Après s'être fait débrider les yeux, remodeler la mâchoire et refaire le nez en tour Eiffel, un nombre croissant de Chinoises succombent aujourd'hui à la folie du bistouri pour se faire allonger les jambes. Une opération esthétique extrême, douloureuse et dangereuse. Derrière ce phénomène se dessine un juteux marché, qui s’est développé en quelques années à peine.
Extrait de l'édition en anglais du magazine Marie-Claire, en avril 2003
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Perceuses, vis, boulons et tiges métalliques à portée de main d’un homme en combinaison… Non, ce n'est pas un atelier de mécanique, mais une opération de chirurgie esthétique extrême : l'homme scie en deux le tibia d'une jeune fille, puis il installe un dispositif qui permettra, chaque jour un peu plus, d'écarter les deux parties. L'allongement de la jambe se fait peu à peu par régénération du tissu osseux dans l’espace vacant. Et à mesure que l'espace s'agrandit, la jambe s'allonge.
Cette opération a été mise au point par un médecin russe du nom d’Ilizarov pour soigner des patients souffrant de déformations ou de nanisme, ou encore victimes d'accidents graves. Elle nécessite un appareillage lourd, et des mois d'immobilisation et de rééducation. Désormais, elle s'est banalisée dans un cadre purement esthétique, avec des patientes en bonne santé, ne souffrant d'aucune anomalie physique.
Amour, travail et succès
Qui sont les candidates ? De jeunes femmes âgées de 20 à 30 ans, pas forcément riches, mais qui sont prêtes à débourser entre 8 000 et 10 000 euros et à outrepasser la loi qui, depuis 2006, interdit l'allongement des jambes. La raison ? Elles veulent trouver l'amour, mais surtout décrocher un emploi ou faire carrière dans ce pays en plein bouleversement économique et social. "En Chine, les recruteurs et les petites annonces précisent régulièrement qu'ils veulent des candidates au physique agréable. Entre deux filles à compétences égales, ils choisiront la plus jolie. Les jeunes Chinoises estiment qu'il faut répondre à des critères de beauté bien précis pour plaire aux employeurs. Certaines n’hésitent pas à se métamorphoser. C’est la nouvelle loi du marché dans ce pays," explique à France Info la journaliste Emmanuelle Eyles, partie en reportage sur place.
Une publicité pour la chirurgie esthétique du nez supposé en “tour Eiffel“, le 9 août 2013 à Chongqing (Chine)
Dictature des canons occidentaux
Depuis l'ouverture de la Chine à la mondialisation et à l'économie libérale, les canons de beauté ont évolué. L'idéal de la femme pudique, androgyne, sourcils fournis et cheveux courts, hérité de la Chine communiste des années 1950-1960, a fait place au modèle occidental. Aujourd'hui, même en Chine, il faut être mince et grande, avec le nez fin et long, les yeux immenses et expressifs. Et à l'avenant, le corps des Chinoises change, sous l’influence des publicités et des vidéos mettant en scène des femmes répondant de moins en moins aux critères asiatiques. Les nouveaux modèles sont des vedettes européennes ou des mannequins métissées, comme la Franco-Chinoise Mylène Jampanoï, ou encore des actrices asiatiques ayant elles-mêmes eu recours à la chirurgie esthétique !
Un marché juteux
L'allongement des jambes s'inscrit dans cette tendance, qui entraîne principalement les femmes (90% des patients sont des patientes). Toutes issues d'une nouvelle génération de Chinoises friandes de chirurgie esthétique. Dans le pays, le sujet n'est pas tabou. Depuis une quinzaine d'années, la demande augmente de plus de 30% par an. "En 2010, on recensait trois millions d'opérations et un débridage des yeux toutes les 15 minutes, réalisé en moins d’une demi-heure pour environ 1800 €. Au total, la chirurgie esthétique en Chine représente 3 milliards d'euros annuels," précise Emmanuelle Eyles. Aujourd'hui, la Chine dispute aux Etats-Unis la place de numéro un de la consommation de chirurgie esthétique dans le monde, devant le Brésil. Triste record.
Capture d'écran du site d'un établissement pratiquant l’allongement des jambes à Pékin.
La dictature de ces critères de beauté, alliée à la pression professionnelle touchant les Chinoises, alimentent un marché juteux, non sans dérives. Seulement 1% des opérations est pratiqué par des chirurgiens diplômés, et les "ratages" sont nombreux. Les journaux asiatiques font régulièrement état de "patientes" aux jambes déformées ou aux os si fragiles qu'elles ne comptent plus les fractures, ou d’autres encore qui ont contracté toutes sortes d'infections à la suite d'une intervention esthétique. Selon la journaliste Emmanuelle Eyles, 200 000 opérations ont été ratées en cinq ans en Chine, tous types confondus. Les victimes n'ont aucun recours juridique.