Nul doute qu'il s'agit d'une tribune qui fera date.
Et les mots choisis par ce collectif de 100 femmes sont autant d'uppercuts qui vont outrager ou blesser les "gardiennes" de ce nouvel ordre moral qui semble selon elles, s'installer insidueusement et dont elles ne veulent pas.
Elles ? C'est à dire les signataires de cette tribune où nous trouvons, à la fois des écrivaines, actrices et personnalités médiatiques dont la psychanalyste Sarah Chiche, l'auteure Catherine Millet, Ingrid Caven, Christine Boisson, Brigitte Lahaie, la journaliste Elisabeth Levy (directrice de la rédaction du magazine Causeur), l'écrivaine Catherine Robbe-Grillet ou encore Catherine Deneuve. (Certaines sont féministes et d'autres sont connues pour des positions ouvertement anti-féministes ndlr). Mais c'est d'un même ton qu'elles affirment toutes, haut et fort donc, leur rejet d’un certain féminisme qui exprime, selon elles, une "haine des hommes ". Elles rejettent ce "puritanisme" alimenté par cette "campagne de délations" et autre "justice expéditive".
On peut lire : "
Nous sommes conscientes que la personne humaine n’est pas monolithe : une femme peut, dans la même journée, diriger une équipe professionnelle et jouir d’être l’objet sexuel d’un homme, sans être une « salope » ni une vile complice du patriarcat. Elle peut veiller à ce que son salaire soit égal à celui d’un homme, mais ne pas se sentir traumatisée à jamais par un frotteur dans le métro, même si cela est considéré comme un délit. Elle peut même l’envisager comme l’expression d’une grande misère sexuelle, voire comme un non-événement. (...)Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n'est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste". Cette libération de la parole se retourne aujourd'hui en son contraire
Tribune publiée dans Le Monde, daté du 10 janvier 2018
Selon elles, si "
une légitime prise de conscience des violences sexuelles exercées sur les femmes, notamment dans le cadre professionnel" a eu lieu après l'affaire Weinstein, "
cette libération de la parole se retourne aujourd'hui en son contraire: on nous intime de parler comme il faut, de taire ce qui fâche, et celles qui refusent de se plier à de telles injonctions sont regardées comme des traîtresses, des complices !". A lire aussi : -
La déferlante #MeToo contre le harcèlement sexuel : personnalité de l'année 2017 selon Time magazine
- Après le licenciement de Harvey Weinstein pour harcèlement sexuel, à Hollywood les actrices parlentElles s'indignent que des hommes ont été
"
sanctionnés dans l'exercice de leur métier, contraints à la démission, alors qu'ils n'ont eu pour seul tort que d'avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses +intimes+ lors d'un dîner professionnel ou d'avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l'attirance n'était pas réciproque"
Inévitablement, les réseaux sociaux se font l'écho de ce débat encore à vif. De part et d'autres, féministes de tous bords ou anti-féministes, on s'invective à coup de tweets enthousiastes ou rageurs. Au coeur de ce magma numérique, c'est l'actrice Catherine Deneuve qui recueille le plus de critiques... plus ou moins inspirées.
Florilège :
L'actrice française n'a jamais fait mystère qu'elle n'entendait pas représenter une "figure du féminisme".
Dans une interview donnée au magazine
Technikart, en novembre dernier, elle expliquait : "
C’est vrai que je n’ai pas été une figure du féminisme, comme par exemple Delphine Seyrig l’a été. Je n’ai jamais vraiment fait partie du groupe, sans doute parce que j’étais beaucoup moins disponible qu’on le croyait. J’ai eu très jeune un enfant, donc je voulais vraiment rentrer à la maison après les tournages, ne pas être partie trop longtemps... Et puis j’ai eu du mal à adhérer au groupe, quel qu’il soit. Je n’ai donc jamais fait partie vraiment du mouvement, à part signer le Manifeste des 343 " ( Le
manifeste des
343, est une pétition française parue le 5 avril 1971 dans le magazine Le Nouvel Observateur. Il s'agissait de la liste des
343 Françaises qui ont le courage de signer le
manifeste “Je me suis fait avorter” ndlr).
Une vague purificatoire ?
Le collectif évoque une " vague purificatoire " et parle même de "révisionnisme " au sujet de l’interdiction de la rétrospective Roman Polanski à la Cinémathèque ou d’un travail
universitaire qui juge le film Blow-Up « misogyne » et « inacceptable » : " Encore un effort, enchaîne le texte, et deux adultes qui auront envie de coucher ensemble devront au préalable cocher via une « appli » de leur téléphone un document dans lequel les pratiques qu’ils acceptent et celles qu’ils refusent seront dûment listées. (...) "cette fièvre à envoyer les +porcs+ à l'abattoir, loin d'aider les femmes à s'autonomiser, sert en réalité les intérêts des ennemis de la liberté sexuelle, des extrémistes religieux, des pires réactionnaires et de ceux qui estiment (...) que les femmes sont des êtres à part, des enfants à visage d'adulte, réclamant d'être protégées".
