Alors que le droit à l'avortement se voit sérieusement menacé aux Etats-Unis, d'autres pays enregistrent des progrès, à tout petit pas. Au Bénin, l'IVG est légalisée depuis octobre 2021, alors qu'elle n'était jusque là possible que dans des circonstances exceptionnelles. Une avancée à confronter avec la réalité car de nombreux freins persistent, comme nous le dit Mariette Montcho, militante béninoise et présidente d'associations de défense des droits des femmes.
"A la demande de la femme enceinte, l’interruption volontaire de grossesse peut être autorisée lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale incompatible avec l’intérêt de la femme et/ou de l’enfant à naître", stipule désormais
la loi béninoise relative à la santé sexuelle et la reproduction.
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A comme avortement
"Le vote de la loi vient soulager les peines de nombreuses femmes qui, face à la détresse d’une grossesse non désirée, se trouvent obligées de mettre leur vie en jeu par des pratiques d’interruption de grossesse dans des conditions non sécurisées", explique le ministre Benjamin Hounkpatin, ministre de la Santé lors d'une conférence de presse. L'IVG était auparavant interdite au Bénin sauf circonstances exceptionnelles, comme lorsque la grossesse était la conséquence d'un viol ou d'une relation incestueuse ou en cas de risque pour la vie de la femme.
Mariette Montcho est présidente du ROAJELF au Bénin. L’organisation rassemble des femmes de moins de 35 ans qui œuvrent pour le leadership féminin à travers des actions de plaidoyer et de sensibilisation. Elle a suivi un Master en gestion des risques et catastrophes à l'université d'Abomey-Calavi au Bénin. Elle a été consultante pour le programme Amour et vie de sur les questions de santé sexuelle des adolescent·e·s et des jeunes. Elle est également membre du RJFAO (Réseau des jeunes féministes d'Afrique de l'Ouest). Rencontre.
Terriennes : A comme avortement, quelle est votre définition ?
Mariette Montcho : Pour moi, cela signifie tout simplement de permettre à la jeune fille ou la jeune femme de poursuivre normalement sa vie sans compromettre son avenir en raison d'une grossesse non souhaitée.
Qu'est-ce-qui a changé au cours de ces 10 dernières années ?Depuis 2003, il existe déjà la loi sur la vie sexuelle et reproductive qui précise les conditions dans lesquelles les femmes peuvent avoir recours à une interruption volontaire de grossesse, et qui rejoignent le
Protocole de Maputo, c'est à dire que lorsque la vie de la mère est en danger ou lorsqu'un enfant présente une anomalie, ou lorsque la grossesse est le résultat d'un viol. Même dans ces conditions, il n'était pas facile pour les femmes d'y avoir recours. Aujourd'hui la loi a évolué. Elle a été modifiée. On a élargit les conditions dans lesquelles les femmes peuvent avorter. En plus de ces trois conditions, s'ajoute celle montrant qu'une grossesse pouvant provoquer une détresse matérielle ou morale. C'est ça qui a fondamentalement changé.
Il y a aussi d'autres obstacles : la peur du regard de la société, d'être rejetée et le poids de la religion
Mariette Montcho, activiste béninoise
Concrètement, comment les femmes peuvent-elles recourir à l'IVG, dans quelles conditions, est-ce que cela s'est amélioré au Bénin ? Aujourd'hui, ce n'est pas du tout facile au Bénin comme c'est le cas dans plusieurs pays de la sous-région d'avoir recours à l'IVG de manière sécurisée. D'abord parce qu'il faut le rappeller, ce n'est pas une partie de plaisir que de prendre une telle décision. C'est déjà un problème personnel qui s'impose à elle. Et puis d'un point de vue technique, ce n'est pas évident de trouver un médecin pour le pratiquer. Les médecins, malgré la loi, restent réticents. Et puis il faut aussi pouvoir accès à un plateau technique sécurisé. Il y a aussi d'autres obstacles : la peur du regard de la société, d'être rejetée et le poids de la religion.
