"Colette", le voyage mémoriel d'une résistante de la Seconde guerre mondiale

Pendant 74 ans, Colette Marin-Catherine refuse d'aller en Allemagne. Finalement, c'est une rencontre avec une jeune étudiante en histoire qui la convainc. A 90 ans, elle décide de se rendre dans le camp de concentration où est mort son frère, un voyage mémoriel comme un ultime combat de la résistante qu'elle a été.  C'est ce que raconte le documentaire Colette, primé aux Oscars. 
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Colette
Dans le documentaire Colette, Colette Marin-Catherine se confronte à son passé en se rendant au camp de concentration et d'extermination Mittelbau-Dora en Allemagne, où son frère a été assassiné. 
©capture d ecran/youtube/The Guardian
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C'est l'histoire d'une rencontre, d'un lien indescriptible naissant entre deux femmes. L'une a 90 ans (92 aujourd'hui) et l'autre en a 17 au moment du tournage. C'est grâce ou à cause de la plus jeune que la plus ancienne va décider de mettre fin à la promesse qu'elle s'était faite, celle de ne jamais mettre les pieds en Allemagne. C'est aussi le parcours initiatique d'une jeune passionnée d'histoire confrontée à la Grande Histoire, et celui d'une passeuse de mémoire. Quand Lucie Faubre entre dans la vie de Colette Marin-Catherine, les dés sont jetés. Celle qui, jeune fille a combattu les Nazis aux côtés de la Résistance française accepte d'affronter les fantômes de son passé en se rendant au camp de concentration allemand Mittelbau-Dora où son frère a été assassiné.

Cette récompense et ce film sont un hommage aux femmes de tous âges, partout dans le monde, qui se donnent la main et se battent pour la justice. 
Alice Doyard, co-productrice de Colette

Colette, récompensé d'un Oscar dans la catégorie "court-métrage documentaire", est un film d'une vingtaine de minutes, diffusé par le quotidien britannique The Guardian, réalisé par l'Américain Anthony Giacchino et co-produit par la Française Alice Doyard. Le film est disponible sur YouTube où il atteint déjà les 300.000 vues. Il s'agit du premier film produit par une société de jeux vidéo -Respawn Entertainment- à concourir aux Oscar. Le court métrage fait partie de la série de modules vidéo réalisés autour du jeu en réalité virtuelle Medal of Honor : Above & Beyond, dont l'action se déroule durant la Seconde Guerre mondiale.

Tourné entre le Nord de la France et l'Allemagne, on y suit Colette, une ancienne résistante, qui va honorer la mémoire de Jean-Pierre Catherine, mort à 17 ans au camp de concentration et d'extermination par le travail de Mittelbau-Dora, près de Nordhausen (Allemagne), accompagnée de Lucie Fouble. Quelque 60.000 personnes y ont été détenues et forcées de travailler pour l'industrie nazie d'armement, qui y met au point ses fusées "V2". Un prisonnier sur trois décèdera.

"Cette récompense et ce film sont un hommage aux femmes de tous âges, partout dans le monde, qui se donnent la main et se battent pour la justice. Vive Colette et vive la France!", a salué Alice Doyard en recevant son prix. Elle a reçu un "grand bravo" du président Emmanuel Macron.
 

Une gamine résistante face aux Nazis

"Le tourisme morbide, ça ne m'intéresse pas", lâche Colette Marin-Catherine à la caméra. Avant le tournage, Colette avait toujours refusé d'aller en Allemagne. C'est la rencontre avec la jeune Lucie qui lui fait changer d'avis. Car au-delà du voyage de mémoire, le film montre la naissance d'une relation entre la nonagénaire, débordante de vitalité, et une étudiante passionnée d'histoire, Lucie Fouble, 17 ans, qui va l'accompagner.


J'étais une gamine, on m'a pas demandée d'aller faire sauter un train ou un pont, on m'a juste demandée de m'asseoir sur un perron devant la porte et de noter les numéros des camions qui passaient, tu parles d'un héroisme!
Colette Marin-Catherine, dans Colette

La jeune fille est bénévole de la Coupole de Saint-Omer, bunker qui devait servir au lancement des V2 sur Londres, devenu un lieu de mémoire de la Seconde guerre mondiale dans le Pas-de-Calais. Elle est l'une des petites mains qui y documente le parcours de 9.000 déportés à Dora depuis la France.

Colette a sans doute vu en elle une réminiscence de la gamine qu'elle était à l'époque de la guerre, refusant toujours aujourd'hui le statut d'héroïne. "J'étais une gamine, on m'a pas demandée d'aller faire sauter un train ou un pont, on m'a juste demandée de m'asseoir sur un perron devant la porte et de noter les numéros des camions qui passaient, tu parles d'un héroisme! Les fesses sur le caillou et marquer sur un petit papier ! On jouait au jeu du chat et de la souris, on a vraiment touché le danger. Plus exactement le danger nous a touché", se souvient-elle.

