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Canada : vers une criminalisation du contrôle coercitif ?

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Femme violence familiale

Le nouveau ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, a récemment réaffirmé l’ouverture d’Ottawa à criminaliser le contrôle coercitif, qui est souvent présent dans les contextes de violence conjugale et familiale.

© Radio Canada / Ivanoh Demers
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Introduire le contrôle coercitif au Code criminel peut-il vraiment avoir un impact pour prévenir les féminicides et les filicides ? La question se pose au Canada depuis qu'Ottawa a avancé l'éventualité de le criminaliser.  

Le nouveau ministre fédéral de la Justice, Arif Virani, a récemment réaffirmé l’ouverture d’Ottawa à criminaliser le contrôle coercitif, qui est souvent présent dans les contextes de violence conjugale et familiale.

Un nouveau drame familial au Québec

La question de la criminalisation du contrôle coercitif a refait surface ces derniers jours au Québec, après un nouveau drame familial survenu près de Joliette, dans Lanaudière. N’acceptant pas la séparation avec sa conjointe, Ianik Lamontagne a tué leurs jumeaux de trois ans avant de s’enlever la vie. Deux jours plus tôt, il avait été arrêté puis relâché par les policiers sous promesse de comparaître en cour. Sa conjointe avait porté plainte contre lui après avoir découvert un micro dans la maison et un système GPS sous son véhicule.

Selon Stéphane Pouliot, avocat en droit familial, ce type de gestes visant à contrôler et à surveiller une autre personne sont très fréquents, particulièrement dans les cas de séparation et de divorce.

"C’est le quotidien en droit de la famille, les gens qui essaient de suivre l’ex-conjoint, ex-conjointe, ou même durant la vie commune. L’extrême s’est passé dans ce dossier-ci. Mais c’est très présent et quelque chose doit être fait par la société et par le gouvernement pour protéger ces personnes", a-t-il affirmé en entrevue à l’émission Les faits d’abord.

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[Saviez-vous que tous les six jours au Canada, une femme est tuée par son partenaire intime ? Ce nombre ne cesse d’augmenter et entre 2018 et 2022, il y a eu davantage de féminicides chaque année par rapport à l’année précédente.]

Des comportements à risque

Le contrôle coercitif regroupe plusieurs types de comportements qui accompagnent souvent la violence physique, psychologique et sexuelle à l’intérieur d’une famille ou d’un couple.

La victime se sent à la merci de son tortionnaire et sent qu’il n’y a pas d’issue. On pense au contrôle économique, à une surveillance accrue, au contrôle de l’habillement, au dénigrement, au mépris… Ce sont des attitudes plus sournoises, moins évidentes, qui peuvent donner lieu à des événements de violence.

Rachel Chagnon, doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l'Université du Québec à Montréal

Ce sont des gestes et des comportements qui contribuent à enfermer les victimes dans ce qu’on appelle la cage de verre, a expliqué Rachel Chagnon, doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l'Université du Québec à Montréal, en entrevue avec Alain Gravel.

Un concept à définir

L’introduction du contrôle coercitif dans le Code criminel comprend toutefois un certain nombre de défis. Comme le fait remarquer Me Pouliot, il faudra d’abord bien définir le concept.

"Les définitions qu’on voit ailleurs dans le monde [pour le contrôle coercitif], c’est un comportement qui est répété à travers le temps. Mais ce comportement, il faut en avoir une très bonne définition", estime-t-il.

Pour sa part, Rachel Chagnon réfère à un concept similaire qui a été introduit dans le système judiciaire il y a une vingtaine d’années à la demande des groupes de défense des victimes de violence : le harcèlement criminel.

Le harcèlement criminel fonctionne un peu sur le même principe que le contrôle coercitif : c’est un type d’infraction qui vise à démontrer un état d’esprit et la répétition d’un comportement dans le temps , a-t-elle expliqué.

Ce qu’on constate, c'est que c’est extrêmement difficile de déposer des accusations en harcèlement criminel, parce que c’est difficile de faire une chaîne d’événements qui est suffisamment parlante pour rencontrer le fardeau de la preuve qui est au-delà de tout doute raisonnable.

Rachel Chagnon, doyenne de la Faculté de science politique et de droit de l'Université du Québec à Montréal

Les procureurs évitent d’utiliser cette infraction criminelle parce qu’il y a une lourdeur dans la démonstration. Il faut démontrer l’existence de plusieurs événements, la persistance dans le temps de ces événements-là, la volonté de la personne qui pose ces gestes à commettre une infraction.

Rachel Chagnon fait remarquer que la criminalisation du contrôle coercitif devra s’accompagner de ressources et, plus largement, d’investissements dans différents secteurs de l’appareil judiciaire. Ça prend des policiers qui ont le temps de procéder à ce type d’enquêtes, ça demande des ressources dans le système judiciaire, pour le procureur et pour tous ceux qui soutiennent le système et les victimes. Ce n’est pas clair qu’on a ces ressources-là actuellement.

EN FRANCE AUSSI ?
Face aux mauvais chiffres des meurtres commis sur des femmes, Isabelle Rome, la ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, réfléchit à faire entrer dans le code pénal un nouveau concept pour cibler les violences masculines, rapporte Le Monde. Un groupe de travail a été mis en place depuis avril 2023.

D’autres outils

Me Pouliot et la professeure Chagnon croient toutefois qu’il y a d’autres outils actuellement disponibles pour aider les victimes.

Les tribunaux sont débordés. Je pense qu’on doit aller de l’avant, mais en même temps il faut que le gouvernement apporte des ressources financières pour former les intervenants. Je crois à la prévention plutôt que d’arriver après les faits, mais on ne peut pas juste attendre le prochain incident.

Stéphane Pouliot, avocat en droit familial

Il existe des ordonnances de protection civile qu'on est capables d’aller chercher devant nos tribunaux et le contrôle coercitif est déjà prévu dans la loi sur le divorce, a soutenu Stéphane Pouliot.

Mais au-delà de la répression, les deux experts croient beaucoup au pouvoir de la prévention et de l’éducation.

"On travaille sur la répression depuis une vingtaine d'années, on a amélioré les outils, on a introduit le harcèlement criminel, mais ça ne suffit pas. Si la répression était suffisante, si la peur d’aller en prison arrêtait les hommes violents, je pense qu’on le saurait déjà", affirme Rachel Chagnon.

"Je pense qu’on doit réfléchir plus largement, former les praticiens du droit, former les gens en droit de la famille et mieux faire comprendre à la population ce que ça veut dire, la violence", conclut-elle.

Article original publié en accord avec Radio Canada à retrouver sur le site de notre partenaire ici.

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