Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être

Depuis le 30 avril 2013, Cécile Nyenge fait partie du nouveau gouvernement italien. Première femme noire à accéder au rang de ministre, elle subit, depuis, de violentes agressions verbales racistes et sexistes. Cette nomination qui déchaîne les passions est-elle le symbole annonciateur d'une rupture avec vingt ans de berlusconisme ou une concession sans lendemain faite à la gauche ? Décryptage d'une nomination historique avec Anna-Maria Merlo Poli, correspondante à Paris pour le quotidien Il Manifesto.
Image
Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être
Partager6 minutes de lecture
"Je ne suis pas une femme de couleur, (comme le disent les médias italiens, ndlr), je suis noire et je le dis avec fierté," affirme la nouvelle ministre de l’Intégration d'origine congolaise face aux injures. Et pourtant, "guenon, zoulou, ménagère inadéquate…" Le déchaînement d'hostilités misogynes et xénophobes, tant de la part de parlementaires européens, de représentants de la Ligue du Nord, mais aussi du PDL de Berlusconi fait frémir. Si la nomination de Cécile Nyenge marque une rupture avec les années Berlusconi, elle ouvre aussi la boîte de Pandore d’une haine de l’autre profondément ancrée dans les mentalités.

Rappel des faits par nos partenaires de France2

06.05.2013
TV5 JWPlayer Field
Chargement du lecteur...


Sexisme : l’Italie revient de loin


Sur les 22 membres du gouvernement d’Enrico Letta, 7 sont des femmes – un record dans un pays où, jusqu’aux dernières élections, elles étaient moins bien représentées à l’Assemblée italienne qu’au Parlement afghan. Sur ces 7 femmes, 2 sont d’origine étrangère et ont acquis la nationalité italienne par mariage. C'est d'ailleurs Josefa Idem, la ministre de l’Egalité des Chances et du Sport, d’origine allemande, qui a ordonné une enquête au nom du gouvernement pour dénoncer le déchaînement d'injures à l’égard de Cécile Nyenge.

De son côté, Laura Boldrini, présidente italienne de la Chambre des Députés, s'élève contre ces vulgarités racistes. Elle aussi reçoit des menaces sexistes sur les réseaux sociaux, "parce que femme et parce que de gauche, affirme Anna-Maria Melo Poli. Car si les femmes étaient déjà présentes dans le gouvernement Berlusconi, c'était plus pour leur apparence que pour leurs compétences."

Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être
Anna-Maria Merlo Poli
Pour la journaliste italienne, ces accès de violence verbale révèlent les difficultés de la société italienne à entrer dans la modernité après une longue période de gel politique et médiatique berlusconien : "Pendant vingt ans, ce pays a vécu dans une fiction absurde, dans une réalité faussée, celle que martelait la télévision de Berlusconi. En matière de sexisme, tout était permis. Cette réalité-là, qui vient tout droit des années 1950, a forgé la mentalité de toute une génération. Aujourd'hui, peu à peu, les gens se rendent compte que leur quotidien, c’est le chômage, les fins de mois difficiles...

Ces dérapages dévoilent un visage de l’Italie que l'on voulait croire appartenir au passé. "La société prend conscience d’une violence dont on ne parlait pas, ou que l’on pensait sporadique, témoigne Anna-Maria Melo Ponti. Aujourd’hui, on découvre que ce n’est pas ça ; que l’Italie reste l’un des pays où les femmes sont le plus souvent victimes de meurtres." Si le mouvement féministe a bien du mal à briser le carcan du modèle sexiste véhiculé ces vingt dernières années, ce sont pourtant les femmes qui, en s'insurgeant contre ces violences et discriminations, pourraient opposer un vrai contre-pouvoir à ce 'vieux monde'. Peut-être est-ce aussi pour cela que ce 'vieux monde' réagit aussi violemment à l’arrivée d’une femme noire sur le devant de la scène.

