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Décerné le 7 novembre, le prix Médicis a retenu sept autrices et un auteur dans sa sélection de romans, dont la romancière française Virginie Despentes. Avec Cher connard, elle est l'une des favorites de cette consécration, également convoitée par Monica Sabolo et la jeune Diaty Diallo.
Cinq ans après la parution du dernier volet de sa trilogie Vernon Subutex (2015-2017), Virginie Despentes revient avec un nouvel ouvrage qui traite, entre autres, des relations entre les hommes et les femmes, et l’effacement des actrices de l’écran à un certain âge, par la profession.
Bien accueilli par la critique et le public à la rentrée littéraire 2022, le livre confirme l’acuité de la plume de l’autrice et sa capacité à brosser le portrait de nos sociétés contemporaines avec nuance, rigueur et lucidité.
Pendant longtemps Rebecca Latté a eu du succès. Une actrice célébrée par le public et la profession jusqu’à ce que "les chaînes de télévision, les producteurs et les distributeurs" arrêtent de lui donner du travail "au seul motif (qu’elle) avait vieilli".
"Je me rends incapable d’être bonne employée bonne épouse bonne adulte, ponctuelle, polie, fidèle. Fiable pour un système. Je suis défectueuse. Je suis difficile à exploiter. Je suis un mauvais soldat".
Rebecca Latté dans Cher Connard
Tombée dans l'oubli, elle poursuit sans honte son chemin jusqu’à ce que Oscar la remarque à la terrasse d’un restaurant à Paris. Indigné par le corps vieilli de celle dont il était tombé amoureux plus jeune dans ses rôles de "femme tour à tour dangereuse, vénéneuse, vulnérable, touchante ou héroïque", il n’hésitera pas à faire savoir son mécontentement dans un post injurieux sur Instagram où il traitera celle-ci de femme "épaisse, négligée (…), sale et bruyante".
Ce message parviendra à Rebecca Latté, qui répondra à son tour à Oscar avec les mêmes fougue et virulence, en lui rappelant son inutilité et lui souhaitant tous les maux du monde. Ce sera le point de départ d’un long échange épistolaire entre les deux protagonistes. À leurs manières, l’un et l’autre aborderont leurs enfances, leurs désirs de s’émanciper de leurs milieux d’origine, leurs parcours respectifs d’actrice et d’auteur estimés par la profession et le public, et la belle relation amicale qu’entretenait autrefois Rebecca Latté avec la sœur d’Oscar.
Virginie Despentes
— Caroline Bernard (@CaroPsy20) October 20, 2022
Cher connard pic.twitter.com/4gPqzPqiqH
À travers ces échanges, le livre montre aussi leurs réflexions sur la sexualité, et l’avènement du mouvement #metoo ayant permis de repenser les rapports entre les hommes et les femmes dans la société, après une réflexion de chacun sur son comportement et sur ce qui est tolérable ou non.
Il sera aussi question des excès d’Internet devenu un lieu de diffusion de la moindre fulgurance. Des réflexions qui résonnent particulièrement chez Oscar dont on perçoit à la fois l’incompréhension et la colère depuis qu’il a été cancellé suite au témoignage de Zoé Katana, son ancienne attachée de presse devenue une incontournable figure féministe sur son blog et les réseaux sociaux…
"Zoé Katana parle un langage que j’ai appris à écouter. Le langage des filles en colère. Il y a encore cinq ans, je n’aurais pas lu dix lignes de ses déclarations, j’aurais tout de suite pensé – elle doit être faible, il n’y a que les faibles qui se victimisent. Mais aujourd’hui, la ménopause m’a emportée ailleurs et je sais que quand tu te retrouves dans une situation de merde à laquelle tu ne peux rien changer individuellement, il faut le dire. Pour que d’autres puissent répondre – (moi aussi) et (je t’entends)."
Rebecca Latté dans Cher Connard
L’autrice écrit une langue directe, précise, débarrassée de toute retenue et de toute fioriture qui pourrait parasiter la lecture. L’emploi du tutoiement crée une intimité, fait de nous des lectrices et lecteurs actifs, capables de s’identifier aux personnages à certains moments, voire de ressentir certaines des émotions qu’ils ressentent tout au long du roman.
Co-auteur d’un ouvrage récent sur les littératures lesbiennes en France de 1900 à nos jours.
Terriennes : Qu’avez-vous ressenti à la lecture du livre de Virginie Despentes ?
Margot Lachkar : Comme beaucoup, et notamment beaucoup de féministes, j'attendais son nouvel ouvrage avec impatience. J'ai beaucoup apprécié la lecture, autant du point de vue "classique" que du point de vue plus universitaire.
Virginie Despentes nous a habitués à se saisir, dans ses ouvrages, des questionnements qui traversent la société française, et Cher connard ne fait pas exception. C'est entre autres pour cela que ce roman est devenu l'événement de la rentrée littéraire.
Les romans de Virginie Despentes sont autant d'inspirations et d'encouragements à continuer à se battre contre le patriarcat.
Margot Lachkar
Un événement, dites-vous ?
Oui, on se demandait ce que l'autrice allait avoir à dire sur notre société, cinq ans après avoir publié le dernier tome de la trilogie Vernon Subutex. Comme d'habitude, son regard acéré sur le monde et, à de nombreux égards, décalé, frappe là où ça fait mal, et pousse à la réflexion : qu'est-ce que le mouvement #metoo a changé, ou échoué à changer, tant d'un point de vue individuel, collectif que systémique ? Quel rôle les addictions jouent-elles ? Comment faire face à un événement aussi traumatique que le confinement ou au regard particulièrement sexiste posé sur les femmes qui vieillissent ?
Que représente Virginie Despentes pour vous ?
Pour moi comme pour un nombre très important de personnes LGBTI et féministes, Virginie Despentes représente une figure inspirante : elle est une icône lesbienne dans la communauté LGBTI. King Kong Théorie a inspiré la génération de féministes dont je fais partie, et chacune de ses interventions publiques et médiatiques suscite, dans ces communautés, l'enthousiasme sur les réseaux sociaux. Par ailleurs, ses romans, au-delà d'être extrêmement riches et bien construits, sont aussi autant d'inspirations et d'encouragements à continuer à se battre, coûte que coûte, contre le patriarcat.
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