Fil d'Ariane
"Une femme majeure sur deux a plus de cinquante ans aujourd'hui, soit un quart de la population majeure totale, mais cette majorité réelle dans la vie est traitée comme une minorité
invisible dans les fictions ! Or, les films transportent des normes, des valeurs, fournissent matière à l'inconscient collectif. Que veulent dire ces films qui racontent un monde où la femme peut être mère jusqu'à 40/45 ans puis elle disparait pour revenir, parfois, en tant que grand-mère ? "
Marina Tomé prend le temps de bien expliquer.
Le ton est posé, aimable et précis.
"Or, poursuit-elle, c'est à cinquante ans que nous avons notre maturité professionnelle, que nous sommes dans notre puissance de femme, comme les hommes..."
La comédienne est à l'origine de cette commission, Tunnel de la comédienne de 50 ans, une émanation de l'association AAFA, (Actrice, Acteurs de France Associés).
L'idée lui est venue alors qu'elle passait une visite médicale. La médecin s'étonne de trouver en consultation une actrice de cinquante ans. "Est-ce que vous travaillez ? lui demande-t-elle. Parce qu'içi, on ne voit plus içi beaucoup d'intermittentes du spectacle une fois passé cinquante ans. Au point que nous avons décidé de faire une étude à ce sujet..." Et de lui montrer l'étude censurée par le directeur du centre, hostile à toute publicité sur la question.
C'est le déclic.
Marina Tomé rentre chez elle avec l'étude sous le bras. L'actrice épluche les travaux et se passionne contre cette injustice criante dont, bien que victime, elle ignorait jusqu'alors l'ampleur : " Les femmes de plus de 50 ans représentent un quart de la population majeure de France, et ne sont représentées qu’à hauteur de 6 % dans les films français de 2016 !'.
Sur le site de l'AAFA, la commission vient de publier quelques camemberts qui ne sentent pas très bon :
Le 11 avril, elle publie un manifeste qui demande, entre autres, "À ce que la différence d’âge dans les couples de fiction soit plus proche de la réalité (deux ans dans les couples français, source Insee) lorsque cela ne change pas le sens de l’histoire. Par exemple, quand le personnage masculin a plus de 50 ans, éviter de lui octroyer une compagne de vingt ans sa cadette".
Plusieurs milliers de personnes, hommes et femmes, ont déjà signé le manifeste (traduit en anglais, en espagnol et en italien) qui va bientôt se retouver sur le bureau de la ministre de la Culture, désormais porteuse de tous les espoirs.
"Cette période particulière de la vie d’une comédienne, autour de la cinquantaine, cette zone de RIEN que beaucoup traversent. Au cinéma et à la télévision surtout, mais aussi dans le doublage, dans le milieu de la pub et au théâtre. C’est le tunnel de la comédienne de 50 ans et plus. Ce RIEN, nous voulons le nommer, l’éclairer et nous voulons agir pour lever le tabou de l’âge pour les femmes et les comédiennes en particulier"
"C'est un travail de tout le monde, de tous les corps de métier qui doivent s'engager à faire à chaque fois un petit millimètre pour que les choses changent. Il faut sortir de la guéguerre des scénaristes qui affirment que c'est la faute des réalisateurs ou des productions... Un sociologue, Eric Macé, parle de "conformisme provisoire" en référence à un système de pensée qui a été élaboré et, comme tout système de pensée qui n'est pas de l'ordre du naturel mais relève d'un acquis culturel, il est possible de le bouger".
Mais les femmes réalisatrices ne représentent-elles pas un espoir dans ce combat ? "Il n'y en a pas encore assez ! Cela fait dix ans que l'on fait des constats et les choses ne bougent pas !" Mais pourtant il y a Catherine Deneuve, Nathalie Baye, Agnès Jaoui, Catherine Frot ? "Ce sont des arbres-stars qui cachent la forêt !"
Fin des années 90, à l'occasion de la cinquantième édition du Festival de Cannes, Macha Méril avait frappé fort sur la Croisette en lançant " les Cinquantièmes jubilantes " avec ses amies Alexandra Stewart, Bernadette Lafont et Anna Karina. Des actrices qui, comme elles, exigeaient une meilleure représentation des femmes au cinéma et à la télé. La grosse caisse médiatique du Festival de Cannes avait résonné puis plus rien. La situation, depuis, n'a guère évolué, sinon en pire. La comédienne Sylvie Guichenuy peut en témoigner.