Moudawana

Code de la famille au Maroc : des féministes menacées de mort sur les réseaux

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Zainab Fasiki

Zainab Fasiki est une bédéiste marocaine depuis longtemps engagée pour la défense des droits des femmes, sur son compte Instagram, elle explique avoir été menacée de mort sur les réseaux, précisant avoir déposé plainte.

capture d'ecran
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Le débat autour du projet de réforme du Code la famille au Maroc s'est considérablement durci au cours de ces dernières semaines. Des militantes féministes, mais aussi des journalistes et des personnalités connues pour leur engagement en faveur des droits des femmes font face à une vague de haine sans précédent sur les réseaux sociaux. 

"Dis à tes collègues que vous serez tous tués au bureau à Rabat, comme Charlie Hebdo en 2015, je le jure devant Dieu. Vous encourager LGBT, les relations hors mariage et l’athéisme vous méritez de mourir", "Betty, tu vas mourir douloureusement je te le promets" ... 

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Quand des messages de haine tournent aux menaces de mort et d'effusion de sang. Voilà ce que subissent depuis le 28 mars dernier plus d'une vingtaine de personnalités connues pour leur engagement en faveur des libertés individuelles et le droit des femmes au Maroc. Ces menaces ciblent surtout des féministes mais aussi le réalisateur Nabil Ayouch ainsi que plusieurs journalistes de Maroc World news. A l'origine de ces menaces, une liste comportant 22 noms. 

Liste 22 personnes menacées
Capture d'ecran/Instagram

Faux comptes et menaces de mort

Toutes les militantes visées ont été menacées par les mêmes personnes. "Cela relève de l’apologie du terrorisme, des menaces de mort, du harcèlement et de l’incitation au harcèlement. Donc sur la base de ses qualifications là, effectivement, plusieurs plaintes ont été déposées auprès du procureur général qui va être compétent en matière de terrorisme et aussi de cyber criminalité", explique Ghizlane Mamouni, avocate et présidente Kif Mama kid Baba, une association qui vient en aide aux mères célibataires.

 

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Sur cette liste figure le nom de la militante Ibtissam Betty Lachgar, du Collectf M.A.L.I. Devant la caméra, elle témoigne : c'est pour ses positions en faveur d'un nouveau Code de la famille protégeant plus les femmes qu'elle est visée, "C’est vraiment cette thématique là, en l’associant au fait que c’était comme contraire à l’islam, contraire à la charia islamique et donc nous étions de facto des ennemis de l’islam." Tous les faux comptes utilisés ont été supprimés mais depuis de nouveaux comptes sont apparus et avec eux de nouvelles menaces : "Ne pense que c’est terminé, on va vous finir".
 

Je sais qu’on en aura encore et encore parce que ce changement de Moudawana, ce changement de code de Famille, ce débat qu’on a aujourd’hui sur le mariage des mineurs, ça dérange. Zainab Fasiki, bédeiste

"Ces menaces faisaient référence aux lieux de travail où les militantes travaillaient, d'autres visaient directement leurs enfants", rapporte Zainab Fasiki, autre figure connue des féministes marocaines. Après dix ans d'engagement, la bédéiste déclare avoir dépassé le stade de la peur, même si elle reconnait que ces menaces étaient d'"une violence inouïe"."Je sais qu’on en aura encore et encore parce que ce changement de Moudawana, ce changement de code de Famille, ce débat qu’on a aujourd’hui sur le mariage des mineurs, ça dérange", ajoute l'artiste, qui a fait appel à un avocat et déposé plainte.

Au Maroc, Zainab Fasiki, bédéiste culottée

Une réforme qui divise la société marocaine

Mariage des mineurs, polygamie, égalité homme-femme dans l’héritage… Autant de sujets polémiques qui sont aujourd'hui au centre du projet de réforme du Code de la famille au Maroc. 

C’est un pays musulman qui a à peu près plus d’un millénaire d’histoire et donc il faut savoir qu’on peut pas non plus dire n’importe quoi. Mohamed Talal Lahlou, spécialiste en finances islamiques

D’un côté les partisans du changement, de l’autre des conservateurs comme Mohamed Talal Lahlou, spécialiste en finances islamiques, très actif sur les réseaux sociaux, notamment contre les féministes. S'il condamne par principe les menaces de mort, il tient à rappeler que le Maroc est un pays "qui a un référentiel, qui a des constantes. C’est un pays musulman qui a à peu près plus d’un millénaire d’histoire et donc il faut savoir qu’on peut pas non plus dire n’importe quoi". 

La question du mariage des mineurs doit être replacée dans son contexte, selon lui. "En quoi une personne qui a 17 ans et 11 mois, garçon ou fille, est différente d’une personne qui a 18 ans et un mois donc c’est quelque chose qui est subjectif. De notre point de vue au Maroc, le choix est laissé à la famille, à la société, pour décider si ce mariage est un mariage qui va avoir un bon résultat socialement ou un mauvais résultat socialement", conclut Mohamed Talal Lahlou.

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Un point de vue que ne partage pas la professeure Sana Benbelli. Pour la socio-anthropologue, longuement interviewée sur le site enass.mar, "le débat actuel est sain pour la société. La société doit débattre de ces questions qui les intéressent. La violence de certains propos rappelle aussi ce qui s’est passé avant la réforme de 2004." "Toutes les études menées depuis de longues années (...) montrent un attachement des Marocains aux valeurs, à la culture et aux principes religieux", reconnait-elle. Pourtant, "Les résultats montrent que pour l’héritage, par exemple, des familles protègent leur progéniture de sexe féminin tout en contournant la règle religieuse stricte. Il existe une ambivalence permanente entre valeurs et pratiques".

Pour Saïd Saâdi, ex-secrétaire d’État chargé de la Protection sociale, de la famille et de l’enfance, et fervent défenseur des droits des femmes, interrogé sur LeMatin.ma, "On ne peut pas attendre que les mentalités changent pour changer la loi. La loi peut faire évoluer les mentalités. C'est ce qu'on avait fait en 2003-2004 avec la première réforme du Code de la famille, et ce en dépit d’une forte opposition".

Zainab Fasiki, Prix du courage artistique

La bédéiste marocaine Zainab Fasiki a remporté le Prix du courage artistique lors du Festival d'Angoulême 2022. Elle figure sur la liste des 22 noms de personnalités victimes de haine sur les réseaux sociaux. Elle a déposé plainte. 

Capture d ecran / Instagram @zeinab_fasiki

Les féministes solidaires et mobilisées face à la haine

Selon un sondage Afrobaromètre, réalisé sur un échantillon de 1.200 adultes entre le 31 août et le 19 septembre 2022, huit Marocains sur 10 (78%) pensent que toute réforme du code de la famille visant à promouvoir l'égalité des sexes devrait être basée sur la loi islamique ou la charia.

Tout cela n'a fait que renforcer nos liens. Comme tout citoyen marocain, j'ai droit à la protection et à la liberté d'expression. Zainab Fasiki, bédéiste marocaine

Opposition, menaces, arguments ultraconservateurs, risques de retour en arrière... Pas de quoi, cependant, démotiver les militantes des droits des femmes. Ces intimidations n’ont fait que renforcer leur position et la légitimité du droit au débat. Comme le conclut Zainab Fasiki, "Tout cela n'a fait que renforcer nos liens. Comme tout citoyen marocain, j'ai droit à la protection et à la liberté d'expression".

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