Cinéma : "Papicha", jeunes femmes libres dans l'Algérie des années sombres

Papicha a reçu le prix Alice Guy et deux César en 2020. Il Le film nous ramène à Alger, dans les années 1990. Des étudiantes décident de monter un défilé de mode malgré la pression des islamistes. C'est l'histoire de Papicha, premier long métrage de la cinéaste algérienne Mounia Meddour qui, bien qu'il n'ait pas pu sortir dans son pays, a représenté l'Algérie aux Oscars. Un film choc, porte-parole d'une génération, un hymne féminin à la liberté et à la résistance face aux conservatismes.
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papicha hammam
"Papicha", nom utilisé en algérien pour désigner une fille coquette et exhubérante. Image extraite du film de Mounia Meddour.
©Papicha
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Sorti le 9 octobre 2019, le film Papicha de la réalisatrice Mounia Meddour reçoit le prix Alice Guy 2020, un prix qui récompense le meilleur long métrage réalisé par une femme. Objectif : pallier la sous-représentation  des femmes dans les palmarès habituels du cinéma. 

Mounia Meddour est une femme préoccupée, une artiste engagée. Nous l'avons rencontrée lors du 37e Arte Mare, à Bastia, le 6 octobre dernier, alors que son film Papicha sortait sur les écrans français. Entourée de nombreux festivaliers, sollicitée par la presse, elle enchaîne les demandes d'interviews. La veille, c'est avec un public bouleversé qu'elle a longuement échangé, à l'issue de la projection.

Née à Moscou en 1978, de mère russe et de père algérien, fille d'Azzedine Meddour, cinéaste et fer de lance du 7e art berbère, la réalisatrice a le cinéma et l'engagement ancrés dans le sang. Elle réalise plusieurs documentaires, tels que Particules élémentaires en 2007, ou encore La Cuisine en héritage en 2009, puis en 2011, Cinéma algérien, un nouveau souffle, un documentaire sur la nouvelle génération de réalisateurs algériens. Son premier court-métrage de fiction, Edwige, sort en 2011 et reçoit une mention spéciale aux journées cinématographiques d'Alger. Papicha est son premier long métrage, il a été sélectionné dans la section "Un certain regard" lors du 72e Festival de Cannes au printemps 2019.

Le film suit la course effrénée de Nedjma (Lyna Khoudri, révélée dans Les Bienheureux en 2017), une étudiante de 18 ans qui rêve d'être styliste. Cette jeune femme au regard buté et au quotidien tourmenté, refuse le joug du terrorisme au plus fort des années 1990. Passionnée de mode, elle refuse de laisser les événements tragiques de la guerre civile l'empêcher de mener une vie normale et de sortir le soir avec ses amies. Elle brave les nouvelles interdictions imposées par les radicaux et décide de lutter pour son indépendance en organisant un défilé de mode. Alger sert de décor, une ville traversée du meilleur comme du pire, à la fois tragique et débordante de vie. Le nom de "Papicha" désigne en algérien les filles coquettes, extraverties, comme Nedjma et son groupe d'amies. Des jeunes femmes éprises de liberté qui refusent l'intégrisme.

"Libérez l'Algérie ! Libérez Papicha ! Libérez le cinéma !"

Contre toute attente, l'avant-première prévue le 21 septembre à Alger a été annulée. Une décision incompréhensible pour Mounia Meddour car "tout avait était prévu afin que je sois présente avec mes actrices. J'ai demandé des explications, mais personne ne m'a rien dit. Je suis convaincue que grâce au cinéma et à l'art, la situation évoluera, confie-t-elle.

affiche Papicha

A l'annonce de cette annulation, la jeunesse algérienne n'a pas hésité à soutenir le film en scandant lors des manifestations du vendredi, qui secouent Alger et le pays depuis février dernier "Libérez l'Algérie ! Libérez Papicha ! Libérez le cinéma !" Des slogans et des photos du cortège ont été largement diffusés sur les réseaux sociaux, et repris sur le compte Instagram du film. Un message de soutien a même été directement adressé à l'équipe du film lors du rassemblement du 13 septembre : "A nos braves femmes, artistes, actrices du film Papicha, vous avez la palme d'Or de votre peuple !" indiquait une large banderole, repostée sur le compte Instagram de la réalisatrice.

Frustrés, les jeunes Algériens qui attendaient avec impatience la sortie de ce film, ont largement piraté le lien de téléchargement. Ultime signe de contre-pouvoir face à l'autoritarisme ? "Cette jeunesse est ingénieuse, si elle doit recourir à des moyens alternatifs pour voir mon film, cela ne me dérange pas, au contraire !" lâche la cinéaste.

Comme un pied de nez aux censeurs, Papicha fera finalement partie de la sélection du meilleur film étranger lors des prochains Oscars, sous les couleurs de l'Algérie (grâce à une dérogation spéciale, le film n'ayant pas pu être diffusé dans son pays, il ne remplissait pas initialement les conditions pour être en lice, ndlr).  Hymne à la vie, à la tolérance et à la résistance, avec Papicha, Mounia Meddour signe un film éminemment politique qui ravive le devoir de mémoire de son pays.

mounia meddour
Mounia Meddour
©Elisa Timotei Sarbil

Terriennes : Quel est le point de départ de Papicha ?

