D'échos fielleux en ragots intimes, Hedda Hopper et Louella Parsons faisaient trembler Hollywood. Ingrid Bergman et Charles Chaplin ont été leurs victimes. Un film évoque l'incroyable pouvoir de nuisance de ces deux "tatas flingueuses" d'exception.
L'histoire aurait pu naître dans le cerveau d'un scénariste hollywoodien. Une histoire aux petits oignons : à la fois cruelle, perverse et touchante, un ascenseur pour décrocher un Oscar.
Cette histoire, la voici.
Il était une fois deux femmes, Hedda Hopper et Louella Parson.
La première, Hedda, était une actrice sur le déclin après une carrière de cent vingt films. Les propositions de rôle se raréfiant, elle se reconvertit dans le journalisme au début des années 1930.
La seconde, Louella, était déjà dans la place.
Ses articles sur Hollywood nourissaient un public déjà affamé de potins étoilés. Première chroniqueuse du cinéma américain, habile et travailleuse, Louella avait signé en 1923 un joli contrat avec
William Randolf Hearst, magnat de la presse et personnage sulfureux.
En 1929, elle gagnait déjà 500 dollars (ce qui serait un peu plus de 7000 $ en 2018) par semaine.
Son salaire de début.
Louella, aspirateur à ragots
L'industrie du cinéma craignait sa prose.
Avec raison.
La plume de Louella Parson était suivie par des dizaines de millions de personnes. Cette puissance de feu, elle la devait à son patron, propriétaire de 46 journaux et magazines sur le territoire américain mais aussi aux centaines de titres auxquels la journaliste collaborait. La cancaneuse avait également son émission radio.
On la lisait avec avidité, on l'écoutait avec gourmandise.
Louella Parson, à sa manière, était un gardien de la morale. Ses points de suspension concernant un probable flirt, ses insinuations d'un amour interdit faisait vaciller les carrières les plus établies. Cet aspirateur à ragots avait mis en place une méthode simple. Pour ses informateurs, un seul mot d'ordre :
"Tu le dis à Louella d'abord."Coiffeurs, chauffeurs, liftiers, serveurs, médecins et avocats communiquaient les infos.
Dans cette ruche de la délation, ces personnes étaient ses abeilles-ouvrières. Ce sont elles qui ramenaient ces pollens de confidence. Louella-la- reine en faisait son miel qu'elle tartinait à longueur de pages.
Rien ne lui échappait.
On disait d'elle qu'elle était souvent au courant de la grossesse d'une starlette avant celle-ci. Elle décrocha son titre de gloire le jour où, scoop en diamant, elle annonca la rupture entre
Douglas Fairbanks Sr. et
Mary Pickford.
La nouvelle, il est vrai, était considérable.
A cette époque, la seule apparition des deux artistes embrasait les foules et provoquait de violentes émeutes.
Une piscine de détritus intimes
Mais
Louis B. Mayer , le patron de la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM) s'inquiéta du pouvoir dont jouissait Louella.
En 1937, il organisa la contre-attaque.
Je n'avais pas le droit de parler tant que mon mari était en vie mais depuis son départ, personne n'a été capable de me faire taire
Hedda Hopper
Il encouragea Hedda Hopper, 52 ans à venir braconner sur les terres faisandées de la journaliste-star.
En lui ouvrant son carnet d'adresse, il lui permit de gravir les colonnes des journaux. Forte de ces contacts, l'ex-actrice pu dès lors barboter dans cette piscine de détritus intimes.
Au fond, l'objectif du producteur était simple : contrarier, sinon anesthésier la sphère d'influence de Louella.
Une sorte d'équilibre des nuisances.
Ce fut une erreur stratégique monumentale.
"Une saloperie à ongles nus"
Si Louella Parsons mordait, Hedda Hopper déchiquetait.
Sa devise était :
"Personne ne s’intéresse à la douceur et à la lumière". Ni pudeur, ni devoir de réserve, ni précaution pour Hedda Hopper. On surnommait cette experte des coups tordus, maîtresse des phrases assassines et, parfois, grande bidonneuse d'articles, "la chienne du monde".
Elle ne démentait pas. Elle s'en flattait.
Devenue veuve, elle exerçait son pouvoir de nuisance à temps plein.
