Fil d'Ariane
Barabara était née juive le 9 juin 1930, à Paris de père Alsacien et de mère moldave, elle se nommait Monique Serf de son vrai nom et avait apprit le piano et le chant au Conservatoire de Paris.
Ses influences ? Piaf, Fréhel, Marie Dubas. Ce qu'elle ambitionne avant tout, c'est partager son monde intérieur, riche en émotions... et en blessures. A ses débuts, elle utilise les mots des autres, ceux de Pierre Mac Orlan, de Jacques Brel et de Léo Ferré.
En 1948, la voilà embauchée comme mannequin-choriste au théâtre Mogador où se joue "Violette impériales", une opérette : "Que c'est difficile de se déshabiller pour la première fois dans une loge où vingt-quatre filles à demi nues vous jaugent!" soupire-t-elle.
Elle passe au début des années 50 une audition à à La Fontaine des Quatre-Saisons, le cabaret que dirige Pierre Prévert, frère de Jacques, où se produit notamment Mouloudji, Maurice Béjart, Boris Vian.
Ces établissements parisiens, de taille modeste, font le plein chaque soir : "C'est aux soixante-dix spectateurs que contenait l'Ecluse que je dois d'avoir un jour rempli les trois mille places du Chapiteau de la porte de Pantin." Dans ce cabaret de l'Ecluse, devenu mythique, elle restera six longues années.
Les artistes qui s'y produisent trouvent dans ces cabarets un public disponible, attentif et souvent bienveillant.
Audition favorable mais, pas de chance, la programmation est déjà calée. Barbara est cependant acceptée... mais côté bar, à la plonge !
Un excellent poste d'observation : " L'école du cabaret, dira-t-elle, est une école très difficile. Le public est très près de vous, il pénètre toutes vos émotions. "
Elle y croisera Jacques Brel, qui, bien plus tard, lui donnera le premier rôle dans l'un de ses films, Franz.
Entre les deux artistes, une amitié indéfectible et sans orage.
Après une étape à Bruxelles à 18 ans et des prestations dans des lieux souvent glauques (elle se retrouvera à Abidjan dans un cabaret appartenant au gangster Jo Attia) la voici de retour à Paris où on la surnomme bientôt " la chanteuse de minuit".
C’est effectivement une bonne heure pour les noctambules. Ils la retrouvent sur scène, pâle et fragile. Payée trente francs par soir, le prix de quelques consommations, Barbara impressionne. La sensualité de ses textes, le grain de sa voix conquiert un public qui lui restera fidèle jusqu'à la fin.
D'années en années, il n'en finira plus de grossir.
Sa voix, poreuse d'émotion et ses mélodies simples touchent au coeur. Exigeante, dure parfois, perfectionniste en diable, l'artiste cohabite avec un mal de vivre qui sert de terreau à une oeuvre riche de près de 160 chansons.
Elle apprivoise peu à peu son spleen : " et puis un matin au réveil, c'est presque rien, c'est là et ça vous ensommeille, au creux des reins... le mal de vivre... On peut le mettre en bandoulière ou comme un bijou à la main, comme une fleur en boutonnière ou juste à la pointe du sein... " (Le Mal de vivre).
Avant tout, Barbara ne veut pas être " une grande dame de la chanson mais une femme qui chante "
Ce dont elle ne parle jamais mais qu'elle évoquera dans ses mémoires publiées après sa mort, c'est qu'elle a subi un traumatisme majeur dans son enfance.
Un inceste.
Dans Il était un piano noir (Fayard), Barbara raconte : " Un soir, à Tarbes, mon univers bascule dans l’horreur. J’ai dix ans et demi. Les enfants se taisent parce qu’on refuse de les croire. […] Parce qu’ils ont peur. […] De ces humiliations infligées à l’enfance, de ces hautes turbulences, de ces descentes au fond du fond, j’ai toujours resurgi. Sûr, il m’a fallu un sacré goût de vivre, une sacrée envie d’être heureuse, une sacrée volonté d’atteindre le plaisir dans les bras d’un homme, pour me sentir un jour purifiée de tout, longtemps après."
En 1970, elle sort ce qui sera son plus grand succès : l'Aigle noir. La chanteuse intimiste devient tout à coup populaire. Les radios commerciales diffusent la chanson régulièrement. On danse sur ce titre dans les boites à la mode ! Au point que l'Aigle noir caracole au cours de l'été en tête des ventes, devant les chanteurs yé-yé. Pourtant, en filigrane de cette chanson, il y a ce traumatisme. "Dans ma main, il a glissé son cou.." .. " C'est alors que je l'ai reconnu, surgissant du passé, il m'était revenu...".
Dans un huitième couplet non retenu, elle a écrit :
" Quatre plumes couleur de la nuit
Une larme ou peut-être un rubis
J'avais froid. Il ne me restait rien
L'oiseau m'avait laissée
Seule avec mon chagrin."