"En tant que femmes, nous ne nous reconnaissons pas dans ce féminisme qui, au-delà de la dénonciation des abus de pouvoir, prend le visage d'une haine des hommes et de la sexualité", poursuivent les signataires de ce texte.
"Nous défendons une liberté d'importuner, indispensable à la liberté sexuelle. Nous sommes aujourd'hui suffisamment averties pour admettre que la pulsion sexuelle est par nature offensive et sauvage, mais nous sommes aussi suffisamment clairvoyantes pour ne pas confondre drague maladroite et agression sexuelle".
The Guardian, le célèbre quotidien d’information britannique, a également relayé cette tribune incendiaire :
Pour nombre d'internautes, cette tribune est, au mieux, maladroite, au pire, complètement "à côté de la plaque" comme l'écrit @ClaraLondon750 :
Tribune contre tribune
La réponse (ou riposte) du camp féministe ne s'est pas fait attendre. Ce mercredi 10 janvier,
sur France Info, reprise dans
le quotidien Libération, la militante féministe Caroline De Haas a écrit une tribune, cosignée par une trentaine de militantes et militant féministes accusant les "100 femmes du Monde" de
"de vouloir refermer la chape de plomb soulevée par le scandale Weinstein et de mépriser les victimes de violences sexuelles". Accepter des insultes envers les femmes c'est de fait autoriser les violences.
Caroline De Haas
Pour ces féministes, parmi lesquelles figurent Caroline De Haas, les journalistes Lauren Bastide et Giulia Foïs, la présidente des Chiennes de garde Marie-Noëlle Bas, la psychiatre Muriel Salmona, ou de nombreuses militantes associatives,
«les signataires mélangent délibérément un rapport de séduction, basé sur le respect et le plaisir, avec une violence». Pour Caroline De Haas celles-ci
"sont pour la plupart des récidivistes en matière de défense de pédocriminels ou d’apologie du viol".
"Faire passer les féministes pour des coincées, voire des mal-baisées : l’originalité des signataires de la tribune est... déconcertante. Les violences pèsent sur les femmes. Toutes. Elles pèsent sur nos esprits, nos corps, nos plaisirs et nos sexualités. Comment imaginer un seul instant une société libérée, dans laquelle les femmes disposent librement et pleinement de leur corps et de leur sexualité lorsque plus d’une sur deux déclare avoir déjà subi des violences ? " peut-on lire.
"Les porcs et leurs allié.e.s s’inquiètent ? C’est normal. Leur vieux monde est en train de disparaître. Très lentement – trop lentement – mais inexorablement. Quelques réminiscences poussiéreuses n’y changeront rien, même publiées dans Le Monde.", écrivent aussi les militantes féministes dans leur réponse aux 100.
Du côté politique, impossible d'échapper au débat ce mercredi matin dans les médias. S'exprimant sur France Inter, l'ancienne ministre française des droits des femmes Laurence Rossignol comparait la tribune parue mardi dans Le Monde à
"une gifle à l'encontre de celles qui dénoncent la prédation sexuelle". Pour l'actuelle secrétaire d'Etat chargée de l'égalité femmes-hommes, Marlène Schiappa, interrogée ce mercredi midi sur France Culture, la tribune du Monde est
"un pôt pourri, avec à la fois des réflexions interessantes et d'autres dépassées" ajoutant qu'il y a aussi des choses qui relèvent du
"fantasme, comme parler d'hommes renvoyés parce qu'ils ont touché un genou, jusqu'à présent je n'en connais pas, qu'on me les présente".
Pour replacer ce débat dans un contexte plus historique, notre confrère Thomas Snegaroff, historien et spécialiste des Etats-Unis, estime dans
sa chronique publiée sur le site de France Info, que ce combat entre féministes autour du corps des femmes est ancien. Si pour la cinéaste et comédienne italienne Asia Argento (qui accuse Harvey Weinstein de viol), les signataires de la Tribune du Monde ont "intériorisé la misogynie",
"Pour ces femmes, leurs corps n’est pas à défendre parce qu'il n'est pas vulnérable en soi, mais au contraire, une arme contre la domination masculine" écrit-il, citant même Aristophane,
"l’un des plus grands dramaturges (du Ve siècle avant JC)
et l’un des premiers féministes pour qui la cité aurait tout à gagner à mener les femmes au pouvoir. Et pour cela, leur corps est une arme de séduction massive." Et les Terriennes dans tout ça ? Dans un soucis d'apaisement mais aussi de questionnement, nous avons décidé de vous faire part de ces quelques réflexions signées de la fondatrice et rédactrice en chef de Terriennes, Sylvie Braibant.