Rosalie, Blandine, Alix et les autres sont toutes membres du collectif féministe "La Barbe". Elles dénoncent "Le monopole du pouvoir, du prestige et de l'argent par quelques milliers d'hommes blancs". Et elles ne se contentent pas de l’écrire dans leur manifeste. Depuis 2008, date de création du collectif, elles s’invitent sur scène partout là où les femmes sont absentes, affublées de barbes postiches, pour dénoncer l’entre soi masculin. Les "barbues" mènent des actions pacifiques dans les lieux de pouvoir et de décision, sans distinction de milieu et quel que soit le bord politique des intervenants ou événements concernés.

Pour pallier d'éventuelles critiques, Valeurs Actuelles a envoyé sa journaliste Charlotte d'Ornellas présenter le premier débat aux côtés de Pierre Nicolas, co-fondateur des Eveilleurs d'espérance. Et de son propre aveu, elle n'est là que pour féminiser un tant soit peu le plateau. "Je vous parle simplement pour que vous n’ayez pas de cauchemars cette nuit. Je sais qu'une polémique a éclaté par rapport au fait que le panel est exclusivement masculin, donc je suis là pour ça", soutient-elle, alors que le public l'applaudit à tout rompre.
L'intention des militantes de "La Barbe", comme à chaque action qu'elles mènent, est de féliciter, ironiquement, les participants au débat qui résistent à "la dictature de la parité" et de lire un tract écrit pour l'occasion. Installées dans le public, sur les sièges en velours rouge des gradins circulaires du Cirque d'Hiver, elles attendent le second débat, entre Bruno Le Maire et Eric Zemmour. Ce dernier est certainement l'invité le plus attendu de la soirée, à en croire la clameur et les applaudissements à chaque simple évocation de son nom.
Après une présentation de Geoffroy Lejeune, directeur de la rédaction de Valeurs Actuelles, Eric Zemmour et Bruno Le Maire entrent en piste. C'est le moment que choisissent les "barbues" pour essayer de s'y introduire, postiches sur le visage. Dans un mouvement désordonné, certaines y parviennent. Mais le service d'ordre, présent en nombre, intervient dans la seconde. La plupart d'entre elles sont interceptées et violemment évacuées. Le journaliste Geoffroy Lejeune lui-même prête main forte aux services de sécurité en saisissant et tirant la jambe d'une consoeur, Alice Coffin, membre de La Barbe. Le public hue les militantes, certains les injurient. Le service d'ordre est acclamé.
Les militantes pacifistes de @labarbelabarbe présentes aux #dialoguessurleurope venues dénoncer un panel exclusivement masculin violemment évacuées par le service d’ordre @TERRIENNESTV5 pic.twitter.com/n4frX9JELE
— Sarah Boumghar (@sarahbmghr) 25 avril 2019
"La réaction la plus violente"
Alors que les "barbues" sont traînées hors de l'enceinte, Bruno Le Maire se fend d'un: « L’Europe est une femme et il serait bon que la prochaine fois il y ait des femmes invitées ». Sortie qui lui vaut quelques applaudissements de l'assemblée mais surtout des huées.
Les militantes, sonnées, se retrouvent dans une rue perpendiculaire à la rue Amelot, où se trouve l'entrée du Cirque d'Hiver. Encadrées par des fonctionnaires de police, elles se rassemblent, attendent celles qui ne sont pas encore arrivées, donnent leurs dépositions."Sur 214 actions, c'est de loin la réaction la plus violente que l'on ait connue", affirme Alix. "J'ai été violemment projetée au sol par les services de sécurité", témoigne-t-elle. Blandine, le nez en sang, répond aux questions des quelques journalistes présents. « J'ai été plaquée par un nervi du service d’ordre des Eveilleurs. Ça a été rapide et j’ai eu l’impression que c’était jouissif pour eux. Je ne m’explique pas ce déchaînement de violence et je ne le comprends pas. On dirait que les femmes leur font peur ».
Escortées par les forces de l'ordre, elles se rendent devant l'entrée, où elles tiennent à prendre une photo de groupe, comme elles le font à chacune de leurs actions.