En 1913, elle avait épousé William DeWolf Hopper, un acteur et chanteur américain. Le bonhomme avait contracté tellement d'unions qu'on le surnommait le "mari de son pays"!
Entre les deux femmes, la bataille fit rage, au point qu'un confrère journaliste estima que ce combat était une "saloperie à ongles nus".
Mais le public en redemandait. Les tirages s'envolaient : leur lectorat commun atteignait 75 millions de personnes, soit près de la moitié de la population américaine.
Louella Parsons, quoique plus prudente dans ses écrits, se mit au diapason et panacha sa prose de vitriol. Il fallait bien suivre pour survivre.
Hedda Hopper gagnait 200 000 dollars par an et en dépensait plus de 5000 uniquement pour sa collection de chapeaux.
Sans parler des cadeaux des studios.
Ils étaient somptueux.
Pour acheter ses bonnes grâces, peut-être son silence, un producteur lui offrit même une Rolls.
A celles et ceux qui lui rendaient visite dans son manoir de Beverly Hills, elle affirmait que cette maison
"avait été construite par la peur". Variante : en balayant sa propriété d'un geste ample, elle disait : "
Voyez tout ce que la peur m'a offert !"Elle était vicieuse, cruelle et souvent sadique.
Ses victimes étaient les noms en haut de l'affiche. Simplement.
Louis B. Mayer était au supplice. Il soupirait :
" Au lieu de me débarrasser d’un monstre, j’en ai créé un second… "Exact.
En mordant, les deux vipères faisaient et défaisaient les carrières.
Chaplin et Ingrid Bergman parmi ses victimes
L'actrice Ingrid Bergman était l'amante du réalisateur italien Roberto Rossellini. Pour débusquer quelques détails sur leur
passion, Hedda Hopper fit le déplacement jusqu'à Rome. Elle écrivit sur leur enfant "illégitime". Scandale.
Après avoir publié un article sur Katharine Hepburn et sa relation avec Spencer Tracy, l'acteur se vengea un soir en lui bottant les fesses dans un restaurant.
Elle attaqua fréquemment Charlie Chaplin dans les années 1940 pour sa politique et sa vie amoureuse. A son sujet, elle répétait : " Il est venu pour dîner, et il est resté quarante ans... "
America first
Elle se flattait d'être une conservatrice radicale, soucieuse "des idéaux américains".
Dans les années 1950, elle fit don de son venin au sénateur McCarthy. Ensemble, ils traquèrent les communistes (ou prétendus tels) qui vivaient à Hollywood. Dans ce climat irrespirable, la redoutable puisait son oxygène.
En 1952, elle exulta. Charles Chaplin se vit refuser son autorisation de rentrer aux États-Unis après son voyage en Europe.
Ultime consécration, dans Sunset Boulevard (Billy Wilder, 1950), Edda Hopper jouait son propre rôle.
Et tant et tant de choses encore qu'il serait dommage de déflorer ici.
Il faut voir "Hollywood Gossip, les commères d'Hollywood", un film réalisé par Clara et Julia Kuperberg (> Bande annonce).
Ce documentaire ahurissant appartient à un coffret de 5 DVD réunissant 10 films, tous costauds et étonnants. Ils jettent une lumière crue sur les coulisses de ce que fut Hollywood entre 1915 et 1975.
On croyait tout connaître de cet âge d'or.
On se trompait.
Le cinéma libéré des années folles auquel succéda le code Hays (il régissait strictement la représentation des scènes d'amour au cinéma), la censure, Orson Welles, Gene Tierney, la "star oubliée", les films noirs et nos "tatas flingueuses", rien ne manque pour augmenter notre savoir sur "l'usine à rêve" qui continue d'arroser le monde.
Grâce à ces films, nous faisons le plein de connaissances comme on fait le plein d'essence. Pour aller plus loin.
Avec "Et la femme créa Hollywood", on découvre que les femmes ont été les pionnières dans le cinéma jusqu'à l'arrivée du parlant, en 1929.
"Elles ont été effacées de l'histoire du cinéma constatent Clara et Julia Kuperberg, les deux soeurs réalisatrices. Hollywood est une passion qui nous anime toutes les deux. C'est un travail de réhabilitation et de transmission que nous faisons".
Bravo à elles.
"Il était une fois HOLLYWOOD"
Editions Montparnasse
Prix de vente indicatif : 40€