Fil d'Ariane
Vêtue sobrement, d'un tailleur pantalon gris, en bottines à talons plats, le cheveux argenté et court, si sa carrière et ses réussites peuvent impressionner, Claudie Haigneré reste une femme d'un abord simple et chaleureux.
Ce jour-là pourtant, une mésaventure lui est arrivée. Elle s'est fait voler son portefeuille dans le métro parisien. Un peu désorientée, elle s'inquiète surtout du sort des cartes qu'il contenait, certaines étant des cartes d'accès professionnelles de haute sécurité. Mais elle se rassure quand même : "Ouf, heureusement, ils ne m'ont pas volé mon portable, c'est déjà ça !"
Sachant que la dame affiche à son palmarès plusieurs missions dans l'espace, on ne peut s'empêcher de penser que, pour elle, ce genre de contretemps devrait être assez aisément gérable...
Ce jour-là, Claudie Haigneré a rendez-vous avec des jeunes filles, dans le cadre de l'association "Capital filles", à la Maison de la Radio à Paris. Elle en est l'une des marraines d'honneur. Son rôle ? Transmettre. Faire comprendre que tout est possible, même quand on est une fille, même d'atteindre les étoiles, puisqu'elle, elle y est parvenue. "Pourquoi pas vous ?", lance-t-elle à l'assemblée de lycéennes venues pour l'occasion.
L'accompagnement des jeunes filles s'inscrit dans la durée, avec des tutorats individuels pour les jeunes filles de terminale, des ateliers collectifs au sein des lycées partenaires, ainsi que des visites d'entreprises partenaires. En 2019-2020, plus de 12000 jeunes filles ont pu participer à des ateliers. Parmi elles, 1059 filleules sont accompagnées individuellement par une marraine.
Dominique Goutard est la directrice de Capital Filles.
Désormais redescendue des étoiles, elle occupe les fonctions d'ambassadrice et de conseillère auprès du directeur général de l'Agence spatiale européenne. Mais son statut de pionnière lui reste chevillé au corps. Elle est la première femme européenne à être allée dans l'espace.
Pourtant, rien ne semblait écrit sur le papier, même si quelques signaux pouvaient être décelables. Née le 13 mai 1957 dans la ville du Creusot, la lycéenne se montre précoce en décrochant son bac à quinze ans. Elle décide de poursuivre des études de médecine et devient rhumatologue, profession qu'elle va exercer huit ans à l'hôpital Cochin à Paris. Elle devient également docteure en neurosciences, des connaissances qu'elle pourra exploiter par la suite en tant que chercheuse au sein du laboratoire de physiologie neuro-sensorielle du CNRS.
Mais son coeur bat pour d'autres conquêtes. Avec ancré en elle, un rêve qui ne l'a jamais quitté. Ce rêve est né un certain jour de 1969, devant un écran de télévision en compagnie de sa famille. Un homme met pour la première fois les pieds sur la Lune. Une page de l'histoire de l'humanité s'écrit. Secrètement, la fillette de 12 ans se dit "pourquoi pas moi ?"
Bien des années plus tard, le ciel s'entrouvre pour la scientifique qu'elle est devenue. Elle apprend que l'agence russe spatiale embauche et recrute des candidats et ... des candidates. C'est le moment où jamais. Claudie arrive à se classer parmi les quelques 30 femmes à être retenues parmi 300 hommes.
Ce ne sera pas la Lune rêvée de la mission Appollo, mais l'espace qui lui ouvre les bras en août 1996. Après 11 ans de formation et d'entraînement, elle participe à sa première mission spatiale, Cassiopée. Destination la station orbitale russe Mir pour un vol de 16 jours. Elle y mènera un certain nombre d'expériences médico-physiologiques, techniques et biologiques.
Après avoir intégré l'Agence spatiale européenne, Claudie Haigneré refait ses valises pour une nouvelle mission en janvier 2001. Elle devient alors la première Française à voler à bord de la station internationale ISS, mission au cours de laquelle elle est nommée ingénieure de bord en chef. La cité des étoiles sera aussi celle d'une nouvelle aventure, plus personnelle, celle-ci, mais tout aussi constellée. Elle y rencontre son futur mari Jean-Pierre Haigneré. Astronaute, comme elle. Elle l'épouse en mai 2001.
Sur son parcours de vie, plusieurs escales la conduisent vers d'autres territoires, tout aussi rudes, comme celui de la politique. Elle occupera le fauteuil de ministre à la Recherche et aux Nouvelles technologies sous le gouvernement Raffarin. Distinguée par de multiples décorations, comme la Légion d'honneur, elle a donné son nom à de nombreuses écoles et lycées français.
Terriennes : Vous êtes une femme modèle aujourd’hui, en quoi c’est important ? Est-ce que vous vous épanouissez en transmettant aussi ?
Claudie Haigneré : J’ai été très privilégiée d’être astronaute. J’ai beaucoup reçu, j’ai beaucoup appris, donc cela fait complètement partie de ma mission, de partager et de transmettre à la fois la beauté du monde, et puis ce qu'on peut découvrir en se projetant activement. Alors c’est vrai que je joue volontiers le rôle de modèle, parce que l’on n'est pas très nombreuses.
