Fil d'Ariane
Quelles sont ces voix féminines qui portent haut et fort la défense de l'environnement ? Dans les cortèges des manifestations pour le climat, aux tribunes des conférences internationales, dans les médias, mais surtout sur le terrain, nombreuses sont les femmes à agir pour offrir un meilleur avenir aux générations futures. Rencontres.
Des militantes engagées pour la défense de la nature se sont retrouvées mi-septembre à Bordeaux à l'occasion de la 9e édition du festival Climax.
« Résister », tout tient en ce "simple" mot. Telle était la thématique de la 9e édition du festival Climax, qui s'est déroulée du 15 au 17 septembre 2023, au Darwin Ecosystème de Bordeaux en France. Parmi les panélistes, plusieurs femmes d’actions, de professions et d’horizons différents mais liées par un même combat : la protection des droits humains et de la nature.
La cheffe cacique Ivanice Pires Tanoné ouvre le bal du festival Climax à Bordeaux, au rythme des maracas, "dont la forme ronde est comme celle de la Terre".
C'est Ivanice Pires Tanoné, 69 ans, première femme cheffe dans l’histoire des Kariri-Xocó - l’un des 350 peuples autochtones du Brésil -, qui ouvre le festival par un chant traditionnel. Parée de sa coiffe sacrée, la cacique qui se bat pour les droits de sa communauté et de leur forêt primaire depuis plus de 35 ans élève sa voix sur les percussions de ses maracas, « dont la forme ronde est comme celle de la Terre. Et, à l’intérieur, des graines symbolisent l’humanité. Quand on les secoue, on demande l’unité des peuples ».
Les luttes pour la terre, le vivant sont aussi souvent initiées par des femmes. Dans l’histoire des dominations, ou du changement climatique, elles sont malheureusement avec les enfants les premières victimes.Sabah Rahmani, journaliste
Un appel qui trouve un écho à travers les luttes des deux invités d’honneur du festival : le cacique Raoni Metuktire, le célèbre leader Kayapo du Brésil, et le capitaine et fondateur de l’ONG Sea Sheperd, Paul Watson. « Les luttes pour la terre, le vivant sont aussi souvent initiées par des femmes, rappelle la journaliste et modératrice, Sabah Rahmani. Dans l’histoire des dominations, ou du changement climatique, elles sont malheureusement avec les enfants les premières victimes… »
Rescapé en 2016 en mer Méditerranée, Alpha Kaba a ouvert la première conférence intitulée « Sauver contre vents et marées ». Ce journaliste guinéen qui dénonçait dans son pays la corruption des politiques a été contraint de fuir après qu’il a reçu des menaces de mort. Arrivé en Libye, il est vendu pour 200 euros et torturé. « Je suis monté dans un zodiaque pour fuir cet enfer, raconte-t-il. Mais le bateau a commencé à couler. Sept personnes sont mortes noyées dont une femme enceinte. Nous étions désespérés lorsque la lumière de l’Aquarius, l’ancien bateau de SOS Méditerranée, a fendu l’obscurité. Aujourd’hui, si je peux témoigner, c’est grâce à eux. »
Sophie Beau, 50 ans, a co-fondé en 2015 cette association européenne de sauvetage en mer, faute d’actions gouvernementales. L’ONG a déjà secouru 31 800 réfugiés naufragés. « Mais difficile d’accomplir notre devoir quand des obstacles nous barrent régulièrement la route », dénonce la directrice générale, accusée de « faire le jeu des passeurs », et dont le navire Ocean Viking a été détenu cinq mois en Italie, en 2020, à cause d’« irrégularités techniques ». « On nous fait perdre du temps alors que des gens meurent tous les jours en mer ».
Depuis 2014-2015, près de 28 000 personnes migrantes sont mortes en Méditerranée, d’après l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). L’ONG peut néanmoins compter sur un comité de soutien fidèle, des dons publics et privés - « On en a terriblement besoin. Chaque jour en mer coûte 14 000 euros ! » - et des bénévoles à quai qui se rendent dans les écoles pour sensibiliser et alerter les plus jeunes sur cette tragédie humaine qui se joue aux portes de l’Europe.
La sauvegarde des Océans, un défi pour les défenseur.e.s de l'environnement. Une exposition photo accueillait les participants au 9e Festival Climax, du 15 au 19 septembre à Bordeaux.
« L’art comme levier d’action », c’est le thème de la conférence à laquelle participait cette artiste réunionnaise de 43 ans qui a fait de l’eau sa partenaire. Sous la mer, son père, chasseur sous-marin, l’initie à la plongée quand elle n’a que 11 ans. Sur terre, Julie Gautier apprend la danse. Puis, l’apnée à 18 ans. Et c’est la révélation.
