Sport féminin

Championnes de surf : dompter la vague pour s'émanciper

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Championnes de surf, sur la vague pour s'émanciper

Isabel Letham, Mary Ann Hawkins, Linda Benson, Joyce Hoffman, Rell Sunn, Lisa Andersen, Rhonda Harper, Maryam El Gardoum et Justine Dupont : ces neuf femmes ont marqué à jamais l'histoire du surf. Paola Hirou dresse leurs portraits à travers les époques, depuis la fin des années 20 jusqu'à aujourd'hui.(Hélium éditions, 2023)

©Louise Pluyaud
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Contre vents et marées, elles ont nagé vers leur liberté. Dans Surfeuses (éd. Hélium), la dessinatrice française Paola Hirou dresse le portrait de neuf femmes qui ont marqué l’histoire du surf de 1915 à nos jours. Entretien

D’Isabel Letham, la « mère du surf australien » à Justine Dupont, championne du monde de grosses vagues, en passant par Maryam El Gardoum, l’une des rares surfeuses marocaines, ces pionnières se sont imposées dans un sport longtemps gardé par les hommes.

On constate donc qu’encore aujourd’hui les surfeuses sont cantonnées à leur physique et à une image fantasmée, celle d’une naïade sexy aux longs cheveux blonds, yeux bleus et taille mannequin. Paola Hirou, illustratrice

Terriennes : En introduction, vous expliquez qu’en tapant sur Internet : « les plus grandes surfeuses », les premiers liens vous ont renvoyée vers des classements des surfeuses « les plus sexy » ou « les plus belles ». Les surfeuses sont souvent réduites à leur physique plutôt qu’à leurs performances… Avec Surfeuses, quelle image voulez-vous montrer de ces athlètes ?

Paola Hirou : Ce résultat m’a attristée et choquée d’autant qu’en ce qui concerne les meilleurs surfeurs de l’Histoire, les premiers liens m’ont renvoyée à leurs exploits sportifs avec, par exemples, « Les meilleurs surfeurs de grosses vagues » ou « Les champions du monde de surf ». On constate donc qu’encore aujourd’hui les surfeuses sont cantonnées à leur physique et à une image fantasmée, celle d’une naïade sexy aux longs cheveux blonds, yeux bleus et taille mannequin. Avec Surfeuses, j’ai à tout prix voulu éviter ce côté jolies poupées étendues sur une plage. Dans mes dessins, ces waterwomen au profil et aux origines divers sont en action, de manière à rappeler que le surf est avant tout un sport extrêmement difficile à pratiquer. Et que pour s’imposer sur les vagues, toutes ont dû faire preuve de courage et de ténacité.

Paola Hirou, bédéiste

Paola Hirou, 26 ans, est diplômée de l'École de dessin Émile Cohl. Elle aime travailler à la peinture, qui donne un grain particulier à ses aplats. 

©Sylvie Pluyaud

A ses débuts, le surf n’a pas toujours été un sport dit « masculin », les enfants et les femmes s’élançaient aussi sur la planche. Pourquoi ce revirement ?

Le surf serait né avec les Polynésiens qui l’ont importé dans l’archipel d’Hawaï au 13e siècle. Le he’e nalu, comme on l’appelle là-bas, était pratiqué aussi bien par les femmes que par les hommes. Cette discipline est entourée de légendes et de rituels, religieux mais aussi politiques. Les défis étaient chose courante car chevaucher les vagues pouvait notamment servir à démontrer sa puissance. Aux 18e et 19e siècles, avec l’arrivée des premiers navires britanniques à Hawaï, s’opère un changement culturel. Les missionnaires protestants interdisent la danse hula, les jeux d’argent et la nudité, qui allaient de pair avec la pratique du surf. Les loisirs deviennent un luxe. Le surf, de moins en moins populaire, connaît un véritable déclin. Jusqu’à retrouver un nouvel essor dans les années 1910 grâce aux Beach Boys. Ces garçons vivaient au jour le jour en proposant aux touristes des visites d’Hawaï et des cours de surf. A cette époque, il était difficile pour les femmes d’avoir un tel mode de vie, aussi libéré et indépendant…

Isabel Letham a cassé les codes très masculins de la culture surf en continuant seule dans cet élan. Paola Hirou, illustratrice

Alors que le surf se popularise, des femmes - qui ont eu la chance d’apprendre à nager - vont petit à petit s’imposer sur les vagues. Parmi elles, Isabel Letham, connue comme la première personne à avoir chevauché les vagues en Australie. Même si, en réalité, des Australiens avaient déjà surfé avant elle. Mais cette nageuse est restée dans les mémoires car elle a donné en 1915 une démonstration de surf en tandem avec le légendaire surfeur hawaïen, Duke Kahanamoku. Isabel Letham a cassé les codes très masculins de la culture surf en continuant seule dans cet élan.

