Les graves insultes du vice-président du Sénat, Roberto Calderoli, envers la ministre chargée de l'Intégration ont transformé Cécile Kyenge en symbole de la lutte contre le racisme en Italie.
Après avoir déclaré que la ministre de l'Intégration ressemblait à un orang-outan, lui, Roberto Calderoli, membre de la Ligue Nord (droite) et allié de Berlusconi quand il était Premier ministre, a d'abord minimisé en disant que « c'était une boutade », puis s'est excusé publiquement avec une poignée de main à Cécile et un bouquet de fleurs (qu'elle a offert à la Vierge du Bon Conseil).
Mais Roberto Calderoli s'est bien gardé de démissionner, bien que le Premier ministre et une énorme partie de la société civile l'aient prié de le faire. Le fondateur de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, n'a fait qu'empirer la situation en déclarant que « le raciste est celui qui a nommé ministre Kyenge seulement parce qu'elle était noire ». Mais déjà un politologue renommé avait dit d'elle et de l'actuelle présidente de l'Assemblée, Laura Boldrini, que elles étaient « deux incompétentes ».
Aujourd'hui, Roberto Calderoli étant accusé de « diffamation aggravé par la haine raciale », c'est le parquet de Brescia qui est en charge de l'affaire. Les juges seront à même de dire s'il peut oui ou non rester dans son fauteuil de sénateur.
En Italie depuis presque 30 ans
Née au Congo, cela fa bientôt trente ans que Cécile est arrivée en Italie pour faire des études de médecine. A cette période-là, le phénomène de l'immigration était presque inconnu dans la péninsule. Elle s'est toujours engagée dans la défense des droits de l'homme. Mariée à un Italien, elle a deux filles.
Ophtalmologue, députée, mère de famille
Sa fille cadette, Giulia, 17 ans, en défendant sa mère après les outrages, a donné sa recette contre le racisme : vivre en paix, voyager et lire beaucoup. « Peut-être qu'un jour, ils se rendront compte que leur attitude raciste est futile » a-t-elle confié.
Selon la ministre italienne, les insultes qu'elle reçoit régulièrement ne sont pas contre elle mais contre tous les citoyens italiens. Cela dit, les réactions provoquées par cette affaire sont une photographie de la société italienne qui « est un train de changer », comme l'a analysé Cécile Kyenge.
Mais le fait qu'elle ait besoin de gardes-du-corps n'est pas anodin. Protégée parce qu'elle est noire, femme, et parce qu'elle gère un pouvoir perçu comme une menace obscure : n'est-ce pas elle qui risque d'ouvrir les frontières du pays aux étrangers ? Et, pire encore, donner la citoyenneté aux enfants des immigrés nés sur le sol italien ? Éliminer le crime de « clandestinité » et ainsi permettre aux étrangers de débarquer en masse?
Un flot de racisme
L'électorat de la Ligue du Nord n'a pas eu honte de s'exprimer sur les onde de sa radio (Radiopadania), le web et les réseaux sociaux : « Nous devons des excuses aux orangs-outans, une espèce qui ne vole pas notre argent », ont posté certains militants d'extrême droite.
Les plus actifs et créatifs dans ce sens sont les conseillers municipaux. L'un d'entre eux a publié sur son mur Facebook la photo de Kyenge côtoyant celle d'une singe avec pour légende « séparés à la naissance » et pour commentaire « dites ce que vous voulez, mais elle ressemble à un orang-outan. Allez, regardez bien. » Il y a peu de temps, la conseillère Dolores Valandro, en réaction à la tentative de viols de deux filles de la part d'un Africain, a posté : « Pourquoi personne ne viole Madame Kyenge ? » Expulsée depuis, elle a été condamnée à 13 mois de prison et à 13 000 euros d'amende.
Si, comme le dit l'écrivain Roberto Saviano « la Ligue est un éclat affolé de la démocratie » et, qu'en raison de la perte de consensus, elle « vise à se concentrer sur la menace des immigrants », un fonctionnaire de la gauche Italienne qui serait censé défendre les droits de tous a souhaité que la conseillère municipale Velandri soit « violée par un tas de "nègres" ».
Comme Cécile Kyenge a avoué alors, le problème principal semble vraiment celui de la communication et du mépris qui se dégage dans chaque débat public. Berlusconi lui-même est régulièrement appelé « nain » ainsi que l'un de ses anciens ministres, Renato Brunetta.
C'est ainsi que Cécile Kyenge donne parfois l'impression d'être une sorte de bouc-émissaire pour quelque chose à laquelle l'Italie n'est pas encore prête à faire face. La question de l'immigration a été à maintes reprises manipulée par les gouvernements de droite pour créer un ennemi à abattre et une menace pour la sécurité de la nation. Quant à la gauche, elle n'est jamais parvenu à faire face à l'immigration de masse de ces dix dernières années. Aujourd'hui en raison de la crise, cette même question des immigrés et de la citoyenneté des enfants d'immigrés risque de connaitre des dérives encore plus dangereuses. C'est pourquoi le choix du Premier ministre Letta de nommer Kyenge à la charge de l'Intégration a été salué comme révolutionnaire.
« Ce sont des insultes envers chaque citoyen »
Les objectifs politiques
Non seulement l'origine africaine de Kyenge dérange mais son ministère en lui-même se retrouve fortement contesté par la presse et la droite qui l'accusent d'absurdités : « elle veut introduire la polygamie » jusqu'à « Kyenge idiote. Qu'elle aille faire la ministre au Congo ».
Une résistance qui dévoile la peur qu'elle encourage l'immigration avec sa lutte pour faire en sorte que la citoyenneté (ius soli) ne soit plus un chemin de croix discriminatoire, et pour faire face aux nombreuses absurdités que le délit d'« immigration clandestine » entraine.
« Les diversités sont une richesse »