Nul doute qu'il s'agit d'une tribune qui fera date.
Et les mots choisis par ce collectif de 100 femmes sont autant d'uppercuts qui vont outrager ou blesser les "gardiennes" de ce nouvel ordre moral qui semble selon elles, s'installer insidueusement et dont elles ne veulent pas.
Elles ? C'est à dire les signataires de cette tribune où nous trouvons, à la fois des écrivaines, actrices et personnalités médiatiques dont la psychanalyste Sarah Chiche, l'auteure Catherine Millet, Ingrid Caven, Christine Boisson, Brigitte Lahaie, la journaliste Elisabeth Levy (directrice de la rédaction du magazine Causeur), l'écrivaine Catherine Robbe-Grillet ou encore Catherine Deneuve. (Certaines sont féministes et d'autres sont connues pour des positions ouvertement anti-féministes ndlr). Mais c'est d'un même ton qu'elles affirment toutes, haut et fort donc, leur rejet d’un certain féminisme qui exprime, selon elles, une "haine des hommes ". Elles rejettent ce "puritanisme" alimenté par cette "campagne de délations" et autre "justice expéditive".

Tribune publiée dans Le Monde, daté du 10 janvier 2018
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Elles s'indignent que des hommes ont été "sanctionnés dans l'exercice de leur métier, contraints à la démission, alors qu'ils n'ont eu pour seul tort que d'avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses +intimes+ lors d'un dîner professionnel ou d'avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l'attirance n'était pas réciproque"

Florilège :
Catherine Deneuve est la preuve vivante qu'on peut être une artiste reconnue ET une écervelée. Non seulement elle défend ouvertement Polanski, ce cher pédophile, mais en plus elle soutient le harcèlement sexuel dans le métro (qu'elle n'a pas du prendre depuis au moins 30 ans).
— Emi ✨ (@_chrysoprase) 9 janvier 2018
toutes celles qui insultent @lemondefr pour avoir publié la pensée de Catherine Deneuve là vous ne la voyez toujours pas la censure que vous voulez instaurer en France ? non on ne pense pas toutes comme vous et on a le droit de le dire, et bravo Le Monde t'as gagné mon abonnement
— Lea (@wantzlea_) 9 janvier 2018
Effectivement, le dernier métro de Catherine Deneuve, ça n'est pas récent récent. pic.twitter.com/6c2kVNPgfZ
— Claire Underwood (@ParisPasRose) 9 janvier 2018
Dans une interview donnée au magazine Technikart, en novembre dernier, elle expliquait : "C’est vrai que je n’ai pas été une figure du féminisme, comme par exemple Delphine Seyrig l’a été. Je n’ai jamais vraiment fait partie du groupe, sans doute parce que j’étais beaucoup moins disponible qu’on le croyait. J’ai eu très jeune un enfant, donc je voulais vraiment rentrer à la maison après les tournages, ne pas être partie trop longtemps... Et puis j’ai eu du mal à adhérer au groupe, quel qu’il soit. Je n’ai donc jamais fait partie vraiment du mouvement, à part signer le Manifeste des 343 " ( Le manifeste des 343, est une pétition française parue le 5 avril 1971 dans le magazine Le Nouvel Observateur. Il s'agissait de la liste des 343 Françaises qui ont le courage de signer le manifeste “Je me suis fait avorter” ndlr).
On peut ne pas partager le point de vue de la Tribune signée par #Deneuve.
— Éric Fallourd (@eric_fallourd) 9 janvier 2018
Mais celle qui s’afficha, au faîte de sa gloire et au risque de sa carrière, parmi les « 343 salopes », mérite mieux que des leçons de morale outrancières assénées à coup de hashtags simplistes et démagos.
Une vague purificatoire ?
Le collectif évoque une " vague purificatoire " et parle même de "révisionnisme " au sujet de l’interdiction de la rétrospective Roman Polanski à la Cinémathèque ou d’un travail
universitaire qui juge le film Blow-Up « misogyne » et « inacceptable » : " Encore un effort, enchaîne le texte, et deux adultes qui auront envie de coucher ensemble devront au préalable cocher via une « appli » de leur téléphone un document dans lequel les pratiques qu’ils acceptent et celles qu’ils refusent seront dûment listées. (...) "cette fièvre à envoyer les +porcs+ à l'abattoir, loin d'aider les femmes à s'autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment (...) que les femmes sont des êtres à part, des enfants à visage d'adulte, réclamant d'être protégées".
"En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d'une haine des hommes et de la sexualité", poursuivent les signataires de ce texte.
"Nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle. Nous sommes aujourd'hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle".
The Guardian, le célèbre quotidien d’information britannique, a également relayé cette tribune incendiaire :

