Cinéma : "Dirty God", les femmes brûlées à l'acide à visage découvert

Dirty God, "Sale Dieu", est l'histoire de Jade, brûlée à l'acide par son ex, le père de sa fille. Comment s'accepter ? Comment retrouver sa place? C'est un film sur les cicatrices intérieures qu'il faut réparer seule pendant que les médecins s'occupent de celles qui se voient. Terriennes a rencontré l'actrice et la réalisatrice.
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dirty dog maroc
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Jade est une jeune femme d'un milieu modeste, qui vit avec sa mère et sa petite fille de deux ans dans une ville sans charme d'Angleterre. Elle est jolie, elle aime sortir avec des copines, faire la fête, danser, boire des bières... Un jour, sous prétexte de voir l'enfant, son ex vient la voir et lui jette de l'acide au visage. Le début du film trouve Jade à sa sortie de l'hôpital, avec encore un masque en plastique sur le visage pour couvrir les lésions en voie de cicatrisation. Mais avant cela, dès la séquence d'ouverture, l'immersion est totale dans le vif du sujet, à mesure que la caméra voyage en gros plan sur les crevasses et replis d'une peau vitriolisée. D'emblée, le public est saisi, entre effroi et poésie.
jade masque
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L'émotion, la douleur ou l'espoir du parcours de Jade sont véhiculés avec émotion par l'interprétation de l'actrice britannique Vicky Knight. Peut-être parce que l'actrice n'est pas - ou pas encore - comédienne professionnelle, certainement parce qu'elle est elle-même une grande brûlée. 

Etre, jouer, rejouer

Vicky Knight avait 8 ans quand elle a été brûlée lors d'un incendie qui a tué ses deux cousins et l'homme qui lui a sauvé la vie. Dans Dirty God, Jade est brûlée au vitriol, mais au fond, le travail de reconstruction est le même : "Les moqueries, les insultes, les commentaires blessants. J'ai mis beaucoup de moi-même dans ce film, à commencer par les larmes et les sentiments de Jade lorsqu'elle doit apprendre à vivre avec ses brûlures," explique l'actrice. 

La confrontation avec ses cicatrices est violente, d'autant que Vicky Knight, les a cachées pendant quinze ans - la Jade du film, elle tente un jour de se dérober aux regards en se promenant en burqa. Pourquoi tout à coup les dévoiler en gros plan ? Pour montrer à tout le monde qu'elle n'était pas le monstre qu'elle avait eu l'impression d'être tout au long de son enfance et de son adolescence à travers le regard des autres ? "Je ne comprenais pas pourquoi il fallait en passer par-là, mais quand j'ai vu le résulat, c'était comme une oeuvre d'art," s'étonne-t-elle encore. Le début d'un processus de réconciliation ?

Acceptée, à tout prix

Vicky Knight se souvient comment, à l'école, les autres se moquaient d'elle : "Je ne savais plus quoi faire pour être comme tout le monde, pour être acceptée. Alors j'essayais de me tourner moi-même en dérision pour copiner avec les autres faire rire mes 'amis'. Avec le recul, je trouve cela triste et pathétique." Livrée à elle-même, sans aide psychologique, avec sa mère seulement pour l'aider, Vicky Knight se souvient de sa descente aux enfers, jusqu'à ce qu'elle engage une thérapie, à 21 ans. "Parce que j'étais en vrac, suicidaire, je me négligeais. J'avais baissé les bras, je ne voulais plus vivre avec mes cicatrices." 

affiche dirty god
Contactée pour le film, elle ne veut pas en entendre parler. Peu de temps auparavant, elle a déjà participé à ce qui lui avait été présenté comme "documentaire" pour la télévision. Un reality show, en réalité, dans lequel elle s'est sentie humiliée à la télévision. La réalisatrice insiste, pourtant : "Pour Dirty Dog, il fallait une fille comme elle, pas une comédienne professionnelle maquillée, explique Sacha Polak. Et puis je suis tombée "amoureuse" du personnage. J'ai succombé à son énergie, son audace, son humour, ses yeux magnifiques. Il nous a fallu du temps pour s'apprivoiser. Elle se méfiait de ces gens qui débarquaient chez elle pour faire un film. Il m'a fallu l'apprivoiser, puis m'assurer qu'elle était fiable. Nous allions à la piscine tous les dimanches. Je lui ai appris à nager." 

En tournant Dirty Dog, Vicky Knight revit sa vie de grande brûlée. "Je ne soupçonnais pas que ce rôle allait raviver toutes ces blessures en moi et me déstabiliser autant. J'ai beaucoup pleuré, je me suis effondrée à plusieurs reprises." Mais en revivant les phases les plus noires de son passé, elle les rejoue d'une façon positive alors que, jusqu'à présent, elle n'avait retenu que les facettes négatives. Et c'est ce que veut le film :  montrer à d'autres brûlées ce que Vicky, à travers ce rôle, a appris sur elle-même. "Je ne me cache plus. J'aime la personne que je suis. Je ne suis plus 'la fille aux  brûlures'. Plus rien ni personne ne pourra me casser, désormais. Mais sans le film, sincèrement, je ne serais plus là...
 


