L'émotion jaillit du dernier documentaire réalisé par Carol Mansour. « We cannot go there now, my dear », qui donne la parole à des Palestiniennes et Palestiniens, auparavant réfugiés en Syrie, puis poussés vers le Liban, chassés par la guerre civile syrienne qui balaie le pays depuis 2011. Du Yémen au Liban en passant par l’Ouzbékistan, l’Egypte ou encore le Sri Lanka, la réalisatrice libano palestinienne, infatigable, parcourt le monde pour donner une voix à ceux qui n’en ont pas. Rencontre à Beyrouth.
Le précédent "Not who we are" (Pas ce que nous sommes) commençait ainsi « Il est aujourd’hui plus dangereux d’être une femme que d’être un soldat dans un conflit moderne », citation du major général Patrick Cammaert, conseiller militaire auprès des Nations Unis.
Peur, promiscuité, incertitude, désespoir, jeunesse volée, éloignement des proches, conditions de vie misérables, attitudes condescendantes, mendicité, c’est à travers sa caméra que Carol Mansour emmène son public dans la réalité du quotidien des réfugiées syriennes au Liban. Les langues se délient, les tabous se dévoilent. « Je ne sais pas faire de fiction, je ne sais pas écrire, je ne sais rien faire d’autre que le documentaire, introduit la réalisatrice. Au lieu d’en parler, je filme. Une image vaut plus de mille mots. Je filme les injustices dans l’espoir de changer la perception des gens sur la misère, les réfugiés, les travailleurs immigrés, poursuit-elle. Je veux montrer ces injustices au monde, que les gens soient conscients de ce qu’il se passe autour d’eux. Certes, nous n’allons pas changer le monde mais petit à petit, nous faisons quelque chose, c’est un travail de fourmis ».
“Pas ce que nous sommes“ La bande annonce (sous titres en anglais)
De parents palestiniens, la petite Carol voit le jour à Beyrouth en 1961 et fait partie de la génération de la guerre civile libanaise, qui prend son envol funeste en 1975 pour quinze longues années. En 1980, elle quitte le Liban à l’âge de 19 ans pour s’installer avec sa famille à Montréal, ville où elle ne se sera finalement jamais acclimatée. De 1985 à 1991, après avoir été diplômée en médecine sportive et en psychologie, elle enchaîne les métiers alimentaires pour assurer et assumer son indépendance, passant de peintre en bâtiment à vendeuse de pop corn, femme de ménage, serveuse dans des cafés ou encore dactylographe.
« Je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie, le vide total, c’était très angoissant, se souvient-elle. Puis en 1991, une amie m’a proposé de participer à un cours de montage caméra, destiné aux femmes immigrées ». Le déclic ? Après avoir filmé le mariage de son frère, elle prend un plaisir tout particulier à monter les images de la cérémonie à sa façon, peu traditionnelle. Une vocation était née. « Je me suis éclatée, lance-t-elle. C’est ce que je voulais faire dans ma vie ».
Après un passage au Caire où elle étudie la communication à l’université américaine et suit des cours particulier de montage, elle décide de rentrer chez elle, à Beyrouth. « Je me suis inscrite à l’Université libano américaine (LAU) en cours de production TV et j’ai commencé mes gammes à la Futur TV, une chaîne de télévision libanaise. Je suis passée par tous les corps de métier, du montage à la production en passant devant la caméra, détaille-t-elle. J’avais tout appris, je n’avançais plus alors je suis partie en Egypte pour filmer les enfants des rues au Caire ». Dix jours de tournage qui vont chambouler sa vie. Un documentaire de 26' 100% Asphalte en sortira, et fera date.
100% Asphalt, le documentaire sur les enfants des rues du Caire, 2002 (sous titres en anglais)
« Je n’avais pas de sujet bien précis, commente-t-elle. Je ne suivais personne en particulier, difficile de demander à des enfants de la rue de respecter un rendez-vous. Mais c’était tellement excitant, j’ai pris énormément de plaisir à découvrir au fur et à mesure les thèmes que j’allais aborder, je faisais parler la rue ».
Avec toute la matière qu’elle rassemble, elle réalise le premier documentaire d’une longue série, récompensé lors de nombreux festivals. En 2000, elle créée sa maison de production Forward Film Production et devient rapidement la spécialiste attitrée des documentaires sur les droits humains, commandés entre autres par des ONG internationales et des instances onusiennes. « C’est une chance, un privilège, estime-t-elle, je fais ce que j’aime et en plus je suis payée pour le faire. Je ne serai jamais millionnaire mais ce n’est pas le but ».
Aujourd’hui, elle s’intéresse au sort des réfugiés palestiniens de Syrie au Liban. Un second exil forcé qui touche particulièrement la réalisatrice : « les réfugiés palestiniens sont considérés par la communauté internationale, mais aussi par les pays arabes ou les Libanais comme la pire race de réfugiés. Personne n’en veut, personne ne s’en préoccupe. L’exile signifie pourtant que vous êtes chassé de chez vous, vous partez et il n’y a pas de retour ».
Alors que le Moyen Orient s’enfonce de plus en plus dans l’enfer des guerres, Carol Mansour, elle, résiste à sa façon et n’a pas fini de signer des documentaires, plaidoyers de victimes d’injustice.
Carol Mansour, plus d'une décennie dédiée au cinéma et aux sans voix, en quelques clichés
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