Elles se replient ensuite dans un bistrot non loin de là.
Une action "évidente"
Autour d'une bière, elles préfèrent plaisanter de la scène qu'elles viennent de vivre. Les sourires sont présents sur les visages malgré la violence subie.Rosalie, accoudée au bar, une pinte à la main, lit avec théâtralité le tract écrit pour l’occasion. Elle regrette de ne pas eu avoir la possibilité de le lire sur scène.
Alice Coffin, membre de La Barbe
"Elles ne sont pas à leur place ici"
A l'intérieur, la conférence a pris fin. Certains spectateurs se retrouvent autour d'un cocktail. Beaucoup d'entre-eux n'ont pas vraiment compris ce qu'il s'est passé au début du débat Zemmour-Le Maire. "C'étaient les Femen non ?", entend-on à plusieurs reprises.Pour Sixtine, étudiante d'une vingtaine d'années à peine, les militantes de "La Barbe" sont "ridicules". "Elles ne sont pas à leur place ici, c'est hors-contexte. Il s'agit d'un débat politique". La jeune femme reste perplexe devant la démarche du collectif féministe. "C’est mal défendre leur cause que de venir comme ça se ridiculiser devant un public, au lieu d’être douces et de montrer qu’elles sont féminines". A ses yeux, l'action menée par "La Barbe" ce soir est avant tout une protestation politique contre une soirée très à droite : "Je ne suis pas tout à fait sûre que des féministes de droite viennent perturber des événements de gauche. Je suis anti-avortement mais ce n’est pas pour autant que je vais aller à un débat de gauche pour dire "je veux lire un tract parce que je suis contre l’avortement". C'est grotesque".
Son amie Jeanne, la vingtaine également, approuve. "Je pense que c’est ce qu’elles voulaient. Elles savaient qu’elles allaient se faire rembarrer. Elles cherchaient peut-être à se faire frapper pour pouvoir dire « nous on est allées voir la droite et on s’est fait rembarrer comme des merdes ». Alors qu’elles savaient pertinemment qu’elles ne seraient pas écoutées de toute façon". Le fait que le panel de la soirée soit entièrement masculin ne dérange pas la jeune femme. "Il faut choisir une aptitude et non un sexe. On voit que dans tous les domaines on essaie d'imposer un minimum de femmes. Je trouve ça ridicule", déclare-t-elle.
Gilles, 57 ans, est lui un peu plus mesuré. Entre deux petits fours, devant le stand où sont vendus les livres des invités de la soirée, il confie : "Je suis féministe. Quand j’ai acheté ma place, j’ai envoyé un message aux organisateurs pour dire que je ne trouvais pas normal le fait que le panel soit exclusivement masculin".
Côté organisateurs
Pierre, chef bénévole du service de sécurité des Eveilleurs pour l'évènement, est lui aussi présent au cocktail. Le tract de "La Barbe" est rangé dans la poche intérieure de sa veste. Il l'en sort en souriant. Pour lui, le service d'ordre a réagi de manière proportionnée, sans violence excessive. "On les a sorties avec énergie. Le plateau était sensible puisqu'un ministre était présent, on avait donc obligation de réagir vite", explique-t-il. "On vérifiait les sacs parce que des gilets jaunes avaient menacé de venir donc on regardait s’il y avait des gilets. Mais on n'a pas cherché de barbes, dit-il amusé. On regardera désormais".Valeurs Actuelles, de son côté, se défend d'une volonté réfléchie de proposer un panel entièrement masculin. Selon la rédaction, Ségolène Royal et Marlène Schiappa auraient décliné leur invitation. Sur Twitter, le magazine réfute les accusations de violences et accuse les militantes féministes de diffamation.
Ces féministes dénoncent l’absence de femme dans notre débat, ignorant manifestement que @MarleneSchiappa et @RoyalSegolene ont décliné nos invitations. Les activistes sont poussées vers la sortie, malgré leur virulence, leurs hurlements… et un petit crachat en passant. pic.twitter.com/8XtP69p5YT
— Valeurs actuelles ن (@Valeurs) 29 avril 2019
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