Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?
C'est une très vieille préoccupation chez moi. Je me suis intéressée à cet univers de la mode et de la beauté dès mon adolescence - je lisais assidûment la presse féminine. J'ai toujours eu un rapport à la fois fasciné et perplexe. C'est une industrie sophistiquée qui a des moyens énormes et qui joue sur des ressorts assez profonds. Mais j'étais aussi étonnée de voir qu'il y ait aussi peu de regards critiques de proposés sur cet univers.
La tyrannie de la beauté qui a toujours existé s'avère-t-elle plus violente aujourd'hui ?
En effet, je pense qu'il y a une certaine aggravation contemporaine dans la mesure où l'on vit une époque sans horizon. Avec les grandes crises écologiques et économiques qui se multiplient, l'idée de progrès en a pris un sacré coup. Toutes les grandes idéologies qui donnaient un sens et un espoir sont en perte de vitesse. On se retrouve désorienté, perdu. La beauté apparaît alors comme une échappatoire, une manière de se réfugier dans un univers où tout n'est que positivité, bonheur, bien-être, douceur et velouté. C'est très séduisant, attirant.
Dans Beauté fatale vous parlez du « complexe mode-beauté ». Que recouvre cette expression ?
Cette notion recouvre toutes ces industries qui ont une puissance publicitaire énorme et qui résistent très bien à la crise. Même quand on a très peu d'argent, on ne renonce quasiment pas à ses produits de beauté. Pour la chirurgie esthétique, certaines femmes sont prêtes à s'endetter. C'est vu comme un investissement qui pourra les aider à être plus performantes, à rester dans la course sociale.
C'est un univers qui façonne les imaginaires. Le complexe mode-beauté ne se cantonne pas à son domaine, il investit en masse la presse magazine et les productions culturelles comme les séries télé pour enrober le discours marketing d'affectif et d'imaginaire. Un moyen efficace et pervers pour susciter le désir, créer quasiment des mythes - comme les sacs Louis Vuitton - et écouler au final le maximum de produits cosmétiques.
Les hommes ne sont-ils pas entrain de devenir, comme les femmes, victimes de cette tyrannie de la beauté ?
Certes, il y a une pression accrue sur eux. Mais le décalage avec les femmes se maintient. D'ailleurs, cela se voit dès l'enfance. Dans les livres jeunesse qui ont été étudiés, les garçons ont une allure très active, conquérante tandis que les fillettes minaudent, prennent la pause, déjà très conscientes des yeux posés sur elles. Les garçons sont ainsi incités à gagner de l'assurance pour la suite de leur vie, alors que les filles sont éduquées de manière à ce qu'elles soient conformes à toutes les attentes extérieures. Ce qui est spécifiquement féminin.
Que pensez-vous de
ces femmes en Amérique latine qui, victimes des prothèses mammaires PIP, ont décidé de se mobiliser et de se porter partie civile dans l'affaire judiciaire ?
Il faut attendre un tel événement pour qu'il y a une réflexion sur la chirurgie esthétique. C'est tragique…. Cette industrie a été totalement vendue aux femmes sans aucun recul. Quand la presse fait un article sur la chirurgie esthétique, c'est toujours présenté de manière idyllique. C'est comme un petit caprice facile à satisfaire, une chose banale sans effet secondaire ni souffrance. C'est sans doute un peu tôt pour savoir si ce scandale va changer la donne ou pas. Il ne faut pas sous-estimer les injonctions qui sont faites aux femmes. On est entouré de cette idée de la toute puissance technique sur le corps. Cette idéologie est difficile à ébranler. Après, s'il y a des prises de conscience de femmes dans des groupes de paroles, c'est très bien.
Vous évoquez également dans votre livre l'idéal de la peau blanche. Comment cela s'est imposé ?
On s'aperçoit que partout où les médias pénètrent une société, ils remodèlent les critères de beauté. Même dans un pays africain, la presse féminine internationale va continuer à présenter des femmes blanches, ce qui aboutit non pas au fait que les femmes noires s'y désintéressent mais qu'elles veulent être blanches. Elles assimilent le modèle. Ce n'est pas un phénomène nouveau. La suprématie culturelle de la blancheur est présente depuis longtemps, parfois amenée par la colonisation parfois pré-existante. Par exemple, la campagne de l'Oréal en Inde pour des produits de blanchissement de la peau pose question. Les responsables de la marque ont beau dire que ce n'est pas eux qui ont initié l'attirance pour les peaux blanches et qu'ils ne font que répondre aux demandes de leurs clientes, ils contribuent à amplifier le phénomène dans la mesure où ils ont la capacité de toucher les masses par les spots télé et les campagnes d'affichages.
Pourquoi affirmez-vous dans votre livre que les féministes françaises se désintéressent de cette problématique ?
Aux Etats-Unis, les féministes sont très actives dans ce domaine, telle que Jean Kilbourne qui décortique la publicité pour montrer comment cela déshumanise le corps des femmes. En France, les féministes sont plus en retrait. Elles revendiquent beaucoup l'idée que l'on peut être féministe et féminine et ne s'attaquent donc pas à la tyrannie de la beauté et au diktat de la minceur. Mais c'est caricatural. Le féminisme extrémiste n'empêche ni les femmes ni les hommes d'avoir des rapports de séduction.