Détail important : la chanson est dédiée "à Laurence". Il s'agit de sa nièce, la fille de sa soeur Régine. L'enfant est alors âgée de quatre ans. Songe-t-elle alors à mettre en garde l'enfant ou sa mère ?
En 1973, elle quitte Paris pour Précy-sur-Marne, modeste village de 400 âmes. Une vieille ferme avec de la glycine en guise de collier, des chats et des chiens en guise de copains et un piano pour ami fidèle. Et les hommes ? « Ils marchent le regard fier/Mes hommes/Moi devant/Eux derrière ».
Et tout est dit.
Sa relation avec les gens dans la salle est unique. Elle chante la vie et des dizaines de milliers de cœurs battent pour elle. Ces anonymes sont, à jamais, sa " plus belle histoire d’amour" .
Quelques spectateurs chanceux ont parfois droit au miracle. Une fois la lumière revenue, la salle presque vide, des amoureux-fous continuent à scander son nom. Et Barbara réapparaît. Pour eux, rien que pour eux. Elle s'assoit au piano et met tout le monde en garde : " Bon. Vous vous installez là… Oui, autour du piano. Je joue, je chante… Une seule ! Ensuite vous partez. Promis ? Mais attention ! Pas un mot ! Je veux entendre une mouche voler ! "
On dit que ce soir-là, les mouches aussi ont pleuré.
En 1987, elle compose Sid’amour. La maladie fait des ravages et Barbara, sur la question, trouve les pouvoirs publics bien timides. Elle s'engage à fond dans la lutte contre le sida. Désormais, en tournée, il y a dans ses bagages des cartons de préservatifs. Sur scène, elle prévient : " Les capotes, vous allez me les acheter et vous allez me les mettre ! ".
Le public, stupéfait, applaudi.
Quelquefois, hors lumière, sans caméra ni micro ni journaliste, elle rend visite à des malades à l’hôpital où il y a " des anges qui se déplient/Qui se déploient/Disparaissent derrière les portes ". Elle ouvre même une ligne téléphonique confidentielle pour écouter la solitude des autres et l’apaiser.
L'artiste, on le voit, ne vit pas dans une tour d'ivoire, à l'abris des soubressaults du monde. Elle est une femme qui s'informe et s'indigne et qui n'hésite pas à joindre par téléphone celles et ceux "qui sont beaux de l'intérieur". Ainsi, le célèbre photographe Patrick Ullmann reçoit un soir un coup de fil de l'artiste. Il raconte : "J'ai entendu une voix de femme qui me disait : 'Allo, c'est Barbara. Oui, Barbara la chanteuse ! J'ai beaucoup aimé ce que vous avez dit à la radio. Vous pourriez passer me voir maintenant ?' Il était 23h. J'y suis allé le lendemain".
Barbara a beau être devenue une légende, elle hausse les épaule quand on lui parle d'un quota de chansons francophones que le gouvernement s'apprête alors, en 1994, à mettre en place : "La semaine de la chanson française? C'est quoi ça, quelque chose comme la quinzaine du blanc? Culpabiliser les radios, leur imposer un quota de refrains nationaux _ mais pas longtemps, hein! Ne vous en faites pas, ça ne sera qu'une courte pénitence _ c'est se donner bonne conscience à peu de frais. Allons donc, un sauvetage ne s'effectue pas par décret. Ce qu'on fait ces jours-ci s'apparente davantage à un enterrement qu'à une célébration."
A dire vrai, Barbara ne prise guère les grandes opérations commerciales, elle qui a débuté dans de très modestes cabarets où seule compte la proximité avec le public, toujours souverain dans ses choix. Elle refuse vertement tout ce qui peut contrarier le libre-arbitre de l'individu." Maintenant, la notoriété passe uniquement par le matraquage (a- t-on jamais vu un mot aussi adapté à sa fonction ?) sur les antennes. Et à coups de matraquage, on tue la chanson, le disque et l'artiste. Il ne faudrait pas mettre toutes les galettes de vinyle dans le même panier."
En 1984, elle est partie en tourné avec Gérard Depardieu pour son "Lily Passion", un spectacle musical qui a fait salle comble dans les plus grandes salles de France : " Cet homme, dit-elle, qui n'est ni mon amant, ni mon frère, ni mon père et qui m'a donné quatre ans d'attente, puis six mois de sa vie, c'est unique, c'est bouleversant."
A voir, autour du 20ème anniversaire de la mort de Barbara :
Un film :
"Barbara" de Mathieu Amalric, récit de cette dernière année de récital en 1994
Une exposition :
Paris rend hommage à Barbara, à la cité de la Musique, avec cette exposition composée de manuscrits, correspondances et dessins, d’innombrables documents inédits confiés par les proches de la chanteuse. Jusqu'au 28 janvier 2018