Fil d'Ariane
Une photo non retouchée de Cindy Crawford, 48 ans, ravit le Web. Les internautes saluent «la vraie femme». Mais alors qui sont les fausses ?
Le cliché de John Russo a été pris lors d’un shooting en décembre 2013 au Mexique pour Marie Claire Amérique latine. C’est donc une photo de mode sauf qu’elle n’a pas du tout été retouchée. Cindy Crawford a le ventre, le cou et les cuisses d’une femme de son âge, 48 ans et deux maternités. Cet effet «100% nature», comme le précise le tweet d’origine, suscite sympathie et gratitude sur la Toile.
Parmi les centaines de milliers de commentaires sur Facebook, Twitter ou Instagram, on peut lire: «Cindy Crawford est juste sublime»; «Avant, Cindy Crawford m’inspirait du respect. Maintenant, elle a toute mon admiration»; «Enfin une femme qui n’est pas en plastique» ou encore «Pas besoin de retouche, Cindy Crawford est belle».
Un titre pourtant n’a pas profité de cet état de grâce. Sur son site Facebook, Le Monde a été houspillé par ses abonnés qui l’ont comparé à Closer. En cause, un titre qui parlait des bourrelets et des vergetures de Cindy Crawford. «Parle-t-on du gros bide de DSK?» s’insurge un Internaute. Sous la pression des commentaires, le quotidien a remplacé son intitulé jugé misogyne par un autre plus consensuel: «Une photo non retouchée de Cindy Crawford saluée par les internautes». Car, dans cette affaire, c’est l’unanimité du Web qui fascine, plus encore que la photo de Cindy Crawford .
Les internautes, hommes et femmes, applaudissent le courage et l’audace d’un tel cliché. Mais le courage de qui ? Cindy Crawford ? Ce n’est pourtant pas elle qui a choisi de se montrer ainsi et de le revendiquer. En revanche, le lendemain, jour de la Saint-Valentin, son mari publiait une photo de sa femme en bikini pour «corriger» sur Instagram les défauts de Twitter. Photoshop ? Non, les yeux de l’amour.
Courage de la journaliste-twitteuse ? Faut-il en avoir pour balancer ainsi l’idole de sa jeunesse ? En d’autres temps, on aurait parlé de photo volée, de «Cindyleaks» ou d’outing forcé. Culot de Marie Claire alors ? Pas davantage. L’hebdomadaire parle d’une fuite et ajoute: «Peu importe son origine, ce cliché est lumineux. Nous avons toujours su que Cindy Crawford était belle. Mais la voir ainsi ne nous fait que l’aimer davantage.» Pas assez quand même pour avoir choisi cette version brute de Photoshop en couverture du magazine de décembre 2013. Mais assez pour figurer dans le prochain numéro américain de Marie Claire, pour un dossier sur les anciennes «supermodels».
L’écho suscité par cette image est d’un autre ordre. «Jamais Photoshop n’abolira le destin», écrit une internaute qui connaît son Mallarmé. Cindy Crawford, aussi déesse soit-elle, est comme tout le monde: elle vieillit. Et comme elle vieillit, elle est humaine. Et comme elle est humaine, elle est vraie. Et comme elle est vraie, elle est vertueuse. Et comme elle est vertueuse, elle est belle. CQFD. «Cindy, Thank you for showing the world the truth! Gorgeous then, and gorgeous now !» («Cindy, merci de montrer la vérité au monde entier. Magnifique avant, magnifique maintenant»). La vérité, le mot revient sans cesse. «Elle n’est pas toujours belle à voir», ose une internaute qui se fait insulter aussitôt.
Si embellir, c’est tricher. Enlaidir, est-ce dire la vérité ? Car le cliché «nature» de Cindy Crawford, il en existe plusieurs versions sur le Web. Certaines ont même été photoshopées pour accentuer l’effet «nature» ou «mature» du modèle, comme si en lui ajoutant un ou deux plis sur le ventre, la démonstration devenait plus éloquente. Au-delà du buzz, cette image a une valeur militante: «la vraie femme» contre la fausse, celle qui a passé un contrat avec Photoshop, autant dire avec le diable. Le débat devient moral.
D’ailleurs une blogueuse du Nouvel Obs titre: «Cindy Crawford, 48 ans, sublime en bikini sans Photoshop: Madonna devrait avoir honte». Honte ? Le buzz pourrait devenir une croisade.
Article original paru dans Le Temps de Genève