César 2020 : les féministes s'invitent, Polanski aux invités absents

Les femmes resteront-elles largement minoritaires au palmarès 2020, à l'issue de cette 45e édition des César, présidée par Florence Foresti ? Le manque de parité récurrent des récompenses du cinéma français est pourtant l'une des raisons qui a poussé le Conseil d'administration à la démission, deux semaines avant la cérémonie. Tout cela sur fond de protestations contre les 12 nominations du J'accuse de Roman Polanski, alors que le réalisateur n'assistera pas à la cérémonie.

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Graffiti devant la salle Pleyel dénonçant les nominations du film de Roman Polanski, ce 27 février 2020 à Paris. Les groupes féministes multiplient les slogans  dénonçant les 12 nominations de J'accuse. Roman Polankski n'assistera pas à la cérémonie. 

© AP Photo/Thibault Camus
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Actrices, réalisatrices, productrices, costumières, cheffes décoratrices, scénaristes, monteuses... Depuis la première cérémonie des César, en 1976, les femmes n'ont reçu qu'un peu plus d'un quart des récompenses (27,4%). La proportion de lauréates chute à 17,9% si l'on exclut les récompenses remises aux acteurs par genre (César de la meilleure actrice, du meilleur acteur). Les César font donc à peine mieux que les Oscar américains, dont 17,3% ont été attribués à des femmes sur la même période.

En France, la parité n'a été atteinte qu'une seule fois, en 2000, année où neuf récompenses sur 18 sont allées à des femmes (hors César d'honneur). Cette 25e cérémonie avait été doublement exceptionnelle, puisqu'elle avait consacré Tonie Marshall, seule femme à ce jour à avoir remporté le prestigieux César du meilleur réalisateur, pour Vénus Beauté (Institut). Céline Sciamma pourrait la rejoindre cette année avec Portrait de la jeune fille en feu, mais elle aura fort à faire face à sept concurrents masculins.

En 2020, les femmes représentent en moyenne 23% des nommés dans les catégories mixtes. L'Académie des César, chargée de départager les candidats, compte actuellement 35% de femmes parmi ses 4700 membres.

Costumières et monteuses

C'est dans la catégorie des meilleurs costumes que les femmes sont les mieux représentées, avec 71% des récompenses. Les femmes dominent également le palmarès du meilleur montage, dont elles ont raflé 64% des César - par rapport à 18% dans cette catégorie aux Oscars américains.

A elle seule, Juliette Welfling, monteuse indissociable de l'oeuvre du réalisateur Jacques Audiard, a été primée à cinq reprises, notamment pour Un prophète (2010) et De battre mon coeur s'est arrêté (2006).

Juliette Welfling
Juliette Welfling (Twitter)

Les femmes absentes, ou presque

A l'instar de Tonie Marshall dans la catégorie réalisation, une seule femme a été primée pour la "meilleure musique originale": la Caïta, récompensée en 2001 au côté de trois hommes pour la bande originale flamenco de Vengo du réalisateur Tony Gatlif. Les femmes sont aussi quasi-absentes du palmarès dans les catégories "meilleur son" (3,6%), "meilleure photographie" (5,1%) et "meilleurs décors" (8%).

Elles ne représentent que 12,2% des réalisateurs et producteurs récompensés dans la catégorie reine du "meilleur film", et ne sont guère mieux représentées pour les films d'animation (14,6%), documentaires (15,5%), premiers films (18%) et courts-métrages (18,1%). Les femmes culminent à 23% dans les catégories distinguant les scénarios.

Les quinquas en force

Historiquement, les chiffres mettent en évidence une prime à la jeunesse pour les actrices, qui ont en moyenne six ans de moins que leurs homologues masculins quand elles sont couronnées pour un rôle principal. Mais ce n'est plus vrai dans la période récente : sur les onze dernières cérémonies, les César ont récompensé à dix reprises une meilleure actrice plus âgée que le meilleur acteur.

Depuis 2005, sept actrices de plus de 50 ans ont décroché la récompense suprême, parmi lesquelles Isabelle Huppert (2017), Catherine Frot (2016) et Isabelle Adjani (2010). Ce n'était arrivé que deux fois auparavant.

actrice quiquas
Isabelle Huppert, Isabelle Adjani, Catherine Frot.

