Centre National de la Danse à Pantin : la tête et les jambes

Mathilde Monnier dirige depuis le début de l’année 2014 le Centre national de la danse. Belle prise pour la chorégraphe... et pour la culture. Troisième direction et enfin une artiste à la tête de ce paquebot de la danse, posé sur les bords du Canal de l’Ourcq à Pantin !
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Centre National de la Danse à Pantin : la tête et les jambes
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Centre National de la Danse à Pantin : la tête et les jambes
Mathilde Monnier, directrice générale du Centre national de la danse (photo : Tristant Jeanne-Valès).
Elle arrive tout droit du Centre chorégraphique de Montpellier, et il flotte encore autour d’elle un parfum de province. Mathilde Monnier s’installe à peine dans ses nouveaux pénates, dans les chaussons encore chauds de Monique Barbaroux. Le programme 2014 étant déjà bouclé, elle devra attendre la saison prochaine pour imposer véritablement ses choix. Elle a laissé mari et famille en Languedoc, loue une chambre chez l'habitant et prend la mesure de l’immense maison qui est désormais la sienne.

Le CND, ancienne cité administrative de Pantin

Avec ses 7 000 mètres carrés, une centaine de collaborateurs plus une antenne lyonnaise, le CND est une maison atypique. Centre de mémoire –la cinémathèque de la Danse y a été transférée en janvier 2013- lieu de résidence pour les danseurs mais aussi salle de spectacle, l’ancienne cité administrative de Pantin résiste à la simplicité d’une définition. 

Centre National de la Danse à Pantin : la tête et les jambes
Centre national de la danse à Pantin, (photo : Agathe Poupeney/Photoscene.fr)
Nécessaire succession

« Mortifère », « sans élan », « énarchique », les épithètes désobligeantes n’ont pas manqué pour tacler la gestion de l’ancienne directrice, Monique Barbaroux, très contestée. Face à la virulence des critiques, un 3ème mandat devenait impossible. La tâche sera t-elle plus facile pour Mathilde Monnier ? Elle dit avoir trouvé « une maison bien gérée mais en manque de souffle artistique ». Elle se dit pour les binômes artiste/gestionnaire. Elle amène d’ailleurs dans ses valises son directeur délégué du CCN montpelliérain, Jean-Marc Urrea. L’ambition de Mathilde Monnier : faire du CND un lieu double, à la fois « de ressources vers la profession et vers le public ». Façon d’affirmer à tous les niveaux la dualité en laquelle elle croit.

Elle aura besoin de toutes ses convictions et de sa capacité à les transmettre. Il suffit de lire certains article de presse pour comprendre que la chorégraphe de 54 ans ne peut compter sur un état de grâce. D’aucuns lui reprochent une perte d’inventivité, une tendance à pantoufler dans l’appareil d’Etat, après 20 ans passés à la tête du Centre Chorégraphique National de Montpellier. C’est oublier un peu vite son goût pour les projets iconoclastes et pour le dialogue avec d’autres créateurs.  

Travail avec les autistes : ceux de l'hôpital de la Colombière à Montpellier en 1996 avec lesquels elle monte « L'Atelier en pièces ». Puis avec Marie-France Canaguier, le film « Bruit blanc » dans lequel elle danse avec cette femme autiste.
Des collaborations avec des artistes singuliers : en 2006, Philippe Katerine et le spectacle dansé « 2008 Vallée » au Centre Pompidou, autour des textes et musiques du chanteur/performeur. Avec Christine Angot pour les spectacles « Arrêtez, arrêtons, arrête » ou « la Place du singe ». Et depuis longtemps, sa volonté d’ouvrir la danse à d’autres arts comme le jazz. Ou à d’autres continents, projet auquel elle va s’atteler à Pantin.
 

Centre National de la Danse à Pantin : la tête et les jambes
Robyn Orlin et James Carlès, dans la pièce “Coupé-décalé“ (photo : Pierre Ricci)
Regarder vers le large

Internationaliser le Centre National de la Danse, c’est l’une de ses priorités. « Le CND n’a peut-être pas eu ce développement international qu’il devrait avoir ». Sans délai, elle a accueilli en mars à Pantin la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, une vieille connaissance,  et son compère d'origine camerounaise James Carlès pour leur spectacle « Coupé/Décalé ». Une relecture en 2 actes de cette danse originaire de Côte d'Ivoire qui a conquis Paris dans les années 2000.  

L’Afrique, c’est dans les gènes de Mathilde Monnier. Enfance au Maroc avec un père industriel et, à la fin des années 80, nouvel appel du continent africain. Partie à la découverte des danses traditionnelles burkinabé et maliennes, elle va nouer ces amitiés et complicités qui font aussi sa richesse aujourd’hui. A Ouagadougou, elle rencontre deux danseurs débutants Salia Sanou et Seydou Boro, les fait danser dans sa pièce « Pour Antigone » adaptée de Sophocle et chemine avec eux depuis. Les deux danseurs ont pris leur envol, créé Le Centre de développement chorégraphique la Termitière à Ouaga mais sont restés fidèles à celle qui a veillé sur leurs débuts.

