Fil d'Ariane
Durant la campagne électorale, Justin Trudeau s’y était engagé : nommer autant d’hommes que de femmes dans son cabinet. Il y a donc 15 femmes ministres et plusieurs dans des ministères importants (même si les Finances, les Affaires étrangères ou la Défense restent dans des mains masculines) : environnement, justice (Jody Wilson-Raybould, une avocate de 44 ans, première femme autochtone à occuper ce poste d’ailleurs), commerce international, sciences, revenu, et la Francophonie. Des femmes d’expérience aux cv longs comme le bras et expertes dans leurs domaines dont plusieurs vont devoir piloter des réformes majeures au cours des prochains mois. C’est la première fois dans l’histoire du Canada qu’on présente une telle parité. Le Premier ministre en réponse à un « pourquoi » d’un journaliste, a simplement répondu : « parce que nous sommes en 2015 ».
Il faut que cela devienne une règle démocratique
Voilà une nouvelle qui réjouit la journaliste et féministe québécoise Pascale Navarro qui vient de publier un livre sur ce thème « Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité » : « C’est très favorable, je suis super contente, confie-t-elle en entrevue au lendemain de l’assermentation du nouveau Premier ministre. Je trouve ça très bien et qu’il y ait une telle diversité aussi au sein de ce gouvernement, MAIS pour moi ce qui est important c’est que ça devienne une règle parce que Justin Trudeau l’a fait maintenant mais dans 4 ans, on change de gouvernement et puis voilà c’est fini. C’est bien qu’il en fait un argument, qu’il ait démontré que c’était un projet de son gouvernement de prouver la valeur qu’il accorde à l’égalité mais si c’est le cas, il faut qu’il aille plus loin et qu’il légifère à ce propos, que cela devienne une règle démocratique. C’est l’institutionnalisation de la règle qui est importante ».
C’est exactement ce qu’explique Pascale Navarro dans son essai. « A mes yeux, la parité est la transposition sur la scène politique de l’égalité hommes-femmes » écrit-elle dans les premières lignes de cet essai. La journaliste, qui n’en est pas à son premier ouvrage féministe, avoue d’entrée de jeu qu’elle est favorable à l’imposition de quotas de genre afin d’assurer l’équilibre de représentation entre les hommes et les femmes dans les institutions politiques.
Elle fait tout d’abord le constat que le taux de députation des femmes à la Chambre des Communes à Ottawa et l’Assemblée nationale du Québec stagne depuis plusieurs années. Aux élections d’avril 2014 au Québec par exemple, 34 femmes sur 125 députés ont été élues, soit un peu plus de 27% (en France, elles sont 26%). Pascale Navarro en vient donc à la conclusion qu’il est nécessaire d’établir des règles contraignantes pour obtenir un jour la parité (comme au Rwanda où les élues représentent 64% du Parlement).
A relire dans Terriennes :
> Les Rwandaises en ligne directe (de bus) avec leur Parlement
Elle s’étonne que les femmes entrées en politique soient si réticentes à cette solution qui serait, en quelque sorte, un mal nécessaire. Et elle déplore le fait que la question de la parité en politique ne soit pas au centre des priorités des organismes féministes québécois.
« Pouvons-nous reconnaître la légitimité de décisions pour lesquelles près de 50% de la population n’est pas représentée ? » s’interroge Pascale Navarro dans son livre. Effectivement, la question se pose… par exemple, les politiques d’austérité menées par de nombreux gouvernements occidentaux ont un impact direct sur le quotidien des femmes qui sont parmi les plus pauvres dans nos sociétés. Ces politiques seraient-elles les mêmes si les gouvernements comptaient autant de femmes que d’hommes ? Ces femmes pourraient-elles influer sur ces politiques afin d’en atténuer les effets sur leurs congénères ?
A relire dans Terriennes :
> Québec : inégalité entre les sexes, dans l’austérité comme dans la relance
La journaliste prend plaisir à déboulonner plusieurs mythes sur la parité : la parité ne serait pas nécessaire car les femmes peuvent très bien être représentées par des hommes, les quotas discréditent les femmes, et les quotas électoraux sont une forme de favoritisme politique. Et pour répondre à ces préjugés, elle cite en exemple de nombreux pays qui ont mis en place des quotas de genre pour augmenter la représentation des femmes en politique.
« Se demander, dans le Canada et le Québec de 2015, s’il est important de faire la parité dans les instances décisionnelles est une question dépassée. Il faut plutôt se demander comment faire pour que les femmes intègrent les partis et soient plus nombreuses à se présenter comme candidates » affirme la journaliste.
Pascale Navarro estime également que ce combat en faveur de la parité doit se mener en collaboration avec les hommes, même si l’idée est loin de faire des heureuses chez de nombreuses féministes. Cette approche d’inclusion des hommes dans la démarche est également prônée par la campagne #HeforShe par ONU femme qui a pour porte-parole la jeune actrice Emma Watson.
A relire dans Terriennes
> HeForShe, une campagne déclinée au masculin féministe
« Selon moi, les femmes ne sont pas assez nombreuses dans les instances où se prennent les décisions : il faut qu’elles soient présentes non pas pour exercer une influence, mais pour contribuer aux décisions, modeler la politique et pourquoi pas, inventer. Atteindre la mixité dans nos instances sera la seule façon d’y arriver » conclut la journaliste dans son plaidoyer.
Quand on donne la justice à une femme autochtone, on prend position
Pascale Navarro croit que le nouveau gouvernement Trudeau ouvre une ère d’espoir et de changement : « parce qu’on fait un bout de chemin quand on voit ce cabinet et qu’on en comprend les raisons, précise-t-elle, on comprend aussi ce que c’est que représenter, on comprend pourquoi on choisit des gens, ça sort pas d’une boîte à surprises, quand on donne la justice à une femme autochtone, on prend position, on est en train de dire : on a un problème avec les femmes autochtones, avec les premières nations, et nous allons placer quelqu’un qui connait le sujet, qui provient de ce milieu-là, et qui va avoir un autre point de vue… donc l’important ce sont les points de vue et c’est ça qui est intéressant, on a une variété de points de vue au sein de ce cabinet. »
La représentation parlementaire des femmes au Canada, en chiffres
Aux élections fédérales qui se sont tenues le 19 octobre dernier, la proportion de femmes parmi les candidats des quatre principaux partis politiques était la suivante : 19% pour le Parti conservateur, 28% au Bloc Québécois, 31% pour le Parti libéral, 43% pour le Parti Nouveau Démocratique. Au total, quelque 500 femmes se sont portées candidates, tout parti confondu.
Sur les 338 députés élus à la Chambre des Communes, 88 sont des femmes, soit 26%. Et c’est le Parti libéral (de Justin Trudeau) qui a le plus d’élues, 50 au total. 15 d’entre elles sont donc devenues ministres.
Le Canada et le Québec sont respectivement à la 48ème et 44ème place en matière de représentation féminine dans les Parlements selon l’étude Les femmes dans les parlements menée par l’Union interparlementaire et mise à jour en septembre 2015.
When new Canadian PM Justin Trudeau was asked why he chose to appoint women to 50% of his cabinet, he had a simple reply: "Because it's 2015." http://nbcnews.to/1SonTeH
Posté par NBC Nightly News with Lester Holt sur mercredi 4 novembre 2015