Chine : Ye Haiyan, "Hirondelle excitée", la féministe à qui l'on veut couper les ailes

"Hooligan Sparrow", le documentaire dont elle est l'héroïne n'a finalement pas été retenu pour les nominations aux Oscars. Un mal pour un bien ? La féministe chinoise Ye Haiyan se bat au quotidien pour rester en Chine.
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Ye Haiyan
Dans son appartement pékinois, Ye Haiyan grelotte : les autorités viennent de lui couper le gaz, l'électricité, l'eau et internet.
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Dans son appartement pékinois, Ye Haiyan, audacieuse féministe chinoise, grelotte : les autorités viennent de lui couper le gaz, l'électricité, l'eau et internet. Alors elle se dit prête à remiser la provoc' au placard.

En décembre 2016, "Hooligan Sparrow" (le moineau voyou), le documentaire de la cinéaste Nanfu Wang, qui raconte son combat (et celui d'autres activistes) dans une affaire d'agression sexuelle de jeunes filles, avait été pré-sélectionné dans la catégorie "meilleur documentaire" aux Oscars.

Mais le film - dont le titre s'inspire du nom de plume de Mme Ye ("Hirondelle excitée") - n'a finalement pas été retenu dans la liste finale annoncée mardi 25 janvier 2017. Un soulagement pour la mère célibataire de 41 ans: "Si trop de monde avait commencé à s'intéresser à moi, je pense que je n'aurais plus pu rester en Chine", assure-t-elle.
 

Ye Haiyan s'est fait connaître à partir de 2012 grâce à des méthodes et à un discours très crus. Elle a offert gratuitement ses services sexuels à des ouvriers migrants, ces campagnards esseulés travaillant en ville. Et avec provocation, a proposé publiquement en 2013 de coucher avec le principal d'un collège de la province de Hainan (sud), accusé d'avoir violé des élèves.

Des procédés qui ont attiré l'attention d'Ai Weiwei, l'artiste et activiste indépendant chinois, qui a posé nu avec elle pour une photo qui a fait scandale.
 

Provocations et interpellations

Mais sa notoriété a également alerté la police : celle-ci l'a harcelée pour avoir organisé des manifestations contre l'affaire des viols à Hainan. Mme Ye a été interpellée et délogée à plusieurs reprises.

La réalisatrice Nanfu Wang, née en Chine et aujourd'hui basée à New York, a filmé dans "Hooligan Sparrow" ce quotidien d'intimidations, de détentions et d'expulsions vécu par la militante à l'été 2013, dans un montage qui reprend les codes du thriller.

"Une nomination (aux Oscars) aurait été une grosse nouvelle en Chine. Le genre d'information contre lequel la censure d'Etat se serait démenée", commente Nanfu Wang.

Mais elle l'admet aussi : fouler le tapis rouge à Hollywood aurait été à double tranchant. Une médiatisation aurait permis à la militante d'être davantage protégée, face à des autorités peu enclines à la libre expression de la société civile. Mais elle aurait peut-être aussi été synonyme de harcèlement pour les familles des deux femmes.

Depuis l'arrivée du président Xi Jinping au pouvoir fin 2012, les autorités ont déjà interpellé des centaines d'avocats, juristes, militants et intellectuels. Des dizaines ont été emprisonnés.

J'étais très naïve, Je pensais qu'en faisant du bruit, le gouvernement m'écouterait et changerait
Ye Haiyan, féministe et activiste chinoise

Ye Haiyan s'est installée en mars 2016 à Pékin, où elle gagne sa vie grâce à la peinture et à l'écriture d'articles. Mais depuis la sortie de "Hooligan Sparrow" l'an passé, elle se dit contrainte de faire profil bas pour ne pas être davantage harcelée.

"Avant, j'étais très naïve. Je pensais qu'en faisant du bruit, le gouvernement m'écouterait et changerait", dit-elle. Elle l'avoue, ses actions précédentes, inspirées du militantisme occidental, ont eu peu d'impact en Chine: "Les gens ne voulaient pas m'écouter. Ils pensaient que j'avais subi un lavage de cerveau avec les valeurs universelles de l'Occident".

Tentative de rapprochement avec le PCC

Pour tenter d'influencer ses compatriotes, elle dit désormais vouloir "essayer de mieux les comprendre" et de "trouver un langage qu'ils puissent accepter". "Je suis même disposée à travailler avec le Parti communiste chinois" (PCC) au pouvoir, assure-t-elle.

Le PCC semble moyennement intéressé : après la publication par Mme Ye d'un article critiquant les admirateurs de Mao Tsé-toung, la police locale l'a menacée de l'enfermer à son domicile si elle ne partait pas volontairement, raconte-t-elle. On ne plaisante pas avec le fondateur de la République populaire, même 40 ans après sa mort.
"Tant qu'on me donnera un petit espace dans ce pays pour survivre et m'exprimer, je ne partirai pas et je ne renoncerai pas à la critique", jure Ye Haiyan.