a un plan d'urgence, certes, mais ça reste théorique. Quand la catastrophe arrive, ce sont nos capacités personnelles qui prennent le dessus.
Pensez-vous gérer la crise différemment en tant que femme ?
Je pense que oui. C'est aussi ce que me disent les femmes du Québec dans leurs messages. Je crois que la différence se situe sur l'équilibre entre sensibilité et gestion des réalités concrètes. Les équipes avec qui je travaille, les gens que je rencontre, me disent que je traite ce dossier avec beaucoup d'humanisme. En même temps, je planifie, j'organise, je gère.
Rien que parmi le personnel de la ville, nous avons des personnes très touchées, qui ont perdu des proches. Les gens sont devenus très émotifs, en même temps qu'ils étaient sursollicités. Les premiers jours ont été très difficiles pour eux et entre eux. Dans ce tourbillon, l'une de mes principales préoccupations a été de mettre en place un support psychologique pour préserver l'harmonie entre les gens. Nos collègues qui ont eu des difficultés ont été aidés par des psychologues et des travailleurs sociaux. Ce matin, quand je les ai vus revenir, je les sentais bien dans leur tête, bien dans leur corps.
Comment Lac-Mégantic va-t-elle se remettre ?
Le centre-ville était un très beau secteur, que nous avions revitalisé ces dix dernières années. Aujourd'hui, il est détruit, et complètement détruit. La reconstruction sera très longue. Jour après jour, la sécurité civile ou le ministère de l'Environnement découvre l'ampleur des dégâts. Les deux prochaines années seront difficiles, car il nous faudra en même temps faire fonctionner les services habituels et se mettre à la table à dessin pour réinventer notre centre-ville.
La première année sera consacrée à la planification et aux opérations de décontamination. Pour l'instant, nous n'avons pas accès au périmètre sinistré, réservé aux enquêteurs et à la recherche des corps. Ensuite, il va falloir évacuer les citernes. Chaque jour, les délais s'allongent à cause de la difficulté des opérations. Mais entre-temps, nous pouvons commencer à planifier. Commerces et services sont déjà en partie relocalisés, mais ce n'est que temporaire. Le plus rapidement possible, nous devons réunir une équipe d'urbanistes, d'ingénieurs, d'architectes, de représentants de la communauté d'affaires et de la municipalité.
Quel centre-ville voulons-nous ? Un secteur qui rassemble à ce que nous avions, et qui datait du début de Lac-Mégantic, voici 125 ans ? Voulons-nous changer de style, d'architecture ? Je voudrais démarrer le plus tôt possible la définition du concept. Dans un an, on devrait être capable de recommencer à construire - c'est en tout cas ce qu'on pense aujourd'hui.
Personnellement, je souhaite à ma ville un cachet semblable à celui que nous avions. Mais ce que je souhaite plus encore, c'est un consensus dans la communauté. Je veux que nous conservions la belle énergie et la mobilisation que nous connaissons actuellement. Je veux conserver cette participation citoyenne pour la reconstruction. Tout le monde pourra donner sa vision. Après, il faudra dégager un projet commun et partagé.
Comment allez-vous vous remettre ?
Je ne suis pas très inquiète pour moi-même. Une semaine après la catastrophe, je suis dans l'action. J'ai toujours été une femme d'action, à la fois patiente et déterminée, d'après ce que l'on me dit. Aujourd'hui, je me sens capable de faire face à ce qui nous attend.
La question de ma position s'est rapidement posée, puisque les élections municipales sont programmées pour le 3 novembre 2013 dans tout le Québec. J'avais déjà annoncé que je cédais ma place, mais aujourd'hui, à la demande de mes citoyens, j'en suis à reconsidérer ma décision. A vrai dire, nous venons de demander au gouvernement de la province de différer les élections de deux ans dans notre ville vu la situation, et de laisser le conseil actuel en poste pour nous permettre de lancer la reconstruction. Sinon, je ne vois pas comment nous pourrions mener une campagne électorale sans paralyser nos projets. Quoi qu'il advienne, je serai là, comme citoyenne ou comme mairesse.
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