Difficultés d'accès à l'IVG, tabou, religion, etc ... Cela rejoint aussi les problèmes rencontrés sur la question de la contraception ? Malgré des campagnes pour lutter contre les grossesses précoces et de nombreux plaidoyers à la planification familiale pour militer notamment pour la gratuité des moyens de contraception, car il y a eu des engagements des autorités, cela n'est pas encore effectif. C'est progressif. Quand on a plus de 35% de personnes non satisfaites de la planification familiale, vous comprenez qu'il y a encore beaucoup à faire, quand bien même quand le besoin est là. Il y a aussi beaucoup de peurs à combattre, celle de grossir, de trop saigner, d'effets secondaires. Il faut faire passer le message pour encourager les jeunes femmes à pouvoir accéder à des méthodes de contraception modernes.
Est-ce que ça veut dire qu'il y a des avortements clandestins ?
Il y a tellement de jeunes femmes qui ont recours à ces avortements clandestins, c'est criminel de ne pas accompagner celles qui le souhaitent de manière sécurisée. Selon les chiffres des autorités, plus de 200 femmes en meurent chaque année. Le mieux à faire, c'est évidemment de sauver au moins une vie, celle de la mère.
Le sujet de l'avortement reste tabou ? Oui, c'est un tabou, on cherche ses mots pour en parler. C'est un tabou qui concerne tout ce qui touche à la sexualité au Bénin. C'est incroyable que nos parents font tout ce qu'ils peuvent pour nous envoyer à l'école, mais ils ont peur de parler sexualité avec leurs filles. Il y a beaucoup d'efforts à faire sur ce terrain-là, car cela permettrait d'éviter bien des drames dont les jeunes filles sont victimes.
Moins de grossesses précoces et non désirées, accès aux moyens de contraception, et aux services sécurisés pour pratiquer l'avortement, pour une sexualité libre et épanouie, voilà mon souhait !
Mariette Montcho
Si on se voit dans dix ans, quel serait votre espoir ?Dans dix ans, j'aimerais voir les femmes libérées, épanouies. Et aussi des hommes et des femmes qui vraiment comprendraient l'enjeu d'avoir accès à son corps, de bénéficier des droits en matière de santé sexuelle et de reproduction sans jugement, sans tabou. Que chacun puisse accompagner l'autre dans sa sexualité. C'est vraiment dommage de vivre sous le diktat de la société, des traditions, des cultures sans être épanouie soi-même. Il est important que les lois que nous votons aujourd'hui soient en faveur de l'émancipation des jeunes filles pour que chacune puisse être autonome dans sa sexualité. Moins de grossesses précoces et non désirées, accès aux moyens de contraception, et aux services sécurisés pour pratiquer l'avortement, pour une sexualité libre et épanouie, voilà mon souhait !
Si vous deviez choisir une priorité au Bénin ? Je pense surtout à l'éducation des jeunes filles. Je suis très admirative des filles avec lesquelles je travaille. Elles ont été instruites, elles prennent des décisions et elles travaillent pour elles-mêmes. J'estime que la meilleure façon d'arriver à bout des violences que les femmes subissent au quotidien, c'est qu'elles soient éduquées, autonomes et épanouies. Ce sera la meilleure revanche qu'elles auront sur la vie et sur les violences auxquelles elles sont confrontées. Faire en sorte qu'elles puissent avoir accès à l'instruction, à un bon boulot, et aussi accéder à de très bons salaires, elles pourront ainsi faire leurs propres choix, et non subir.
Ce qu'on constate, c'est que beaucoup de femmes subissent aujourd'hui des violences parce qu'elles n'ont pas les moyens de s'affranchir du diktat de leur époux, frère etc, de la société en général. Je vous assure que les jeunes femmes avec lesquelles je travaille au cours de mes missions, elles ne se laissent pas faire. Donc travaillons pour que les filles aient accès à l'éducation, elles se chargeront toutes seules du reste ! Elles pourront s'insérer dans la sphère politique, faire des lois etc... Ce qui n'est pas le cas d'hommes et de femmes qui encore aujourd'hui ne comprennent pas l'enjeu de l'émancipation des fillettes.