Aujourd’hui, elle oeuvre pour la protection de l’océan en tant que danseuse apnéiste et réalisatrice. « L‘objectif, c’est par l’art et la beauté d’acquérir le public le plus large possible pour pouvoir après les orienter vers des solutions concrètes pour pouvoir participer à la dépollution des océans », explique la réalisatrice du clip Runnin de Beyoncé, en 2015. Entièrement réalisée sous l’eau, la chorégraphie à couper le souffle des deux champions français d’apnée, Guillaume Nerry et Alice Modolo, a fait plus de 446 millions de vues.
J’ai eu envie de reconnecter les femmes entre elles. Il y a des moments dans la vie où une douleur de femme ne peut être compris que par une femme. Julie Gautier
Celle qui se définit comme « une conteuse d'histoires sous-marines » a aussi réalisé plusieurs court-métrages dont AMA. Un ballet en apnée qui exprime une douleur personnelle - celle du deuil - et la force de la surmonter. Ama est un mot japonais qui veut dire « femme de la mer ». Ce qui la décrit mais fait aussi référence aux pêcheuses de perles au Japon. « A travers ce film, j’ai voulu raconter la force communautaire de ces femmes, la force individuelle, et le rapport à la mer extrêmement important qui les unit, explique Julie Gautier. J’ai eu envie de reconnecter les femmes entre elles. Il y a des moments dans la vie où une douleur de femme ne peut être compris que par une femme. Et il ne faut pas oublier qu’on peut être des piliers les unes pour les autres. »
Plusieurs femmes étaient ainsi rassemblées pour parler de leurs combats et construire des ponts lors de la conférence « Re.Sisters, alliances sororales pour défendre le vivant ». Parmi elles, Chantal T. Spitz, 68 ans, la première écrivaine polynésienne à avoir publié un roman tahitien en langue française, en 1991. L’île des rêves écrasés (éd. Au vent des îles) raconte le destin d’une famille tahitienne sur trois générations comme autant de points de vue sur l’histoire de son peuple.
Chantal T. Spitz, 68 ans, la première écrivaine polynésienne à avoir publié un roman tahitien en langue française, en 1991, lors du festival Climax 2023 à Bordeaux.
A sa sortie, le livre est encensé tout autant que décrié. Avec son franc parler, Chantal T. Spitz rappelle le passé colonial de la France et dénonce les essais nucléaires français « qui font encore des ravages sur les populations autochtones ». Réalisés entre 1966 et 1996 en Polynésie, ces tirs ont abîmé la nature et meurtri des corps. « Conséquence : de nombreux malades sont atteints d’un cancer et des enfants naissent avec des malformations ».
Certains clichés, comme celui de la vahiné, nous collent encore à la peau. Hélas, nous y sommes aussi pour quelques chose en mettant, par exemple, de belles danseuses et des hommes tatoués dans des publicités sur Tahiti. Chantal T. Spitz
Engagée sur le front culturel, cette institutrice retraitée participe également à la promotion de la culture et de l’histoire des Tahitiens. « Certains clichés, comme celui de la vahiné, nous collent encore à la peau. Hélas, nous y sommes aussi pour quelques chose en mettant, par exemple, de belles danseuses et des hommes tatoués dans des publicités sur Tahiti. Mais depuis une quarantaine d’années, nous luttons contre ces clichés en se réappropriant notamment un terme qui avait disparu de la langue tahitienne : ma’ohi. Ce qui signifie « autochtone, natif du lieu ». Par la littérature mais aussi le théâtre et la danse, Chantal T. Spitz donne ainsi à voir la diversité et la spécificité de la Polynésie française. Pour permettre aussi aux jeunes générations de se réapproprier leur identité et d’écrire eux-mêmes leur propre histoire.
Son visage poupon, clairsemé de tâches de rousseur, est celui de la jeunesse qui se soulève contre les entreprises polluantes et l’inaction des pouvoirs politiques face au dérèglement climatique. Un des facteurs majeurs des déplacements de populations.
Lena Lazare, 25 ans, au centre de l'image, s'est engagée dès l'âge de 18 ans.
Née à Calais, Léna Lazare, 25 ans, s’engage après avoir été traumatisée par l’accident nucléaire de Fukushima et ses conséquences – qui ont touché directement des proches de sa famille. A 18 ans, l’étudiante en agroécologie devient l’une des figures de proue en France du mouvement initié par Greta Thunberg, Youth for Climate. Elle fait aussi partie des porte-parole des Soulèvements de la Terre. Un collectif écologiste et contestataire français, accusé d’ « écoterrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, après une manifestation non autorisée contre le projet des mégabassines de Sainte-Soline, début 2023. Sa dissolution, ordonnée par le ministre, a été suspendue par le Conseil d’Etat.
On ne dissout pas une révolte. Léna Lazare
« La défense juridique ne doit pas nous affaiblir », martèle la militante, qui a choisi la voie de la désobéissance civile « faute de remporter des victoires en passant par le cadre légal ». La « répression et la criminalisation systématiques » des activistes écologistes l’inquiètent. « C’est lourd psychologiquement ». Malgré tout, la jeune femme reste déterminée, persuadée que l’écologie est une bataille collective. Et de conclure : « On ne dissout pas un mouvement, on ne dissout pas une révolte »
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