Fil d'Ariane
"Je n'arrive pas seule, nous arrivons toutes !" déclare Claudia Sheinbaum, première présidente du Mexique. L'un des principaux défis qui l'attendent à la tête du plus grand pays hispanophone au monde reste la lutte contre les violences, dont celles faites aux femmes.
Discours de Claudia Sheinbaum sur le Zócalo, la place principale de Mexico, le jour de son investiture, le 1er octobre 2024.
"Je suis mère de famille, grand-mère, scientifique, et femme de foi, et à partir d'aujourd'hui, par la volonté du peuple du Mexique, présidente", déclare Claudia Sheinbaum, 62 ans et désormais présidente de 129 millions de Mexicains. "Je n'arrive pas seule, nous arrivons toutes", ajoute la physicienne de formation dans l'hommage qu'elle a rendu aux femmes célèbres ou anonymes du Mexique en prêtant serment devant les députés et sénateurs. Elle incarne "une gauche plus moderne, ouverte au féminisme et à l'environnement" écrit l'essayiste Jorge Zepeda Patterson dans sa biographie Presidenta.
Elue pour six ans, Claudia Sheinbaum racontait en 2009 dans une lettre au journal de gauche la Jornada que ses grands-parents originaires de Bulgarie et de Lituanie étaient arrivés au Mexique pour fuir la misère et l'antisémitisme – elle n'en condamne pas moins les "bombardements de l'Etat d'Israël sur Gaza".
"Je suis fille de 1968", aime-t-elle à répéter. Sa mère, Annie Pardo, est une biologiste réputée. Expulsée de son poste à l'université pour avoir dénoncé la répression sanglante du mouvement étudiant le 2 octobre 1968 à Mexico, qui a fait des centaines de morts, elle a récemment été à nouveau récompensée pour ses travaux de recherches.
Activiste, mère de famille à 26 ans, Claudia Sheibaum est docteure en ingénierie environnementale, Divorcée de son premier mari, Carlos Imaz, avec qui elle a eu ses deux enfants, la présidente s'est remariée en 2023 avec Jesús Maria Tarriba, un amour de jeunesse.
Le jour-même de l'investiture de la nouvelle présidente, les représentants des 70 peuples indigènes et afrodescendants du Mexique lui ont remis le "bâton du pouvoir" sur le Zocalo, une immense place sous les fenêtres du palais national et siège de la présidence, devant des dizaines de milliers de personnes.
Tu es la voix de celles qui n'ont pas eu voix au chapitre pendant longtemps. Femme indigène
"Petite soeur Claudia, nous te recevons avec amour et avec joie. Tu es la voix de celles qui n'ont pas eu voix au chapitre pendant longtemps", lui a déclaré une femme indigène, sur fond de fumée d'encens et au son d'une corne de brume. "Non au racisme, non au classisme, non au machisme", a lancé Claudia Sheinbaum, qui est restée un moment debout les mains levées selon les codes de la cérémonie.
En juin 2024, Claudia Sheinbaum a remporté la présidentielle avec près de 60% des voix, sous l'étiquette du parti de gauche au pouvoir Mouvement pour la régénération nationale (Morena) et ses alliés. Avec près de 36 millions de voix, elle est la mieux élue dans l'histoire du pays, portée par la popularité du président sortant. Morena et ses alliés disposent d'ailleurs d'une majorité qualifiée au Parlement leur permettant de modifier la Constitution sans l'opposition.
"D'abord les pauvres" ou encore "austérité républicaine" : la présidente a décliné son programme en dix principes, en s'appuyant sur le bilan de son prédécesseur. Pendans son discours d'investiture, elle a répété sa méthode sur le dossier explosif de la sécurité et la lutte contre la narco-violence : plus de renseignements et d'enquêtes, "renforcement de la Garde nationale", plus de coordination entre les autorités, zéro impunité.
La violence qui gangrène le Mexique est principalement le fait des cartels qui se disputent les routes de l'exportation de la drogue vers les Etats-Unis, le trafic des migrants ou encore les détournements de combustibles. Mais la lutte contre la violence de genre, avec une dizaine de femmes tuées chaque jour, figure aussi à l'agenda de la première présidente à la tête d'un pays à la réputation machiste.
Depuis que l'ex-président Felipe Calderon a lancé l'armée contre les cartels, en décembre 2006, avec pour effet de multiplier le nombre de mafias armées, le Mexique recense plus de 400 000 meurtres, la plupart d'entre eux attribués à des organisations criminelles. La barre des 100 000 personnes "officiellement reconnues comme disparues" a été franchie en mai 2022, indique l'ONU, parlant d'une "tragédie déchirante".
L'ex-maire de Mexico prend le pouvoir en pleine polémique provoquée par la réforme du pouvoir judiciaire approuvée et promulguée par son prédécesseur. Cas quasi-unique au monde, la réforme prévoit à partir de juin 2025 l'élection des juges par un vote populaire.
"Nous sommes inquiets concernant le rôle croissant des militaires dans la sécurité publique", déclare dans un communiqué le bureau des droits de l'homme des Nations unies. Car selon la loi promulguée in extremis par le président sortant, la Garde nationale va passer sous le contrôle de la Défense. "Les autorités devraient vraiment redoubler d'efforts pour s'attaquer à la question des disparus au Mexique", ajoute l'instance onusienne, qui salue l'arrivée d'une femme à la tête du pays.
"Notre gouvernement garantira toutes les libertés", assure Claudia Sheinbaum, qui estime que "ceux qui disent qu'il y aura de l'autoritarisme, ceux-là mentent... Ayez la certitude que les investissements des actionnaires nationaux et étrangers seront sûrs dans notre pays".
Les Etats-Unis s'inquiètent pour la sécurité juridique de leurs investissements privés. Le Mexique et les Etats-Unis "partagent de profonds liens politique, économique et culturelle", souligne pourtant le président américain Joe Biden dans un message à l'occasion de l'investiture de Claudia Sheinbaum. Les Etats-Unis "sont engagés à continuer de travailler avec le Mexique", ajoute-t-il, se félicitant que son épouse Jill Biden soit à la tête de la délégation américaine présente à Mexico pour l'investiture.
Claudia Sheinbaum et Kamala Harris seraient toutes deux les premières femmes présidentes de leur pays. Elles sont toutes les deux sur la même longueur d'onde en ce qui concerne le changement climatique Professeure Pamela Starr
L'avenir de la relation du Mexique avec les Etats-Unis dépend du résultat de l'élection du 5 novembre qui se joue entre la démocrate Kamala Harris et le républicain Donald Trump. Claudia Sheinbaum pourrait développer "une assez bonne relation avec Kamala Harris, parce qu'elles se ressemblent", estime Pamela Starr, professeur de relations internationales à l'université de Californie du Sud. "Elles seraient toutes les deux les premières femmes présidentes de leur pays", poursuit l'universitaire. "Elles sont toutes les deux sur la même longueur d'onde en ce qui concerne le changement climatique". Les relations avec Donald Trump seraient bien plus difficiles parce que l'ex-président "n'a pas autant de respect pour les femmes que pour les hommes".
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