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Tout commence en octobre 2014 quand CBC annonce que son animateur vedette, Jian Ghomeshi, devait prendre une pause pour régler des problèmes personnels. Deux jours plus tard, la Société d’État annonce qu’elle met fin au contrat de l’animateur. Jian Ghomeshi publie alors sur Facebook un long message dans lequel il reconnaît aimer et pratiquer le « sexe brutal », autrement dit des pratiques sadomasochistes, mais TOUJOURS avec le consentement de ses partenaires et il affirme qu’il a été congédié à la suite d’allégations qui sont fausses.
On apprend par la suite que la police de Toronto a ouvert une enquête parce que deux femmes avaient porté plainte contre lui. Le 26 novembre 2014, il est accusé de quatre chefs d’accusation pour agressions sexuelles et d’avoir vaincu "la résistance par étouffement". Une troisième femme porte plainte contre lui quelques semaines plus tard. Il est libéré sous caution avec ordre d’aller vivre chez sa mère en attendant la tenue du procès.
En parallèle, un mouvement s’emballe sur les réseaux sociaux : sur twitter, des milliers de femmes avouent avoir subi, elles aussi, des agressions sexuelles qu’elles n’avaient pas osé dénoncer jusqu’à maintenant. Sous le mot-clic #BeenRapedNeverReported, qui sera #AgressionNonDénoncée en français, les témoignages se multiplient, une lame de fond qui va soulever dans tout le Canada la problématique de ces milliers de femmes qui subissent ou ont subi des agressions sexuelles et qui n’ont jamais osé ou voulu porter plainte parce que le système de justice ne leur serait pas « favorable » ou parce que leurs témoignages, devant une cour ou non, sont, plus souvent qu’autrement, accueillis avec scepticisme. Il semble bien que le procès Ghomeshi va illustrer de nouveau cette problématique qui est loin d’être résolue…
Relire sur Terriennes notre article :
> Agressions sexuelles au Canada : les Canadiennes brisent le mur du silence
Car c’est la stratégie de la défense dans ce procès : miner au maximum la crédibilité des témoignages des trois plaignantes afin d’instaurer dans l’esprit du juge qui devra trancher le fameux doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé.
Une stratégie mise en application dès les premières heures du procès par l’avocate de Jian Ghomeshi, Me Marie Henein, l’un des meilleurs avocats criminalistes du Canada, qui a plaidé dans plusieurs autres causes célèbres ici et qui a la réputation d’être redoutable et sans quartier.
Une réputation visiblement qui ne sort pas de nulle part : elle a littéralement taillé en pièces le témoignage de la première plaignante appelée à la barre en relevant des contradictions et des incohérences dans ce qu’elle avait raconté aux médias et aux policiers relativement à son histoire avec Ghomeshi. Une histoire qui remonte à décembre 2002 et janvier 2003 … la femme a raconté comment elle avait rencontré l’accusé, comment il lui avait paru charmant et gentleman, jusqu’à ce que, présument, il lui tire violemment les cheveux et lui donne des coups de poing à la tête alors qu’elle se trouvait chez lui. Elle n’a pas voulu porter plainte à l’époque car elle croyait que personne ne la croirait, mais elle a décidé de raconter son histoire aux médias en octobre 2014 après les révélations de Jian Ghomeshi sur Facebook. Et de porter plainte à la police par la suite.
Sur les réseaux sociaux, la tournure du procès provoque de nouvelles poussées de solidarité, comme celle ci-dessous de l'écrivaine Laurie Petrou : "Il faut une énorme quantité de courage à ces femmes pour qu'elles témoignent. Et elles seront encore en état de choc. Solidarité."
It takes a huge amount of courage for these women to testify. It's like going into shock over again. Solidarity. #JianGhomeshi
— laurie petrou (@lauriepetrou) 5 Février 2016
Ou cette autre, femme de foi, la révérente Victoria Weinstein qui lance "Mes prières pour donner de la force aux femmes lors des contre interrogatoires dans le procès du prédateur abuseur"
My prayers for strength to the women being cross-examined in the trial of predatory abuser #JianGhomeshi. #ListenToWomen
— Victoria Weinstein (@peacebang) 5 Février 2016
Lors du contre-interrogatoire, l’avocate de l’accusé a insinué que la plaignante était en fait déçue que Jian Ghomeshi se soit détourné d’elle après leurs deux rendez-vous galants. Me Henein a ressorti deux courriels envoyés par la plaignante à Jian Ghomeshi après les deux rencontres dans lesquels elle lui renvoie ses coordonnées en lui demandant de reprendre contact avec elle. Elle lui envoie aussi une photo d’elle en bikini. « Vous invitiez l’homme qui vous avait traumatisée à reprendre le contact avec vous ? » a demandé l’avocate… La plaignante a argué qu’elle avait tenté de l’appâter pour le confronter. Elle est ressortie complètement dévastée de ce contre-interrogatoire.
Le juge William Horkins, qui préside ce procès, va devoir trancher une question délicate : qu’est-ce-que le consentement dans une relation sexuelle ? Quand commence-t-il et où s’arrête-t-il si les deux partenaires pratiquent des jeux sexuels hors norme disons ? Ces trois femmes qui ont porté plainte étaient-elles réellement consentantes à subir ce « sexe brutal » comme le qualifie l’accusé et comme il le soutient ?
« Je vais me concentrer sur ce qui se passe dans cette salle de cour » a dit le juge en ouvrant ce procès hyper médiatisé qui devrait durer entre deux et trois semaines. Jian Ghomeshi a plaidé non coupable. Quel que ce soit le verdict, il devra subir un autre procès, également pour agression sexuelle, en juin 2016.