Fil d'Ariane
Elisabeth Blanchet, journaliste, photographe, est aussi collectionneuse… de préfabriqués. Une quête obsessionnelle saluée par un calendrier britannique qui publie chaque année les “tocs” de quelques élus. Et cette année 2017, uniquement des femmes. Voici comment devenir pin-up sans être pin-up...
J’ai toujours rêvé d’être une pin-up de calendrier. Après tout, c’est de cette manière que Marilyn Monroe a commencé sa carrière. Mais très vite, je me suis rendu compte que je n'avais ni les attributs nécessaires ni les connections adéquates dans l’industrie des calendriers de pin-ups. Alors j'ai abandonné l’idée et me suis consacrée à ma passion : photographier les préfabriqués d’après-guerre en Grande Bretagne, un créneau beaucoup moins embouteillé et compétitif...
Ce n’est pas en pin-up que j’apparaîtrai dans le calendrier du Dull Men’s Club mais comme l’une des femmes les plus ternes du Royaume-Uni
Elisabeth Blanchet, photographe
Jusqu’à ce qu’au début du mois de novembre 2016, à la veille de mes 46 ans, mon rêve abandonné d’adolescente devienne réalité. A un détail près : ce n’est pas en pin-up que j’apparaîtrai dans le calendrier du Dull Men’s Club mais comme l’une des femmes les plus “dull” (ternes) du Royaume-Uni, à cause de (ou grâce à) mon obsession pour ces petites maisons d’après-guerre. Quel honneur ! Quel exploit ! Le 2 novembre 2016, je fais même la Une de l’incontournable tabloïd britannique The Daily Mail.
Récit d'une expérience unique à la découverte du Dull Men’s Club, un club comme il ne peut en exister que chez nos cousins britanniques. On y “célèbre l’ordinaire” avec sarcasme et humour. A l'occasion de son calendrier 2017, on y découvre que “dull” rime aussi avec féminin puisque le calendrier fait pour la première fois poser des femmes !
Tout arrive par accident ou presque lorsque je pose le pied sur le sol britannique et m'y installe en 2001. Ce qui m’intéresse dans la photographie, ce sont les gens, les communautés, comme ils et elles vivent, où, comment… Et c’est à l’occasion d’un reportage au long cours sur les Gens du voyage au Royaume-Uni que mes pas et ma curiosité me mènent à frapper à la porte d’un préfabriqué. Une amie mentionne un jour une sorte de “mobile home” isolé entre deux rangées de maisons en briques à Peckham dans le sud-est de Londres. Je pars en reconnaissance et identifie le soit-disant mobile home comme étant un préfabriqué d’après-guerre. Nous en avions des similaires à Caen, la ville d'où j'ai la chance de venir.
Face à cette réminiscence d’un passé plutôt terne, je ne résiste pas à la tentation de frapper à la porte. Un homme âgé m’ouvre. Je lui fais part de mon intérêt pour sa petite maison. Il détecte aisément mon fort accent d’outre Manche et me demande d’où je viens. Je lui réponds “Normandie”, le mot magique. Il a fait le débarquement. Il m’invite à entrer, me montre ses médailles et tout en découvrant son intérieur qui ne semble pas avoir bougé depuis les années 70, en écoutant ses histoires, abreuvée de thé et de biscuits, je comprends que je viens d’entrer dans un monde fascinant car le préfabriqué de mon hôte charmant n’est pas un cas isolé. Il en reste des milliers en Grande-Bretagne.
C’est ainsi que je découvre le Temporary Housing Programme et comment l'équipe de Churchill décide dès 1942 d’utliser des préfabriqués pour reloger les démobilisés et leurs familles quand la guerre sera finie. En 1946, le gouvernement d’après-guerre en construit un peu plus de 156 000 sur l’ensemble du Royaume-Uni.
Leur design moderne, leur confort, le fait que chaque “prefab” soit entouré d’un petit jardin font du programme de logement social un succès. Pourtant, il est temporaire et les préfabriqués sont censés être démolis et remplacés par du permanent dans les 15 ans qui suivent. Mais 70 ans plus tard, des milliers sont toujours debout et leurs habitants se battent toujours pour les sauver.
J’ai la sensation de découvrir un trésor national et je pars en mission : répertorier les surivivants, les photographier, interviewer les résidents, garder leur mémoire, la partager. Une mission qu’un jour je décide de partager avec Leland Carlson, vice-président du Dull Men’s Club. Je l’interviewe en décembre 2015 dans un pub de Camden à propos de son club. Je sais d’emblée que je peux partager ma faiblesse pour les préfabs avec ce sexagénaire américain au sens de l’humour britannique décapant.
Notre déjeuner "anti-terne" finit par toucher au sujet du fameux calendrier “qui permet d’informer les gens des événements qui célèbrent l’ordinaire toute l’année” m’explique-t-il et dont la version 2015 avait fait un tabac commercial. Leland évoque l’idée d’ouvrir l’édition 2017 à des femmes : “On a trouvé des femmes avec des passions uniques, ce qui est rare comparé aux hommes”. Je sens une perche ! Mon vieux rêve se ravive pour devenir réalité quand quelques mois plus tard, Leland m’appelle et me propose le mois de mai... Je jubile et me ravis de partager la vedette avec quatre autres pin-ups britanniques : Dawn, Jacky, Emily et Amanda qui respectivement se passionnent pour les crayons à papier, les barbelés, les mini-golfs et les signaux routiers indiquant des lieux touristiques.
"Quand je m'ennuyais, j'allais me balader en voiture et je me suis mise à repérer les "brown signs" - panneaux de couleur marron qui orientent vers des sites historiques (ndlr) -. Un jour, j'ai décidé d'en suivre un vers un sanctuaire de loutres et de hiboux. Et j'ai passé une super journée, alors après ça, je me suis amusée à suivre les panneaux, juste pour m'amuser", propose ainsi Jackie Smith pour expliquer les débuts de sa folie douce pour les panneaux de signalisation.
Jacky Smith s'étonne pour sa part que l'on puisse s'étonner de sa passion pour les barbelés : "Ca fait 12 ans que je donne des conférences et j'ai déjà des réservations pour l'année prochaine. Je pourrais parler des barbelés toute la journée. Les gens me disent souvent qu'ils pensent qu'il n'y a qu'un type de barbelé. Mais je leur ai prouvé qu'ils avaient tort. Ma famille pense que c'est un hobby plutôt bizarre et je ne pensais pas que je me passionnerais pour les barbelés. Aujourd'hui, on m'appelle souvent Madame Barbelés".
"Les crayons à papier sont des outils humbles que la plupart des gens ont depuis l'enfance, mais les gens ne connaissent pas tout le procédé de fabrication d'un crayon, et c'est remarquable ! Nous exposons déjà des crayons offrant 120 couleurs différentes, mais nous ajouterons bientôt d'autres nuances, et nous possédons le plus long crayon du monde, 27 pieds (soit un peu plus de 8 mètres, ndlr)" s'enthousiasme Dawn Walker qui a poussé sa passion jusqu'à prendre la tête d'un "Musée du crayon" à Keswick, dans le Comté de Cumbria, au nord ouest de l'Angleterre. Installé comme par hasard dans un... préfabriqué.
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