Parce qu'un regard, une remarque, ça peut tuer.
Vicky Knight, actrice

Education à l'empathie

Eduquer les gens à l'empathie pour qu'ils apprennent à communiquer avec les grands brûlés - tel est l'objectif exprimé par Sacha Polak. Parce que Vicky est bien placée pour le savoir : "Un regard, une remarque, ça peut tuer." Sans même que les gens en soient conscients, chaque commentaire blessant détruit un peu plus ce qui reste de confiance en soi - un regard, et alors ? "Je peux vous dire chaque jour exactement combien de regards se sont arrêtés sur moi, insiste Vicky Knight. Au moins cinquante, tous les jours. C'est dur, très dur.

Aujourd'hui, l'actrice a trouvé en elle les ressources pour les ignorer : "L'autre jour, dans le train, tout le monde me regardait et un groupe de touristes riait de moi ouvertement. Hier encore, je n'aurais pas pu retenir mes larmes, je me serais cachée sous mon manteau et je serais descendue à la station suivante. Là, je les ai juste ignorés : 'Je suis comme ça, si vous n'aimez pas, ne regardez pas'."

sacha polak
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Pour imaginer Dirty Dog, Sacha Polak s'est inspirée de différentes histoires réelles. Tout commence avec un regard croisé à un festival de musique : "Il y avait cette fille, très profondément brûlée au visage. Je l'ai fixée, puis j'ai détourné le regard, et tout le monde faisait pareil," se souvient-elle. Le visage, c'est notre identité, la porte de la communication. Aujourd'hui plus que jamais, l'apparence est importante et l'on existe surtout dans le regard des autres. "Comment cette fille se prépare-t-elle à affronter ces réactions avant de sortir ?, se demande la réalisatrice.

Puis à Londres, une série d'agressions à l'acide fait la une de la presse. Alors Sacha Polak rencontre ces femmes défigurées via la fondation Katie Piper, qui leur vient en aide. Comment voient-elles leur vie amoureuse ? Qu'est-ce qu'une vie normale ? "Quand je leur parle, j'oublie les cicatrices au bout de cinq minutes, je ne vois plus que la personne. Je veux que mon film ait cet effet-là.," explique-t-elle. 

Les hommes dans le décor

Dirty God est un film de femmes : l'actrice, la réalisatrice, et une équipe de tournage en majorité féminine. Pour la réalisatrice Sacha Polak, la dimension d'empouvoirement du film est importante : Je ne voulais pas en faire une victime. A mes yeux, Jade est une héroïne. C'est un film fait par des femmes et qui révèle la force des femmes, alors qu'elles sont encore trop souvent considérées comme des êtres sensibles et émotifs."

Sacha Polak ne les épargne pas, et voudrait voir davantage de personnages féminins qui ne soient pas "aimables" dans les films. Dirty Dog montre la difficulté de cohabiter pour trois générations sous un même toit et révèle aussi une facette sombre de la maternité, lorsque Jade retrouve une mère qui l'exclut davantage qu'elle ne la soutient. "Défiguré, son bébé parfait ne vaut plus rien, explique Vicky Knight. Alors elle essaie de l'évincer et de s'approprier le bébé. C'est une sorte de deuxième chance pour elle, qui n'a pas forcément été une bonne mère". A Jade, donc, de retrouver sa place entre sa fille et sa mère, après son long séjour à  l'hôpital.

jade et sa fille
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Mère, fille, petite-fille, juge, amie... Les femmes sont centrales, dans Dirty Dog. Elles vont de l'avant et surmontent les épreuves. Les hommes sont des personnages périphériques qui, çà et là, croisent sur le chemin des femmes. "Dans ce film, la femme est vraiment l'égale de l'homme, peut-être même un petit cran au-dessus," dit malicieusement Sacha Polak.


Renoncer n'est jamais une solution. Quand on est différent. il faut être fort.
Vicky Knight

Vicky Knight est aujourd'hui infirmière dans l'l'hôpital où elle a été soignée, dans le service qui lui a sauvé la vie quand elle avait 8 ans. Le cinéma est maintenant son autre passion. Le cinéma qui l'a changée, qui lui a permis de recoller les morceaux et lui a montré qu'elle pouvait, malgré ses cicatrices, vivre aussi intensément que les autres. "Renoncer n'est jamais une solution, dit-elle. Quand on est différent. Il faut être fort, c'est la seule option. Sinon, on renonce. A un moment, j'ai renoncé, et c'est la pire chose à faire. Je ne suis pas comme tout le monde, et alors ?"