En pourcentage de femmes, on est 10% dans le monde des astronautes. Je pense qu’on a besoin de voir devant soi des vraies personnes qui ont vécu l’aventure, c’est ce qu’on appelle l’incarnation. Il est important de raconter avec nos mots, dire le parcours qui n’est pas toujours facile, qu’il faut beaucoup de patience, de persévérance. J’ai vraiment beaucoup de plaisir à accompagner des jeunes filles, et à accompagner aussi des femmes qui accompagnent leurs filles.
Je crois que parfois un déclic, quelque chose peut être suffisant pour changer sa façon de percevoir le monde, de trouver de la confiance en soi, alors je le fais vraiment très volontiers. Aujourd’hui Capital Filles a cette façon de pouvoir faire un tandem entre une génération qui veut transmettre, accompagner et les générations montantes qui ont parfois besoin d’être tenues par la main, ou orientées dans des parcours qui ne sont pas toujours simples mais passionnants.
Justement, 10 % de femmes astronautes, qu’est-ce qui pêche ? Il y a dans l’évolution des jeunes filles, dans leur carrière et dans leur parcours scolaire, quelque chose qui coince. Pourquoi ce chiffre encore aujourd’hui ?
La diversité n’est pas très équilibrée dans certains types de métiers. En particulier les carrières scientifiques : les carrières de l'ingénierie, des mathématiques, le monde du numérique également. Il y a d’autres métiers ou, au contraire, c’est la bascule qui se fait de l’autre côté où la diversité n’est pas là. Ce sont les garçons qui manquent.
Donc il y a des représentations, je pense, là encore. On les appelle stéréotypes ou clichés, des choses qui font partie de notre enfance, éventuellement de l’environnement à l’école, des parents, des médias qui nous entourent et qui transmettent des images. La présence, l’incarnation permet parfois de briser un peu ces représentations. Ça existe encore et il faut le travailler très jeune. En première et en terminale, c’est un petit peu tard, dans la façon de pouvoir maintenir la curiosité, l’audace d’avancer.
Il faut accompagner tout au long de l’éducation, tous ensemble, avec les hommes. Ce n’est pas seulement pour les jeunes filles que l’on essaie de changer les règles du jeu ou le mode opérationnel pour le travail. C’est nécessaire qu’on en parle dans des réseaux qui sont effectivement ouverts à la diversité. Ce serait très dommageable que l’on ne puisse pas proposer des possibilités de s’épanouir dans des métiers de l’énergie, de l’environnement, tout ce qui est aujourd’hui très présent. C’est à la fois de l'épanouissement pour les jeunes filles, c’est de l’employabilité, s’insérer dans une société en y contribuant activement, donc c’est de l’épanouissement des deux côtés.
Je leur ai dit “N’attendez pas d’être parfaites” pour oser pousser la porte, tenter une expérience. Je pense que les jeunes filles, plus que les jeunes garçons, ont besoin de se sentir hyper préparées de tous les côtés, d’avoir tous les atouts. Au fond, la perfection, ça doit être un objectif : toujours s’améliorer, toujours apprendre, aller plus loin, repousser les limites. Il faut s’engager sur le parcours, sur la passion, la curiosité et puis apprendre sur le parcours. Puis justement là où vous avez encore des imperfections, ça peut être ceux qui vous accompagnent qui vont vous permettre de les résoudre. Peut-être parce que vous êtes en groupe -c'est grâce à l’intelligence collective que vous allez être meilleurs ensemble.
Il ne faut pas se mettre soi-même des freins. Il y a déjà suffisamment de freins autour de nous, des freins d'un entourage qui va vous dire: "ce n’est pas pour toi. Non, tu vas atteindre tes limites". Non c’est aux jeunes filles de tester là où elles sont. Mais pour tester il faut se mettre en route, et quand on le fait, en général, il reste des imperfections, mais ça c’est la vie.
Aujourd’hui, il y a des projets dans plusieurs agences spatiales, et en particulier la NASA, qui a déclaré que sa prochaine mission, prévue aujourd’hui pour 2024, s’appellerait Artémis - la soeur jumelle d'Apollo. Alors on va voir si c’est tenable, parce que c’est vraiment à très court terme. On a tous en tête Apollo entre 1969 et 1972 : 6 missions sur la lune, 12 hommes. Alors effectivement, c’est un très bon signe de dire qu’une femme mettra un jour le pied sur la lune. Sur la dernière sélection de la NASA au niveau des astronautes, je crois qu’il y avait 5 femmes et 6 hommes, donc on est enfin sortis de cette limitation de 10 % de candidates.
Est-ce que vous avez eu une femme modèle qui vous a guidée / accompagnée ?
Quels ont été mes modèles ? Cette question m’est souvent posée. Je dirai que j’ai eu des modèles du type explorateurs ou capitaines de navire, et c’était plutôt des hommes, parce que à cette époque-là, pendant mes années de jeunesse, il n’y avait pas beaucoup de femmes présentes. Donc le modèle ne nous ressemble pas forcément : le même âge, le même sexe, le même profil. Donc on peut avoir des modèles de grande envergure, mais c’était effectivement plus des modèles masculins. Mais je dirais tout de même, que pour moi, celle qui a beaucoup compté et que j’ai eu la chance de connaître et d'immensément admirer, c’est Simone Veil, à la fois pour son engagement dans la société, l’humanité, pour les femmes et pour l’Europe. Donc, oui, Simone Veil est quelqu’un de très important pour moi.