Christine Lagarde : "Sans quotas, il faudrait 140 ans pour arriver à la parité !"

"Faut-il des quotas ?" A cette question, la réponse de Christine Lagarde est claire et nette : oui ! La présidente de la Banque centrale européenne avoue qu'au fil du temps, après quarante ans d'expérience professionnelle, elle a changé d'avis. Comme elle a pu le constater, une évolution au "simple mérite" ne permet pas aux femmes de trouver "toute leur place". 
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Lagarde
Dans la gestion de la pandémie, "les femmes s'en tirent mieux" juge la présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, ici lors d'une session plénière au Parlement européen à Bruxelles, le lundi 8 février 2021.
©AP Photo / Olivier Matthys, Piscine
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"J'ai complètement changé mon approche des quotas. Quand j'ai commencé ma carrière, à la fin des années 1970, j'étais convaincue que les femmes progresseraient et que, sur la base de leurs simples mérites et de leurs valeurs, elles trouveraient leur place et toute leur place", explique Christine Lagarde.

La présidente de la BCE s'exprimait en visio le vendredi 18 mars 2021 lors d'une audition à l'Assemblée nationale française dans le cadre de la mission d’information sur l’égalité économique et professionnelle de la Délégation aux droits des femmes.
 

Aujourd'hui, elle se dit "résolument favorable à des quotas" de femmes dans les entreprises, après avoir pris conscience qu'en l'absence d'une telle mesure, il faudrait "140 ans" avant d'arriver à la parité.

Quand je demandais : où sont les femmes ? On me répondait : elles ne veulent pas des quotas, elles veulent y arriver par leur propre mérite. Mais quand j'allais leur poser la question, je voyais bien que ce n'était pas vrai.
Christine Lagarde

Sur le ton de la confidence, la dirigeante raconte comment, lorsqu'elle demandait "Où sont les femmes?", on lui répondait deux choses : "Elles ne veulent pas des quotas, elles veulent y arriver par leur propre mérite. Mais quand j'allais leur poser la question, je voyais bien que ce n'était pas vrai. C'est irrecevable de mon point de vue. Le deuxième obstacle qu'on m'opposait était : 'mais je voudrais bien engager des femmes, elles sont tellement formidables, mais je n'arrive pas à en trouver...'" Elle explique alors qu'elle avait une technique pour parer à cette réponse, sortant de son sac à main une liste de noms de femmes, "dont je savais qu'elles étaient volontaires et compétentes". 

Des quotas et de la "granularité"

"Il ne m'a pas fallu longtemps pour m'apercevoir, quand je regardais autour de moi dans un grand cabinet d'avocat international, qu'il y avait 5% de femmes associées dans la firme et un calcul rapide laissait penser que cela prendrait 140 ans avant qu'on arrive à la parité", reconnait-elle.

"Donc je suis résolument favorable à des quotas", ajoute cette mère de deux enfants, qui a travaillé 25 ans comme avocate d'affaires chez l'américain Baker MacKenzie avant de devenir ministre de l'Economie en France, puis de diriger le Fonds monétaire international, avant la BCE depuis 2019.

On ne peut pas se contenter de quotas généraux. Il faut de la granularité, aller dans le détail des postes de direction ou de sous-direction.
Christine Lagarde

En pratique, elle juge "important qu'on commence par des incitations et qu'on évolue ensuite vers des choses plus contraignantes" ; elle plaide aussi pour "un mécanisme qui permette de vérifier" si les engagements sont tenus, sans pour autant générer une "montagne de bureaucratie" pour ne pas "exaspérer les entreprises". Selon elle "on ne peut pas se contenter de quotas généraux" mais "il faut de la granularité", c'est-à-dire "aller dans le détail des postes de direction ou de sous-direction", afin d'éviter une trop grande concentration des femmes aux échelons de direction les plus bas. 

Un chiffre vient appuyer ses propos : 7,5% des dirigeants des plus grandes sociétés européennes quotées en bourse sont des femmes. 