Le continent africain au coeur du projet mais pas que. Il y aura aussi l’Asie avec la Corée du Sud ou encore l’Amérique latine. Pas de limites géographiques pour Mathilde Monnier.

Le chemin parcouru. Et après ?

Son histoire, personnelle et professionnelle, plaide en sa faveur : Mathilde Monnier a toutes les capacités et tous les réseaux pour ouvrir le CND à l’international. Mais elle est aussi attendue ailleurs. Sur sa capacité par exemple à faire la synthèse d’un pan entier de la danse contemporaine, cette nouvelle Vague, née dans les années 70 du refus d’une génération de danseurs à se glisser dans le moule du classique. Depuis, les Hussards de la danse ont vieilli, se sont plus ou moins installés, notamment dans les centres chorégraphiques nationaux créés pour eux en 1981. Que reste t-il de leur audace ?
 
Quelle place pour les femmes ?

Autre dossier sur lequel elle est attendue : la place des femmes dans la danse du 21ème siècle. D’autres comme Karine Saporta y réfléchissent déjà. A Fontenay-sous-Bois, à la tête du Festival du Na (Nous autres) qui ambitionne d’interroger le genre, la chorégraphe déplore la "disparition" des femmes de la scène chorégraphique, et surtout des postes de direction. Ce rapport parlementaire  ne dit pas autre chose.

De moins en moins nombreuses à la tête de Centres chorégraphiques nationaux, elles sont progressivement remplacées par des hommes. Exemple à Roubaix où Carolyn Carlson a été remplacée par Olivier Dubois. Martha Graham, Pina Bausch, Anne Teresa de Keersmaeker, Carolyn Carlson : la grande époque des femmes a t-elle vécu ?

Déjà dans son rôle, Mathilde Monnier préfère s’en référer au passé et rappeler « le rôle avant-gardiste de la danse, les rôles d’hommes tenus par des femmes et inversement ». Un goût pour la transgression certes revendiqué par les Missy et autres Colette aux belles heures de la pantomime. Mais aujourd’hui alors que la bataille du genre fait rage, quel sera le message du CND sur ces questions ? Il est en tout cas très attendu.

Les centres nationaux chorégraphies

En 1984, Jack Lang annonce dix nouvelles mesures visant notamment à favoriser l'essor de la danse, classique comme contemporaine, dans toute la France. Objectifs : favoriser la décentralisation et atténuer les écarts entre les différentes pratiques artistiques dans le domaine de la danse et de la musique. Parmi ces mesures : la création de Centres chorégraphiques nationaux, dédiées à la danse et dirigées par des artistes chorégraphiques assimilés à des courants artistiques variés, des ballets de répertoire aux compagnies contemporaines. Onze compagnies présentes en région et le CNDC d'Angers seront choisies pour former les premiers CCN. Depuis 1984, neuf autres CCN ont été créés, les derniers, ceux de Biarritz et de Rillieux-la-Pape, en 1998. Ils sont 19 aujourd’hui, répartis dans 15 régions françaises et gérés par les Directions régionales des Affaires culturelles. 

Le Centre national de la danse

Il a été créé en 1998 à l'initiative du ministère de la Culture et de la Communication comme un carrefour de la culture chorégraphique : création, diffusion et pédagogie.  Les formations dispensées par le CND sont variées : formations diplômantes (diplôme d’État de professeur de danse ou formations d'artistes chorégraphes),  formations continues et ateliers pratiques pour amateurs. Le centre possède douze studios de danses, dont trois destinées à la présentation des œuvres au public. Une riche bibliothèque et une médiathèque uniquement dédiées à la danse et accessibles au grand public complètent l’offre du CND.

 

Rénovation

Conçu en 1965 par l’architecte Jacques Kalisz, à la demande de Jean Lolive, le maire de Pantin, le bâtiment du Centre national de la danse abrite d’abord la cité administrative avant d’être mis en 1997 à la disposition de l’État contre le franc symbolique pour abriter le Centre national de la danse.

Lauréates du prix « l’Équerre d’argent » en octobre 2004 pour leur travail, les architectes Antoinette Robain et Claire Guieysse procèdent à la rénovation du bâtiment et l’adaptent à ses nouvelles fonctions. La mise en lumière est confiée à Hervé Audibert, la réalisation d’éléments du mobilier à Michelangelo Pistoletto et Hélène Diebold, et la signalétique intérieure et extérieure au graphiste Pierre di Sciullo.