Celles qui sont parties, celles qui sont restées : quel avenir pour les femmes afghanes ?

Combien sont-elles à avoir pu quitter leur pays ? Difficile, dans le chaos actuel, d'établir un chiffre exact. Ces femmes afghanes dont le visage a été effacé des rues de Kaboul dès la prise de pouvoir par les talibans se retrouvent en ligne de mire de la charia imposée par le régime ultra-conservateur. Quel sort attend celles qui ont réussi à partir ? Et les autres ? 
Image
femme afghane Paris
A Paris, la mobilisation se poursuit pour soutenir les femmes afghanes, désormais livrées à leur sort alors que l'exfiltration des candidat-e-s à l'exil a pris fin à Kaboul. 
©AP Photo/Adrienne Surprenant
Partager6 minutes de lecture
En France, activistes et militant-e-s de défense des droits de femmes n'ont pas attendu la fin de l'évacuation des réfugié-e-s afghan-e-s pour se mobiliser. Depuis le 15 août, de multiples actions ont été lancées, parfois à l'ombre des médias, pour mieux garantir la sécurité des personnes rapatriées. L'inquiétude s'est notamment portée sur les femmes afghanes qui, du fait de la charia, se retrouvent en première ligne du durcissement du régime désormais au pouvoir. Les images de ces affiches dont les visages des femmes ont été effacés, qui ont fait le tour de monde, en disent long sur le sort qui les attend désormais, et cela malgré des promesses de "liberté" énoncées par les porte-parole talibans. 
 
La France, terre d'asile historique, va-t-elle être au rendez-vous pour répondre à la détresse des femmes afghanes ? Plusieurs associations féministes se sont manifestées pour appeller les autorités à les accueillir. 
 
L'organisation "Pourvoir féministe" a lancé une pétition sur change.org qui, en quelques semaines, a recueilli près de 95 000 signatures. Dans cette lettre adressée au président français Emmanuel Macron, on peut lire : "Qu'elles soient militantes féministes, juges, journalistes, toutes disent craindre particulièrement pour leur vie, convaincues que les Talibans n'hésiteront pas à les exécuter si elles étaient rattrapées". 
 
Femmes et enfants représentent d’après l’ONU 80 % des personnes fuyant l’avancée des talibans.
Pourvoir féministe, Lettre au Président Macron
L'organisation en appelle directement aux autorités françaises et pointe un détail qui n'en est pas un : "Dans un communiqué en date du 15 août, le ministre des Affaires étrangères s’est engagé à assurer la protection des 'personnalités de la société civile afghane, défenseurs des droits, artistes et journalistes particulièrement menacés'. Comment expliquer que le mot 'femmes' n’apparaisse pas une seule fois dans ce texte ? Femmes et enfants représentent pourtant d’après l’ONU 80 % des personnes fuyant l’avancée des talibans", s'insurge-t-elle. 

"Organisez l’accueil en France des défenseuses et défenseurs afghans des droits humains. Organisez l'accueil des femmes et minorités de genre qui souhaiteront trouver en France un refuge. Et organisez-le sans plus attendre", conclut la lettre.
pourvoir féministe pétition afghanes
capture d ecran

Autre mobilisation, celle de dizaines de femmes artistes, comédiennes, écrivaines, politiques, cheffes d'entreprise dans une tribune intitulée L’amour, pas la guerre - Accueil inconditionnel des femmes afghanes, publiée le 17 août dans Le Parisien. D'une même voix, dans "un exercice de sororité sans pareil", comme l'écrit le quotidien, toutes demandent au président de la République Emmanuel Macron un "accueil inconditionnel" des femmes afghanes et de leurs familles. De l’actrice et réalisatrice Agnès Jaoui, en passant par l'écrivaine féministe Virginie Despentes, Sandrine Rousseau, candidate à la primaire écologiste, Cécile Duflot, ancienne ministre de l’Égalité des territoires et du Logement pour les plus connues ou encore des femmes chercheures, universitaires, aides sociales ou au RSA, toutes ont paraphé le texte dans le cadre d'un collectif créé sur Facebook : "Urgence pour les femmes afghanes et leurs proches". "Nous affirmons que face au danger absolu du viol, de la soumission et de la mort, pour un pays qui se réclame des Lumières et de la démocratie, il n’y a pas d’autre choix que d’offrir l’asile sans conditions", écrivent les signataires de cette tribune. 
 

 

Ne pas oublier celles qui restent

Au lendemain de la prise de contrôle de Kaboul, le porte-parole des talibans Zabihullah Mujahid tenait à rassurer : "L'Émirat islamique ne veut pas que les femmes soient des victimes. Le gouvernement islamique sera ouvert et inclusif". Alors que les troupes américaines sont définitivement parties, le ministre par intérim de l'enseignement supérieur du gouvernement taliban Abdul Baqi Hazzani se fait plus précis : "Les Afghans pourront continuer leurs études supérieures". Oui, mais à quelles conditions ? "Ces études devront se faire suivant le respect fondamental 'des valeurs' de la loi islamique, sans que les femmes et les hommes soient mélangés (...) Le programme mis à disposition devra être islamique et raisonnable", ajoute le ministre, lors de cette réunion avec des anciens - la Loya Jirga - réunion qui s'est tenue le 29 août dernier et, faut-il le préciser, en présence d'aucune femme. 

Un discours ambigu qui ne rassure guère... Même si certains pourront y voir une évolution par rapport à l'ancienne charia lorsque les talibans étaient au pouvoir entre 1996 et 2001, qui privait purement et simplement les filles de cursus scolaire. 
 
L'inquiétude est donc d'autant plus grande pour toutes celles qui ont souhaité partir sans y parvenir. Fichées comme candidates au départ (et donc comme ennemies potentielles du régime taliban), elles se retrouvent directement menacées. Etudiantes, militantes, opposantes sont condamnées à la clandestinité car elles risquent la prison, la torture, voire la mort. 

Comme en témoigne la militante afghane Roya Mandegar dans les colonnes du quotidien Le Monde, qui a accepté de livrer un témoignage poignant sous son vrai nom. "J’ai écrit à l’Etat canadien, pour lequel j’ai récemment mené un projet en lien avec les enfants. J’ai aussi contacté l’Allemagne et la Suède. Encore aujourd’hui, je n’ai eu aucune réponse. Comme moi, il y a beaucoup de personnes qui ont été laissées derrière et qui risquent leur vie.", explique cette jeune femme de 31 ans, qui, depuis des années, vient en aide aux enfants de la rue. Elle raconte son engagement féministe et sa lutte pour vivre une vie de "femme indépendante" ; aujourd'hui, elle vit "emmurée" à Kaboul, une ville "silencieuse et vide"
"Interdiction totale du travail pour les femmes, de se faire soigner par un médecin homme, obligation de porter la burka, les femmes dont on voit les chevilles seront fouettées en public, il sera permis de couper les doigts des femmes aux ongles vernis (...) et il sera même interdit aux femmes de rire"... Sur l'antenne de FranceInfo TV, un éditorialiste égrène la liste des interdictions imposées par la charia désormais instaurée en Afghanistan. Une loi qui soumet à son autorité la moitié de la population afghane, 17 millions de personnes, 17 millions de "femmes et filles fantômes". Pour illustrer ses propos, les tristement merveilleuses et poétiques illustrations d'une jeune dessinatrice afghane, Shamsia Hassani.
 
Une manifestation de soutien au peuple afghan se tiendra à Paris ce dimanche 5 septembre 2021. 
 
appel manif afghanistan Paris photo
©DR