Christine Lagarde raconte aussi cette photo prise lors d'une rencontre des gouverneurs des banques nationales des 19 pays de la zone euro. "A l'origine, sur cette photo, il y avait trois femmes, il y en avait deux sur des peintures accrochées au mur, de très jolies peintures du XVIIIe siècle, et puis... il y avait moi ! Heureusement depuis l'Allemagne a nommé une femme à la tête du conseil exécutif, donc maintenant nous sommes deux."
 

Covid-19 et leadership féminin

"Concernant la pandémie, le leadership féminin a particulièrement réussi à s'appliquer pendant cette période, même les commentateurs masculins ne trouvent pas cela très juste, mais selon plusieurs études, la perception qu'ont les acteurs économiques de la gestion de crise par les femmes, c'est qu'elles sont plus efficaces", ajoute sur ce point Christine Lagarde, citant une étude de la Harvard business school. Celle-ci, se basant sur 19 critères, démontre que dans 14 d'entre eux, les femmes "performent" mieux que les hommes, "dans la capacité d'écoute et d'empathie, dans la capacité de motiver, de contrôler, des traits qui ne sont pas tout à fait inhabituels".
 
Dans cette crise, les femmes y ont perdu plus que les hommes. En termes d'emploi et en termes de salaire.
Christine Lagarde
"Les femmes s'en tirent mieux. Personnellement, cela a toujours été une de mes théories, probablement parce qu'en période de crise, on leur donne leur chance. Moi, c'est ce que j'ai personnellement vécu, quand ça n'allait pas bien, il n'y avait pas beaucoup d'hommes se disant prêts à faire le job", ajoute-t-elle. Et de citer le principe initié par Eleanor Roosevelt : "La femme est comme un sachet de thé, vous mesurez sa force quand vous la plongez dans l'eau bouillante". 

Christine Lagarde dresse aussi un autre constat : "Dans cette crise, les femmes y ont perdu plus que les hommes. En termes d'emploi et en termes de salaire". Un chiffre : parmi les 18-34 ans, la proportion de femmes ayant perdu leur emploi est de 11%, contre 9% chez les hommes. 
 

Des budgets genrés

"Au bout du bout du compte, il faut de l'argent !, lance encore Christine Lagarde. Quand il s'agit de donner des budgets, à l'échelon d'une entreprise ou d'un organisme public, on peut très bien faire en sorte que l'obtention d'un budget, son élaboration ou son augmentation, soit soumis à une égalité entre les genres". 
 
La marche est trop haute. Si des mesures exclusives, un peu discriminatoires ne sont pas mises en place pour des périodes permettant de raccourcir le temps qu'on mettra à parvenir à l'égalité, on n'y arrivera pas !
Christine Lagarde
"Comme beaucoup d'autrices féministes l'ont fait, je pense que pour pallier le manque de confiance, il faut mettre en place des mécanismes de formation professionnelle, d'encouragement, de bourses, des procédures d'identification de talents, de recrutement plus volontaristes, pour encourager les femmes à se proposer, à ne pas se sous-estimer, à être capable de réclamer une augmentation de salaire. En quarante ans de vie professionnelle, je n'ai encore jamais vu une femme venir me demander une augmentation !" , confie la présidente de la BCE. 
 
Un congé paternité en équité
Christine Lagarde se dit aussi en faveur du congé paternel "sans substitution" et à l'obligation pour les entreprises, "au-delà d'un certain seuil", de proposer des "systèmes de crèche et de garde d'enfants". La présidente de la BCE raconte avoir découvert à l'occasion de la Journée internationale des droits des Femmes, le 8 mars, que la Banque centrale  accordait un congé maternité de six mois et un congé paternité de quatre semaines. "Donc on va un peu changer les choses", a-t-elle promis. 
"Je vois déjà les levées de bouclier sur ces sujets-là, mais la marche est trop haute. Si des mesures exclusives, un peu discriminatoires, ne sont pas mises en place pour des périodes permettant de raccourcir le temps qu'on mettra à parvenir à l'égalité, on n'y arrivera pas !", conclut-elle.