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Pianiste et concertiste, Clémence Guerrand est engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, dont elle a elle-même souffert. Elle est l'une des organisatrices de "Éclipse aux éclipsées", un événement poignant pour attirer l'attention sur le cauchemar des mères victimes de violences après une séparation. Entretien.
Rassemblement place de la République à Paris, le 10 mars 2025.
Toute de noir vêtues. Elles étaient une centaine lundi 10 mars 2025 à s'être rassemblées place de la République, à Paris. Par terre, sur le bitume, disposés en dix rangée de cinq, cinquante cercueils et urnes funéraires. Pourquoi cette mise en scène mortuaire ? Mettre en lumière un fléau caché : la violence que subissent les mères après une séparation qui frappe la moitié d'entre-elles.
Cet événement baptisé "Éclipse aux éclipsées" était destiné à attirer l'attention sur le contrôle coercitif post rupture. Il était initié par l'association 125 et après, et organisé par l'autrice et militante Sarah Barukh et Clémence Guerrand.
Créatrice de MAWOMA, le premier concours mondial itinérant consacré aux femmes cheffes d’orchestre, Clémence Guerrand, musicienne de formation est aussi une femme engagée dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Elle était l'invitée du journal de TV5monde en duplex depuis Abu Dhabi.
TV5MONDE : Qu'est-ce que le "contrôle coercitif" après une rupture ?
Clémence Guerrand : Le contrôle coercitif, dont on parle heureusement beaucoup actuellement, surtout dans le cadre de la vie commune, est décrit comme une manière de contrôler son conjoint, de le surveiller, de le harceler, et même de l'isoler de ses proches de ses amis, de sa famille.
Le contrôle coercitif est une manière de contrôler son conjoint, de le surveiller, de le harceler, et même de l'isoler de ses proches, de ses amis, de sa famille. Clémence Guerrand
Que serait un cas extrême de contrôle coercitif ?
Ce que nous dénoncions surtout, dans notre action, c'est que ce contrôle coercitif entre également en ligne de compte dans le harcèlement judiciaire qui, finalement, s'opère. Après une rupture, une sorte de torture psychologique lancinante vient finalement s'exercer contre l'ex conjoint au travers de l'abus de la loi.
Vous, Clémence Guerrand, vous l'avez vécue, cette situation.
Je l'ai vécue, je la vis encore. C'est d'une une des raisons pour lesquelles j'ai choisi de parler, de m'exprimer sur ce sujet, sans illusion, même si je garde espoir. On compte sur le gouvernement ; on est très, très attentives aux réponses qui vont être données.
Le 29 janvier 2025, les députés inscrivaient pour la première fois dans la loi l'infraction de "contrôle coercitif", mécanisme destructeur exercé par un agresseur pour rendre sa victime impuissante, précédant la plupart des féminicides.
Surveiller les horaires, les dépenses, tracer un téléphone portable, utiliser des mots rabaissants, contrôler les sorties, les fréquentations: par des actes ou des propos multiples et répétés un agresseur isole et piège sa victime en exerçant un "contrôle coercitif", selon la ministre chargée de l'Egalité entre les femmes et les hommes, Aurore Bergé.
La proposition de loi visant à "renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes" prévoit de punir cette infraction de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
TV5MONDE : La proposition de loi qui vise à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes inscrit la notion de contrôle coercitif dans le code pénal. Mais vous, vous demandez d'autres choses, notamment la formation des magistrats...
Clémence Guerrand : Oui, une fonction de médiateur dédié qui soit formé à ces questions-là. Les magistrats le sont de plus en plus ; en tout cas, ils ont la volonté de faire changer les choses. Je veux pas les accabler, d'autant qu'ils sont peu nombreux pour pouvoir traiter ces sujets.
En revanche, là où il y a véritablement une surveillance accrue à observer, c'est au sein des services sociaux qui, eux, pour le coup, manquent cruellement de formation sur ces sujets. On ne les accable pas, on n'est pas là pour acculer qui que ce soit, mais nous essayons de faire naître une prise de conscience collective parce que, finalement, nous sommes tous concernés.
Evidemment, il y a une question de genre, parce que le contrôle coercitif touche surtout des femmes, mais nous ne sommes pas dans une croisade absolutiste.
"De mes 16 ans à mes 35 ans, j'ai eu une fausse idée de l'amour" : l'actrice Isild Le Besco mêle son histoire personnelle et un éclairage psychologique et social pour décrire ce qu'est le contrôle coercitif dans un podcast pour Arte Radio.
"Pour moi, l'amour d'un homme était violent, maltraitant, destructeur... En fait, je ne connaissais rien d'autre", narre celle qui est aussi réalisatrice, dans ce podcast en deux volets de 30 minutes. Elle s'est entourée de sa soeur Léonor Graser, docteure en sociologie, et de Andreea Gruev-Vintila, maîtresse de conférences à l'université Paris Nanterre et autrice du livre "Le contrôle coercitif : au cœur de la violence conjugale". Ce livre a été une "révélation" pour l'actrice, qui a porté plainte contre le cinéaste Benoît Jacquot en 2024.
(Re)lire dans Terriennes :
Tribune : "Quand la France tue les mères : une histoire banale"
Violences sexuelles : la "victimisation secondaire" devant la justice
La violence "vicariante" : faire souffrir les enfants pour atteindre les mères