Mounia Meddour : J'étais étudiante en journalisme, à Alger dans les années 1990. Logée en cité universitaire, je partageais ma chambre avec cinq jeunes filles, débordantes d'énergie communicative. Nous formions une radioscopie de la société : celles qui souhaitaient s'établir à l'étranger, celles qui rêvaient de se réaliser professionnellement et enfin, celles qui étaient destinées à se marier. C'est notre soif de vivre, notre forte complicité, notre humour toujours intacts qu'il m'importait de retranscrire à travers les personnages féminins de mon film, aux prises avec le sentiment d'oppression incessant : face aux campagnes d'affichages prônant le port du voile par les terroristes. Ainsi que le climat de tension vécu au quotidien à Alger pour les jeunes femmes qui ne le portaient pas.

Lyna Khoudri
L'actrice Lyna Khoudri incarne la jeune Nedjma.
©Papicha

Comment expliquez-vous le succès de Papicha hors d'Algérie, diriez-vous que c'est un film féministe ?

Ce film a une teneur universelle, il parle aux féministes, mais aussi au plus grand nombre. Selon moi, cela tient au désir d'émancipation de la femme en milieu patriarcal, d'emblée ça touche toutes les femmes à travers le monde. En dépit de la menace terroriste, je souhaitais montrer la combativité et la résistance de celles qui disent non, désireuses de vivre pleinement, comme elles le souhaitent.

C'était important pour vous de brosser le portrait et les combats de plusieurs générations de femmes, à travers Nedjma (Lyna Khoudri), l'héroïne principale, et sa mère (Aïda Guechoud), ancienne moudjahidate, symboles de liberté pour les Algériennes violées, torturées, assassinées durant la décennie noire ?

Oui, surtout en ce qui concerne la lutte permanente de ma génération, qui avait 20 ans en 1995, incarnant une jeunesse privée de ses espoirs, ses rêves, ses aspirations. Nedjma, est contrainte de survivre, de résister à l'oppression et à la violence sanglante. Je l'ai appelée ainsi, en hommage à l'héroïne et à l’œuvre au titre éponyme de Kateb Yacine, puisqu'elle insuffle de la force à ses camarades face au pire. Comme sa mère qui a combattu avec dignité et courage lors de guerre d'indépendance, nous savons que les moudjahidates ont été particulièrement actives en transportant des armes au prix de leur vie aux côtés des hommes pour combattre l'ennemi. Leur rôle est totalement occulté. Elles sont dénuées de reconnaissance au sein de la société algérienne alors qu'elles ont beaucoup donné à leur pays.

Vous ravivez le souvenir de nombreux assassinats d'écrivains, d'artistes, de journalistes dont Saïd Mekbel, Cheb Hasni. Tahar Djaout. Officiellement, la décennie noire fait état de 200 000 morts. Pourquoi Linda, journaliste et sœur aînée de Nedjma, qui meurt brutalement assassinée devant le pas de sa porte ne l'est-elle pas d'une balle dans la tête comme c'était le cas pour les journalistes ?

Par choix esthétique, je voulais la montrer dans sa pleine jeunesse et sa beauté sans sang lors de la scène de recueillement, révélant son lavage mortuaire selon la tradition de l'islam avant son enterrement : à mes yeux, ce moment de patriotisme rend hommage à la disparition tragique de journalistes, d'intellectuels assassinés atrocement pendant la décennie noire.

La sortie de Papicha coïncide avec la révolution citoyenne en Algérie, emmenée chaque vendredi depuis le 22 février dernier par des femmes de tous âges, issues de divers milieux sociaux, francophones, arabophones...

C'est le fruit du hasard. J'étais loin d'imaginer que la révolution du sourire verrait le jour. J'ai travaillé à l'écriture du scénario il y a plus de cinq ans, j'avais besoin de temps pour créer ce groupe de femmes à la reconquête de leurs droits dans l'espace public et porteuses d'un esprit contestataire. Je ne suis pas confiante en qui concerne l'annonce des élection du 12 décembre prochain en Algérie : je ne vois aucun leader politique pour représenter dignement l'Algérie. Quant à ces milliers de femmes, souvent âgées, elles encourent de vrais risques, elle forcent mon respect en faisant preuve d'un incroyable courage, chaque vendredi.
 

Papicha, de Mouna Meddour, avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda

- Prix Jeunes du festival du film arabe de Fameck/Val de Fensh (est de la France, du 2 au 14 octobre)
- Prix du scénario, du public et prix de la meilleure comédienne au 12e Festival du Film Francophone d'Angoulême
- Prix du public et prix du jury jeune au festival Arte Mare de Bastia
- Grand prix Elle
- Prix de la mise en scène et du jury jeune lors du festival War on Screen.

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