Canada : début de l’enquête nationale sur les assassinats de femmes autochtones

Ce moment, elles l’attendent depuis tant d’années … Elles, ce sont les familles des milliers de femmes autochtones qui ont disparu ou qui ont été assassinées au Canada au cours des 30 dernières années… Et ce moment important, c’est le début officiel, le 1er septembre 2016, des travaux de l’enquête nationale chargée de faire la lumière sur ces meurtres et ces disparitions inexpliqués.
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amérindiennes disparues
Au Canada, près de 1200 femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées entre 1980 et 2012
Association des femmes autochtones du Canada - https://nwac.ca/
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C’était une promesse électorale du Premier ministre Justin Trudeau : moins d’un an après son accession au pouvoir, les enquêteurs se mettent au travail…

Un mandat de deux ans

Cette enquête nationale est présidée par une juge autochtone de la Colombie-Britannique, Marion Buller. Elle sera assistée par quatre commissaires : Qajaq Robinson, Marylin Poitras, Brian Eyolfson et Michèle Audette, ex-présidente des femmes autochtones du Québec qui a aussi été présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada et candidate libérale défaite aux dernières élections.

Dans un premier temps, les Commissaires vont se réunir à Vancouver afin d’établir le plan de match de cette enquête, ses objectifs, sa mission et les orientations à donner à leur travail. « C’est la première fois que nous sommes réunis tous les cinq ensemble, a expliqué Michèle Audette lors d’une entrevue au Réseau de l’Information de Radio-Canada. On a tous une idée de par où on veut commencer mais là, on va en discuter entre nous ». Avant le lancement officiel de l'enquête la "commissaire" Michelle Audette avait aussi confié qu'une enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées pourrait coexister avec une enquête distincte pour le Québec, estime la commissaire Michèle Audette. La chose serait « envisageable » si deux enquêtes menées en parallèle poursuivaient des « objectifs différents », ce qui pourrait éviter aux victimes et à leurs proches d’avoir à partager leurs histoires deux fois plutôt qu’une. « Si les deux enquêtes font le même travail, c'est coûteux, humainement parlant (témoigner deux fois). Mais si ce sont des enquêtes avec des objectifs différents et bien précis, ce sont des choses qu'on va devoir discuter. »


Les premières auditions devraient commencer en décembre 2016. La Commission pourra assigner des témoins à comparaître et exiger des documents en preuve, mais elle ne pourra pas porter d’accusations au criminel ou au civil, toute nouvelle information récoltée sur un des cas de meurtres ou disparitions devra être transmise aux policiers.

Michele Audette
Michèle Audette, ex-présidente des femmes autochtones du Québec qui a aussi été présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada et candidate libérale défaite aux dernières élections.
Radio Canada

Et c’est là que le bât blesse : car le travail des policiers a été vivement critiqué dans ces enquêtes, surtout par les familles des victimes qui estiment qu’ils n’en font pas assez pour retrouver les femmes disparues ou mettre la main sur leurs assassins, justement parce qu’elles sont autochtones et que donc elles comptent moins que le reste de la population. Les communautés autochtones vont donc devoir s’en remettre en bout de ligne aux forces policières du pays. « On ne peut pas faire la job de la police, par contre on peut enquêter sur leur travail » a justifié Michèle Audette.

Le début d’un long processus


Et cette Commission d’enquête, qui a été tant réclamée, va pouvoir se pencher sur la problématique endémique de la violence faite aux femmes autochtones, les conditions socio-économiques des communautés autochtones, les services d’aide à ces communautés, et le travail fait par les policiers auprès de ces populations.
Bien sûr, elle soulève beaucoup d’espoir, tant pour les familles des victimes, que pour l’ensemble des communautés autochtones. « Nous sommes redevables à notre communauté, a précisé Michèle Audette, nous devons nous assurer d’aider les familles des victimes mais aussi de relancer le processus de recherches de ces femmes disparues et j’espère que nous aurons la collaboration des autorités des provinces du Canada pour ce faire ».

Ce geste, je le fais pour ma nièce
Michelle Audette

Michèle Audette, Innue d’origine de par sa mère, milite depuis des années pour la mise en place de cette enquête nationale. Elle a été personnellement touchée par ces drames quand sa nièce a été portée disparue, pour finalement être retrouvée. « J'espère que les gens vont comprendre que mon geste, je le fais pour ma nièce, qui a déjà été enlevée - qui est retournée à la maison, mais qui fait donc partie des survivantes - et pour toutes les familles au Canada. »

Alors quand elle a été nommée Commissaire en août 2016, elle n’a pas caché sa très grande émotion d’avoir été choisie pour mener ce défi.
« Je vais être fière en 2018, à la fin de cette enquête, si je sens qu’à partir de ce soir les gens, les gouvernements, les ordres professionnels contribuent à cette commission et nous donne les recommandations nécessaires pour faire ce changement-là, qu’on adhère dès le départ à ce grand exercice que j’appelle un projet de société. J’espère que cette enquête-là va aussi servir d’éducation populaire pour le 96% des gens qui n’ont peut-être pas été sensibilisés de près à ces tragédies-là » conclut Michèle Audette, qui se dit très impatiente de se mettre au travail.

Cette enquête dispose d’un budget de près de 54 millions de dollars et elle a deux ans pour rendre un rapport final dans lequel elle pourra émettre des recommandations.
 

L'enquête nationale sur les disparitions des femmes autochtones en quelques chiffres

Budget prévisionnel de 53,8 millions de dollars canadiens,
Travaux menés par 4 femmes et 1 homme, tous issus des premières nations et spécialistes du droit autochtone, magistrats avocats militants
Les Amérindiennes constituent 4,3 % du pays mais 11% des disparues et 16% des tuées entre 1980 et 2012, soit plus de 1200 femmes.
Sur 44% des meurtriers 16% sont des connaissances ; 15% des étrangers ; 13% des tueurs en série ; le reste la famille. (Source Toronto star décembre 2014)
Selon Emmanuelle Walter auteure de Sœurs volées enquête sur un féminicide au Canada, "nier le lien entre la violence conjugale et la violence extérieure c'est nier le racisme systématique que subissent ces femmes. Leur surreprésentation a pour racine la colonisation encore en cours."
Melissa Mollen Dupuis cofondatrice du mouvement Idle No More au Québec renchérit : "le corps autochtone est souvent vu comme un corps sexualisé qui peut s'acheter ."