Bouc émissaire d’une coalition sous influence berlusconienne

Femme, noire et de gauche, Cécile Kyenge cristallise les peurs d'une société minée par les problèmes économiques. "J'ai l'impression, dit Anna-Maria Melo Poli, qu'elle a été comme livrée en pâture à l'opinion publique pour détourner son attention des vraies questions : la justice, la fraude fiscale, le chômage... Et puis les compromis accordés par la gauche majoritaire à la droite minoritaire pour former une coalition méritaient bien une concession : "Même s'il est parvenu à rafistoler son électorat en faisant miroiter une baisse des impôts, Berlusconi a perdu 6 millions de voix. Mais Enrico Letta a cédé à la peur, à l’urgence économique, au spectre du chomage, à la pression du Cavaliere... Et c'est Angelino Alfano, chef de son parti, le PDL, qui est vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur. "Alors ils ont nommé une noire, tel un symbole accordé à la gauche. Au milieu de ce tourbillon et dans cette ambiance de chantage politique, Cécile Kyenge se trouve comme prise en otage." D'emblée, la nouvelle ministre de l'Intégration a pourtant abordé des questions d'une sensibilité extrême dans la société italienne.
 

Code de la nationalité : une réforme mort-née

Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être
Une du quotidien régional Il Gazzettino du 5 mai 2013 : “Immigrés, division sur la question de la citoyenneté.““La ministre Kyenge : une loi pour que les enfants nés en Italie l’obtiennent. Le PLD s’insurge.“
La première réaction de Cécile Kyenge au déchaînement de haine raciste provoqué par sa nomination a été d’ouvrir le chapitre particulièrement sensible du code de la nationalité. Elle défendra, a-t-elle annoncé, un projet de réforme de la citoyenneté, qui accorderait automatiquement la nationalité italienne aux enfants nés en Italie de parents immigrés sans attendre leurs dix-huit ans pour déposer une demande de naturalisation.

En première ligne de l’immigration vers l’Europe, l’Italie, depuis des années, se sent seule et abandonnée par l’Europe face à l’afflux des clandestins. Une partie de sa société vit dans la peur de l’émigré qui lui "vole son travail". Pourtant fédérateur de la jeune génération, le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo lui-même affiche des positions proche de l’extrême-droite sur ce point. Et puis l’Italie n’étant qu’un pays de transit vers l’Europe du Nord, à quoi bon réformer le code de la nationalité pour instituer le droit du sol...

Et pourtant, 80 000 enfants, soit 14%, naissent chaque année de parents étrangers dans la Péninsule, sans recevoir la nationalité italienne. "C’est ainsi que l’on crée des sous-citoyens. Ce problème est une plaie ouverte en Italie," explique Anna-Maria Melo Polo. Or cette réforme ne figurant pas au programme de la nouvelle coalition, il faudrait une pression massive de la population pour l'imposer. Et les chances sont minces que la société, minée par les problèmes économiques, se mobilise pour ce projet. La droite, elle, s’est déjà insurgée et a demandé au Premier ministre de "faire taire" sa nouvelle ministre de l’Intégration. "Ce qu’elle parviendra peut-être à imposer, en revanche, c’est la suppression du délit d’immigration clandestine – actuellement puni de 18 mois de rétention dans des "centres d'identification et expulsion". Des camps qui sont devenus des foyers de révoltes - un vrai cauchemar," explique la journaliste d'Il Manifesto.

Quelle que soit l’empreinte que la ministre de l'Intégration laissera dans les lois, sa nomination est à marquer d'une pierre blanche dans la vie sociale et politique italienne. Rien d'étonnant, donc, à ce qu'elle déclenche des remous qui ne sont pas sans faire écho au regain d’homophobie provoqué en France par le récent débat sur le mariage pour tous.

Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être
Il manifesto est un journal à tendance altermondialiste, héritier d'un mensuel politique publié pour la première fois le 24 juin 1969 par une frange dissidente du Parti communiste.

05.05.2013
Cécile Kyenge : Italienne, ministre, noire et fière de l'être
- Quelle est la pire insulte que vous ayez subie ?
- Ca s’est passé en 2004, pendant que j’étais en campagne. J’ai été agressée par un homme alors que je distribuais des tracts et que je faisais du porte à porte avec ma sœur. Il a posé les mains sur moi et ma sœur en nous traitant de "vu comprà" (harangue des vendeurs de bibelots sur la plage, ndlr) et de "petites négresses". Il disait que nous n’avions pas le droit de passer devant son magasin. C’est la seule fois où j'ai porté plainte, parce que j’ai trouvé ça très grave.