100 meufs ne comprennent pas le mouvement #metoo
— ClaraSparis (@ClaraLondon750) 9 janvier 2018
et viennent fantasmer des dérives qui vont faire peur aux mecs.
Pas la peine de s'acharner sur une seule - ni sur aucune- elles sont juste à côté de la plaque, merci le Monde de les avoir soutenues.
Catherine Deneuve
Je découvre la tribune des femmes contre #metoo dans Le Monde. Tout est *tellement* à côté de la plaque. Pour résumer : j’ai raté le moment où on a détesté les hommes et le sexe (j’ai aussi raté la nature fondamentalement offensive de la pulsion sexuelle).
— Sexactu (@sexactu) January 9, 2018
Tribune contre tribune
La réponse (ou riposte) du camp féministe ne s'est pas fait attendre. Ce mercredi 10 janvier, sur France Info, reprise dans le quotidien Libération, la militante féministe Caroline De Haas a écrit une tribune, cosignée par une trentaine de militantes et militant féministes accusant les "100 femmes du Monde" de "de vouloir refermer la chape de plomb soulevée par le scandale Weinstein et de mépriser les victimes de violences sexuelles".Caroline De Haas
"Faire passer les féministes pour des coincées, voire des mal-baisées : l’originalité des signataires de la tribune est... déconcertante. Les violences pèsent sur les femmes. Toutes. Elles pèsent sur nos esprits, nos corps, nos plaisirs et nos sexualités. Comment imaginer un seul instant une société libérée, dans laquelle les femmes disposent librement et pleinement de leur corps et de leur sexualité lorsque plus d’une sur deux déclare avoir déjà subi des violences ? " peut-on lire.
"Les porcs et leurs allié.e.s s’inquiètent ? C’est normal. Leur vieux monde est en train de disparaître. Très lentement – trop lentement – mais inexorablement. Quelques réminiscences poussiéreuses n’y changeront rien, même publiées dans Le Monde.", écrivent aussi les militantes féministes dans leur réponse aux 100.
Du côté politique, impossible d'échapper au débat ce mercredi matin dans les médias. S'exprimant sur France Inter, l'ancienne ministre française des droits des femmes Laurence Rossignol comparait la tribune parue mardi dans Le Monde à "une gifle à l'encontre de celles qui dénoncent la prédation sexuelle".
Chère @asiaargento
— MarleneSchiappa (@MarleneSchiappa) 9 janvier 2018
Je n’ai pas connaissance d’un homme qui aurait été renvoyé pour avoir « touché le genou d’une femme » par inadvertance en France comme décrit ici mais s’il existe, qu’on me le présente...! https://t.co/nRE6WtpTiD
Pour l'actuelle secrétaire d'Etat chargée de l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, interrogée ce mercredi midi sur France Culture, la tribune du Monde est "un pôt pourri, avec à la fois des réflexions interessantes et d'autres dépassées" ajoutant qu'il y a aussi des choses qui relèvent du "fantasme, comme parler d'hommes renvoyés parce qu'ils ont touché un genou, jusqu'à présent je n'en connais pas, qu'on me les présente".
Pour replacer ce débat dans un contexte plus historique, notre confrère Thomas Snegaroff, historien et spécialiste des Etats-Unis, estime dans sa chronique publiée sur le site de France Info, que ce combat entre féministes autour du corps des femmes est ancien. Si pour la cinéaste et comédienne italienne Asia Argento (qui accuse Harvey Weinstein de viol), les signataires de la Tribune du Monde ont "intériorisé la misogynie", "Pour ces femmes, leurs corps n’est pas à défendre parce qu'il n'est pas vulnérable en soi, mais au contraire, une arme contre la domination masculine" écrit-il, citant même Aristophane, "l’un des plus grands dramaturges (du Ve siècle avant JC) et l’un des premiers féministes pour qui la cité aurait tout à gagner à mener les femmes au pouvoir. Et pour cela, leur corps est une arme de séduction massive."
Quand tu prépares une chronique sur le feminisme pic.twitter.com/u8wtMuZ7DI
— thomas snegaroff (@thomassnegaroff) January 10, 2018

La violence des échanges entre ces deux côtés féministes, (puisque la plupart se proclament féministes de part et d'autre), des signataires des deux tribunes, me sidère une fois encore, mais elle n'est pas nouvelle (on en trouve de multiples exemples dans Terriennes - nous avons consacré plusieurs dossiers à ces "Féministes contre féministes" voir plus bas). On retrouve les mêmes anathèmes croisés entre féministes, par exemple, du côté des "Laïcardes" et des "multiculturalistes" à propos du foulard : c'est intéressant de voir que les libertines dites tolérantes de la Tribune du Monde hurlent à chaque fois qu'elles croisent une fille en foulard, tandis que les tolérantes avec le foulard sont prêtes à défenestrer le cinéaste Roman Polanski pour un passé qui ne passe pas… Et je crois que ces divergences vont au delà de la dichotomie réactionnaires/progressistes, droite/gauche, ou élite/peuple. C'est peut-être plus une question de génération ? Ces divergences ne sont pas les mêmes partout - elles sont absentes aux Etats-Unis, mais elles ont aussi enflammé la scène féministe allemande.
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