Tribune incendiaire

La question de la place des femmes est au coeur de la révolte au sein de l'Académie des César qui a mené à la démission de l'ensemble du Conseil d'administration. Si les frondeurs se sont mobilisés, c’est d’abord parce qu’il y a seulement 35 % de femmes parmi les votants aux Césars. Et puis il y a eu ce dîner préfigurant la cérémonie, lors duquel l’Académie a refusé que l’écrivaine Virginie Despentes et la cinéaste Claire Denis soient les marraines de jeunes acteurs.

Une décision "arbitraire, voire discriminatoire", selon les signataires d'une tribune dénonçant le manque de démocratie au sein de l'Académie - plus de 400 personnalités dont Omar Sy, Jacques Audiard ou Céline Sciamma y réclamaient la "réforme en profondeur" d'une institution opaque, régie par l'entre-soi. Le soir même, le président de l'Académie, Alain Terzian, envoyait une lettre d’excuses mais sans répondre sur le fond aux questions soulevées par la tribune. Le lendemain, 11 février 2020, le Conseil d'administration de l'Académie démisionnait. Depuis, une réforme est engagée pour tendre vers la parité d'ici la prochaine cérémonie des César, en 2021.

Présidente de l'Académie

Secoués, les César ont nommé ce 26 février une présidente par intérim, la productrice Margaret Menegoz. Déjà secrétaire générale l'Association pour la promotion du cinéma (APC), qui chapeaute l'Académie des César, et membre de son conseil d'administration, Margaret Menegoz, 78 ans, dirige la société Les Films du Losange, qui ont produit des films d'Eric Rohmer, Michael Haneke ou Andrzej Wajda.

Marquant le début d'une nouvelle ère, Margaret Menegoz sera aux manettes le vendredi 28 février 2020 pour la grand-messe du cinéma français, alors que les César promettent d'être chahutés aussi par les féministes, décidées à protester contre les 12 nominations de J'accuse. Arrivé en tête du premier tour de vote avec le film de Ladj Ly sur les banlieues Les Misérables (grand favori avec 12 nominations aussi, en incluant celle du prix du public), le film de Roman Polanski sur l'Affaire Dreyfus  est talonné également par La Belle époque de Nicolas Bedos (onze nominations) et de Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma (dix).
 

Distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes.
Adèle Haenel

Indignées, plusieurs associations féministes, suivie par une partie de l'opinion publique, refusent que le cinéaste franco-polonais reçoive des honneurs, alors qu'il est visé depuis novembre par une nouvelle accusation de viol et toujours poursuivi par la justice américaine. Plusieurs collectifs, dont NousToutes et LaBarbe, ont appelé à manifester ce vendredi 28 février à 18 heures devant la salle Pleyel, à Paris, où se tiendra la cérémonie à partir de 21 heures.

Les féministes de NousToutes a annoncé notamment qu'elles organiseraient une remise "d'autres prix - moins glorieux -, afin que le rideau se lève sur la protection que leur accorde le monde des arts et du cinéma".

Enfonçant le clou, l'actrice Adèle Haenel, qui a créé un séisme dans le cinéma français en novembre en accusant le réalisateur Christophe Ruggia d'"attouchements répétés" quand elle était adolescente, a estimé dans un entretien au New York Times que la France avait "complètement raté le coche" de #MeToo. La comédienne de 31 ans, en lice pour le César de la meilleure actrice pour "Portrait de la jeune fille en feu", a mis en garde : "distinguer Polanski, c'est cracher au visage de toutes les victimes. Ca veut dire 'ce n'est pas si grave de violer des femmes'".

Quant au ministre de la Culture, Franck Riester, il a déclaré ce 28 février chez nos confrères de France Info qu'un César de meilleur réalisateur pour Roman Polanksi "serait un symbole mauvais par rapport à la nécessaire prise de conscience que nous devons tous avoir dans la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, c'est à chacun et chacune des votants (...) de prendre ses responsabilités" :
 

Quelques jours après la condamnation de l'ex-magnat d'Hollywood Harvey Weinstein - reconnu coupable d'agression sexuelle et de viol -, étape importante pour le mouvement #MeToo - le réalisateur Roman Polanski a annoncé, la veille de la cérémonie, qu'ils n'assisterait pas à la cérémonie.