Fil d'Ariane
Elle apparaissait à l'écran, on ne l'oubliait plus.
Tour à tour bourgeoise vénéneuse, séductrice ambiguë, institutrice angoissée, cuisinière divine, Stéphane Audran était ce que l'on nomme "une beauté froide" dont la présence irradiait chaque scène avec une force tranquille, potentiellement dangereuse.
Stéphane Audran, de son vrai nom Colette Dacheville, était née à Versailles en 1932. Son père meurt alors qu'elle n'a que six ans. L'enfant a une santé fragile : "A l'âge de 6 ans, j'ai pourtant bien failli repartir d'où je venais : crises de coliques néphrétiques aggravées de colibacillose. ayant perdu une petite fille avant moi, Maman a mis toute sa persévérance à consolider ma santé fragile. Jusqu'à 15 ans, j'ai souffert de nouvelles crises qu'elle soulageait", écrit l'actrice en 2009 dans "Une autre façon de vivre" (Le Cherche-Midi éditions).
L'enfant, qui aime se déguiser semble avoir des dispositions certaines pour le jeu. Après ses études secondaires, elle suit les cours d'art dramatique de Charles Dullin, René Simon et Tania Balachova, où elle rencontre Jean-Louis Trintignant. Il a vingt- deux ans, elle en a vingt à peine. Ils se marient.
Elle se marie avec le cinéaste en 1964. Il va la faire tourner dans une vingtaine de films, parmi ses meilleurs. "Chaque fois que je disais que j'aimerais bien faire tourner Steph [Stéphane Audran, son épouse], il y avait une espèce de veto presque systématique. On disait ah, il veut faire tourner sa femme, on connaît ça, les metteurs en scène, ils ont toujours un tromblon derrière eux qu'ils veulent coller à toutes les sauces. C'était épouvantable pour ça". Mais l'actrice est talentueuse.
Il la révèle dans Les Biches en 1968, avec un Ours d’argent à la clé à Berlin. Le Monde évoque "la subtilité et la hardiesse de Stéphane Audran"
Hasard du casting, Chabrol doit remplacer l'acteur Maurice Ronet. Il choisit Jean-Louis Trintignant, qui devient, à l'écran, l'amant de Stéphane ! " Chabrol était très drôle, dira Trintignant C'est moi qui étais un peu gêné. J'avais une scène de lit avec Stéphane ; il me disait : “Tu fais ça, tu fais ça” et il ajoutait : “Je ne demande rien aux acteurs que je ne sois capable de faire moi-même !”
Stéphane Audran va connaître des années enchantées avec La Femme infidèle (1969), Le Boucher (1970), La Rupture (1970) et Juste avant la nuit (1971) et Le Charme discret de la bourgeoisie de Luis Buñuel ( 1972), l’Oscar du meilleur film en langue étrangère .
Le maître espagnol ne cessera de louer le talent de son actrice... et son côté affable. "Excellents souvenirs de tournage : comme il était assez souvent question de nourriture dans le film, les comédiens, en particulier Stéphane Audran, nous apportaient sur le plateau de quoi nous restaurer et nous désaltérer. Nous prîmes l'habitude d'une petite pause vers cinq heures..." écrira Luis Bunuel dans son livre-souvenir "Mon dernier soupir".Mais la quintescence de son talent d'actrice éclate sans doute dans "Le Festin de Babette" (1987) de Gabriel Axel. Film magique, sensuel, tiré d'une nouvelle de Karen Blixen. L'histoire est simple et belle. Le jeu de Stéphane Audran la rend bouleversante et universelle.