Cinquantième anniversaire du MLF : l'hommage à la femme du soldat inconnu
Le 26 août 1970, une poignée de féministes déposent une gerbe en hommage à la femme du Soldat inconnu sous l’Arc de Triomphe. Première action fondatrice du MLF (Mouvement de libération des femmes). La date fût choisie en écho à la marche "Women’s Strike for Equality" aux Etats-Unis qui avait lieu aussi le 26 août. Trois des 9 protagonistes de ce dépôt de gerbe à Paris racontent cette journée si particulière.
"Un homme sur deux est une femme !", "Il y a plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme !", deux des quatre banderoles retenues par l'histoire, ce 26 août 1970, lors du rassemblement de militantes féministes, qui donna le coup d'envoi au Mouvement de Libération des Femmes en France.
"Une partie d'entre-nous a déposé la gerbe à la femme du soldat inconnu le 26 août 1970 en solidarité avec la grève des féministes américaines du Mouvement de libération des femmes. C'est une action qui avait été planifiée comme une action spectaculaire avec une charge hautement symbolique et qui a été bien médiatisée car il ne se passe rien en août en général. Nous avions mis au courant une amie journaliste qui avait prévenu la télévision. Un an après, j'ai lu dans Paris Match que nous étions 200 ou 400 ! Deux ans après, j'ai lu qu'on était 5000 ! Je sais qu'on était exactement neuf, nous avions quatre banderoles, il fallait deux personnes pour en porter une et qu'au dernier moment je me suis retrouvée seule pour porter cette gerbe.
Un des policiers un peu énervé ne comprenait ce qu'on voulait, il disait 'Quand même il y a de vrais hommes'
Quand nous sommes arrivées, un policier s'est approché de moi et a pris un côté de la gerbe, je pensais qu'il allait m'aider à la porter mais en fait il nous a conduit au poste de police, et finalement nous n'avons jamais pu déposer vraiment cette gerbe ! Un des policiers un peu énervé ne comprenait ce qu'on voulait, il disait 'Quand même il y a de vrais hommes', il avait cru que notre banderole voulait dire qu'un homme sur deux n'était pas vraiment viril ! Et puis, il y a un commissaire qui est venu nous voir en nous disant 'Mais vous n'avez pas honte ?' Comme si le simple fait que des femmes manifestent sur la tombe du soldat inconnu avait un caractère sacrilège. Une fois embarquées dans un fourgon, ils ont arrêté les sirènes ce qui nous a vexé car nous voulions nous faire remarquer, du coup on s'est mis aux fenêtres en criant 'Pin pon, pin pon'".
Christine Delphy, sociologue, en 1965, elle travaille pour la Washington Urban League (une organisation de défense des droits civiques des Noirs). Elle entre au CNRS en 1970 et est actuellement directrice de recherche émérite. Auteure de nombreux livres dont L'Ennemi principal (éditions Syllepse) Tome 1 (1998): économie politique du patriarcat. Tome 2 Penser le genre (2001).
Le 26 août 1970, non loin de l'Arc de Triomphe, neuf femmes tentent de déposer une gerbe en l'honneur de la femme du soldat inconnu.
1 homme sur 2 est une femme, un slogan mal compris
"On était quelques-unes dans un petit groupe qu'on appelait les 'petites marguerites'. On a vraiment réfléchi et on a eu des idées qui ont fusé. Et puis, on s'est dit 'Tiens, on va faire ça!' C'est cette action-là précisement qui nous a fait connaitre du reste des femmes qui commençaient à s'interroger.
Nous notre truc, c'était ça, 'Sachez qu'un homme sur deux est une femme", si vous sentez ça, c'est le moment de bouger. Et c'est ce qui s'est passé.
"Nous notre truc, c'était ça, 'Sachez qu'un homme sur deux est une femme", si vous sentez ça, c'est le moment de bouger. Et c'est ce qui s'est passé. Donc pour moi, c'est la naissance du Mouvement de Libération des Femmes et c'est surtout la naissance d'une prise de conscience collective de ce travail.
C'était marrant, ils avaient des casquettes comme ça (les policiers) et ils ne savaient pas quoi faire du tout! Il y avait Christiane Rochefort, écrivaine et Monique Vitti, également écrivaine, toutes deux minuscules qui brandissaient cette banderole, avec des grands baraqués qui se demandaient qu'est-ce-qu'ils allaient pouvoir faire avec ces bonnes femmes ! On s'est retrouvées dans un poste de police qui se trouvait dans un des piliers de l'Arc de Triomphe. Ils nous ont trimballées jusqu'à un autre commissariat où ils ont pris nos identités et puis ils nous ont relachées. Et nous pendant tout ce temps-là, on chantait nos chansons. Nous on a fait ça dans la bonne humeur, c'était la libération ! On se libérait, sans obliger les autres à se joindre à nous. On se libérait ensemble !"
Cathy Bernheim, écrivaine et journaliste, traductrice des autobiographies d’Angela Davis et Emma Goldman (avec Annette Lévy Willard), auteure de biographies (Mary Shelley, Valentine Hugo, Picabia, Hippolyte Bernheim), de romans et d’essais. (Propos recueillis par Matilda.education, 2019)
Libération des femmes années zéro
L'écrivaine et journaliste Martine Storti évoque les débuts du Mouvement de libération des femmes sur le plateau du 64' de TV5MONDE : "Ces femmes que je ne connaissais pas, qui avaient à peu près mon âge, entre 20 et 30 ans à l'époque, témoignaient de choses et de sentiments qui me parlaient, qui correspondaient à ce que croyais être quelque chose d'individuel, de personnel. J'ai compris que nous étions nombreuses dans ce cas et j'ai voulu les rencontrer.
Aujourd'hui, explique-t-elle, "le féminisme est vivant, c'est un héritage, une histoire" :
"Notre première grande action, où nous n'étions que neuf, ce fut ce dépôt de gerbe à la femme du soldat inconnu sous l'Arc de Triomphe.
Je suppose que personne n'imaginait que neuf femmes pouvaient faire quelque chose d'un peu osé.
Ce qu'on voulait, c'était faire quelque chose d'un peu spectaculaire pour qu'on parle de l'existence d'un noyau du Mouvement de Libération des Femmes. Ce n'était pas grave si nous n'étions que 9, mais il fallait qu'on en parle, donc on avait prévenu la presse. Je me souviens que lorsque nous sommes arrivées avec notre banderole 'Un homme sur deux est une femme', il y a un flic un peu affolé que j'ai entendu téléphoner et qui a dit 'Il faut plusieurs cars, il y a une manifestation, on sait pas ce qu'il peut se passer', ça nous a rendu hilares. Je suppose que personne n'imaginait que neuf femmes pouvaient faire quelque chose d'un peu osé".
Emmanuelle de Lesseps, traductrice, journaliste, et adaptatrice d'ouvrages pour la jeunesse. Militante féministe de la première heure, elle s’engage en 1968 dans le groupe FMA (Féminin, Masculin, Avenir), très active de 1970 à 1972 dans la tendance féministe révolutionnaire du MLF.
(Témoignages de Christine Delphy et d'Emmanuelle de Lesseps extraits du film Debout! de Carole Roussopoulos, 1999)
Un concours « Buzzons contre le sexisme » organisé par la plate-forme en ligne matilda.education invite les jeunes de moins de 26 ans à mêler leurs réalités et utopies d’aujourd’hui à l’héritage de celles qui ont lutté dans le passé pour la cause des femmes. Toutes les infos sur matilda.education.fr : cliquez ICI