Isabel Letham, la première championne de surf

Isabel Letham, la pionnière. 

©LP

Qu’avez-vous découvert au cours de vos recherches qui vous a le plus marquée ?

Le parcours de la surfeuse hawaïenne Rell Sun (1950-1998) m’a particulièrement touchée. Ceinture noire de judo, elle est aussi la première maître-nageuse d’Hawaï. L’océan a été pour elle une véritable thérapie : lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer du sein en 1982, à l’âge de 32 ans, elle a continué de surfer en compétition et à repousser ses limites autant qu’elle le pouvait. Elle incarne l’alowa, l’esprit hawaiien, ne faisant qu’un avec l’océan.

Le surf est précurseur en matière d’égalité hommes-femmes puisqu’en 2018, la World Surf League (WSL), la Ligue professionnelle de surf, a décidé d’instaurer l’égalité salariale entre les surfeurs et les surfeuses professionnelles. Paola Hirou, illustratrice

J’ai aussi eu la bonne surprise de découvrir que le surf est précurseur en matière d’égalité hommes-femmes puisqu’en 2018, la World Surf League (WSL), la Ligue professionnelle de surf, a décidé d’instaurer l’égalité salariale entre les surfeurs et les surfeuses professionnelles. Depuis 2019, ils touchent donc la même prime lors des compétitions sur le circuit mondial. Ce qui est rarement le cas dans le sport de haut niveau…

Les grandes surfeuses de l'histoire
©LP

De la Californie au Maroc, en passant par l’Inde et le Sénégal, le surf est aujourd’hui pratiqué par les femmes dans plusieurs pays. Toutefois, si leur nombre a augmenté, elles ne représentent en 2023 que 30% de l’ensemble des surfeurs. A quels obstacles sont-elles encore confrontées dans leur pratique ?

Comme n’importe quel autre sport, le surf n’est pas épargné par le sexisme qui opère toujours, de manière générale, au sein de la société. Même s’il y a eu des avancées, les surfeuses continuent d’être évaluées sur leur apparence. En 2016, la surfeuse professionnelle brésilienne Silvana Lima, parmi les meilleures au monde, s’est d’ailleurs vue refusée des dizaines de sponsors car on la jugeait « pas assez jolie ». Or, les sponsors sont un soutien financier indispensable pour pouvoir pratiquer le surf au quotidien, acheter du matériel, voyager et participer aux compétitions internationales…

Au Sénégal comme au Maroc, le poids des traditions, du patriarcat, pèse sur les filles qui sont plutôt encouragées à se marier qu’à nager dans l’eau. Paola Hirou

Néanmoins, les surfeuses se battent pour casser ces stéréotypes comme l’Afro-américaine Rhonda Harper qui, avec son association Black Girls Surf, motive les jeunes filles noires à surfer. Elle coache également Khadjou Sambe, la toute première surfeuse professionnelle sénégalaise. Au Sénégal comme au Maroc, le poids des traditions, du patriarcat, pèse sur les filles qui sont plutôt encouragées à se marier qu’à nager dans l’eau. La quintuple championne du Maroc, Meryam El Gardoum, a eu la chance d’être soutenue par sa famille. Elle a ouvert la voie à d’autres Marocaines et forme désormais dans son école de surf les championnes de demain.

Ronda Harper
©Hélium éditions

Vous faites vous-même du surf. Que ressentez-vous une fois sur la planche, face aux vagues ? Qu’est-ce que ce sport vous apporte ?

Je surfe depuis l’âge de 18 ans mais j’ai encore des progrès à faire (rires). Je ressens un sentiment de liberté et une réelle connexion avec la nature une fois dans l’eau. J’associe aussi le surf au dessin car, dans les deux pratiques, c’est difficile de progresser. Il faut du temps et de la persévérance. Mais les surfeuses m’ont prouvé que si on a vraiment envie d’apprendre quelque chose et qu’on s’en donne les moyens, on peut y arriver.

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