Lorsque la jeune fille lui demande : "Est-ce que vous avez eu peur pour votre vie ?" Colette répond : "Je me suis rendue compte qu'on avait couru un risque. Parce que quand la gestapo s'intéressait à une famille, on voyait plus personne." 

Lors de son arrivée en Allemagne, ce sont d'autres souvenirs qui remontent. L'ancienne résistante est accueillie par le maire de la ville. La scène se déroule dans un restaurant, devant plusieurs dizaines de personnes rassemblées pour l'occasion. Le bourgmestre prononce un discours pour présenter l'invitée d'honneur. A l'évocation de la guerre et de la mort de son frère, Colette se sent soudainement mal, elle demande à la traductrice que l'orateur s'arrête. Voyant l'officiel tarder à réagir, la vieille dame s'énerve et lance en français, "Allez ça suffit, que tout le monde s'assoie, il faut que ça s'arrête!"  Une manière bien à elle d'exprimer que le devoir de mémoire n'a rien à faire des beaux discours. 

Ce film qui symbolise la transmission, m'a permis de rencontrer une ancienne résistante, mais ça ne s'est pas arrêté là. Nous avons un lien sentimental, comme une petite-fille et sa grand-mère.
Lucie Fouble

Seul le chant des oiseaux vient casser le lourd silence qui règne lorsque les deux femmes arrivent sur ce qu'il reste du camp nazi. Dans la voiture, Lucie montre du doigt la voie de chemin de fer par laquelle est arrivé le frère de Colette. A ses côtés, sur la banquette arrière, la vieille dame soupire, s'agite et semble étouffer, quelques secondes, le temps de digérer l'information. "Si vous voulez bien y aller ?", questionne encore d'une voix hésitante et attentive la jeune fille, sentant le malaise gagner Colette. Celle-ci reprend difficilement sa respiration et lache dans un souffle en lui serrant la main, "Oui, oui. (soupir) On va le faire ma petite-fille. On est même là pour ça"
Arrivées au block 7, là où était détenu Jean-Pierre, les deux jeunes femmes n'arriveront pas à retenir leurs larmes. "Y'en a pas une pour retenir l'autre", lance alors la vieille dame, sur le ton de la plaisanterie, digne face à l'émotion qui la submerge, "Allez hop on y va", elles repartent se tenant par le bras, ne sachant pas vraiment qui soutient l'autre.

colette et lucie
Lucie Fouble et Colette Marin-Catherine sur le camp d'extermination nazi de Mittelbau-Dora en Allemagne.
©capture d ecran/youtube/The Guardian

Pour sceller la relation unique qui est née entre elles, Colette décidera de remettre à sa nouvelle jeune amie une bague artisanale, dernier souvenir qu'elle garde de son frère. "Ce film qui symbolise la transmission, m'a permis de rencontrer une ancienne résistante, mais ça ne s'est pas arrêté là. Nous avons un lien sentimental, comme une petite-fille et sa grand-mère", confirme Lucie.

Un devoir de mémoire transgénérationnel

"Je suis heureuse que ce film ait été primé aux Etats-Unis, et vu là-bas, alors qu'après la guerre, les Américains ont récupéré (l'ingénieur nazi Werner) Von Braun, spécialiste des V2, pour le faire travailler sur leur programme spatial. Les Américains ont voulu effacer l'histoire du camp de Dora et le passé nazi de Von Braun, et ce film permet d'en reparler", ajoute la jeune femme, qui veut devenir historienne.

Pour l'équipe de chercheurs et de bénévoles dont cette élève de classe préparatoire fait partie, l'Oscar attribué au film pourra apporter un coup de projecteur bienvenu sur leur travail de fond et de l'ombre. 

"Ce film est un moyen magnifique d'intéresser un public plus jeune", abonde l'historien Laurent Thiery, qui dirige les recherches à la Coupole sur les déportés à Mittelbau-Dora, et a publié un livre-somme de 2.500 pages pour tirer de l'oubli les vies brisées de ces résistants. Au-delà de l'Oscar et du parcours tragique de Jean-Pierre Catherine, remettre en contexte et soulever la "chape de plomb qui a longtemps entouré" ce camp de Dora reste un travail à poursuivre, souligne-t-il.

Jean-Pierre Catherine est mort le 22 mars 1945 trois semaines avant l'arrivée des troupes américaines. Les prisonniers travaillaient 24h sur 24, ils ne s'arrêtaient jamais. "C'est l'enfer, c'est Dante sur Terre", lance Colette dans le tunnel où les déportés fabriquaient les bombes V2, "Si la colline pouvait parler, je pense qu'on entendrait des hurlements".

Au chant des oiseaux, "souvenir de nos douleurs" supplantera le "Chant des Partisans", car comme le rappelle la résistante, "Combattre les Nazis, on n'avait pas d'autre choix".