Communication : quand la femme-objet déraille et que le mauvais buzz sert les provocateurs

Rien de tel que le scandale pour assurer le succès d'un message.  La recette, éprouvée, s'offre aujourd'hui un coup de jeune : utiliser les diverses sensibilités féministes particulièrement à vif sur les réseaux sociaux. A Béziers, Robert Menard, le maire Front national a retenu la leçon et en tire profit. Alors que faire ? Attaquer ou faire silence ?
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Affiche
«Le rôle attribué aux femmes est réducteur et, volontairement ou non, des stéréotypes de genre imprègnent encore un grand nombre de messages» écrit le CSA. La campagne d'affichage lancée par Robert Ménard suscite une (nouvelle) polémique. Mission accomplie ?
(c) Frantz Vaillant
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Une femme ligotée étendue sur une voie ferrée  hurlant de terreur à l'approche d'un train, une autre  femme les jambes écartées et, face à elle, un médecin-obstétricien tenant dans ses mains un TGV, le tout accompagné de "TGV Occitanie. Alors t'accouches ?". 

 
PUB TGV
Même s'il a annoncé le retrait de cette campagne de communication municipale, deux jours après son lancement Robert Ménard, maire de Bézier soutenu par le Front national (extrême droite) lors de son élection, en 2014, peut être satisfait de son dernier coup publicitaire. La municipalité du Sud Ouest indique que ces affiches ont « rempli leur rôle. Place, désormais, dans les sucettes de la ville (format d’affichage rectangulaire intégré dans les supports de plans de ville, ndlr), aux fêtes de Noël. » 

Objectif Buzz même "bad buzz"

Depuis plusieurs mois, il réclame l'arrivée du TGV dans sa ville. Aux grands maux, les grands moyens ? On imagine comment ce vieux renard des médias, chef d'orchestre de la provoc, doit se frotter les mains.

Le scandale lui assure une visibilité bienvenue. Et tout le monde y va de son indignation.  Le Préfet de l'Hérault, Pierre Pouëssel écrit : "Le maire de Béziers (...) se sert du corps de la femme pour faire passer des messages populistes et la met en scène en victime de violences. Alors qu'une femme sur trois est victime de violences au cours de sa vie"

Plusieurs plaintes ont été déposées et une information a été ouverte par le parquet.  Le procureur de Béziers Yvon Calvet a annoncé avoir ouvert une enquête pour recenser d'éventuelles "infractions".

Les associations féministes, on le sait, sont  extrêmement sensibles et mobilisées sur ces questions.  Sans surprise, elles ont réagit au quart de tour via Twitter, comme il est désormais d'usage en matière de communication.
Les Jeunes Insoumis(es) ont aussitôt annoncé avoir porté plainte contre une de ces affiches "pour apologie des violences faites aux femmes et du féminicide "

De son côté, Laurence Rossignol, sénatrice de l'Oise et très engagée sur la question de la violence faite aux femmes,  dénonce "la récidive" de Robert Ménard qui est, selon elle, un"récidiviste en matière de campagne de communication. Il a d'ailleurs toujours les mêmes cibles : les femmes ou les migrants. Il essaie de réveiller les vieux mauvais réflexes de la société".

Allusion directe à la précédente campagne d'affichage  initiée par la ville de Béziers où des migrants-zombies semblaient envahir la ville. Légende de l'image : "L'Etat nous les impose ! Ca y est, ils arrivent... LES MIGRANTS dans notre centre-ville !".
Gros "succès" médiatique.

Cette fois, l'ancienne ministre du droit des femmes pointe l'étrange proximité de cette affaire avec un fait divers tragique survenu dans l’Eure-et-Loire il y a quelques mois :
 

Riposte en images de Robert Ménard :
 
Suivi d'une réponse cinglante de Marlene Schiappa, secrétaire d'Etat  chargée de l'égalité entre les femmes & les hommes, à l'élu, en forme de constatation lapidaire :
 

Sur les réseaux sociaux, l'affiche-polémique a inspiré un savoureux détournement :
 

Le maire de Béziers affirme qu'il n'avait pas connaissance de ce fait-divers et que, par conséquent, son adversaire ne fait qu'instrumentaliser le drame. Cette affiche
Robert Ménard
Robert Ménard, maire de Béziers
(capture écran)
 ferait référence  selon lui à "l'univers du Western".  Il ajoute : "Les réactions outrées et paranoïaques à notre affiche en disent long sur l'ordre moral qui plombe le pays. Les mêmes auraient brûlé #Johnny en 1960, #charliehebdo en 1970 ou #Gainsbourg en 1980. Inquiétant."

La caisse de résonnance médiatique bat son plein.Et ce n'est pas la femme du maire qui sen plaindra :
 

Objectif atteint ? Réponse une fois le soufflé médiatique retombé.

Se servir de l'image des femmes pour les besoins d'une campagne publicitaire plus ou moins respectable, l'affaire est loin d'être nouvelle.

Les avatars de Babette

On se souvient (peut-être) de la crème fraîche Babette. Dans les années 2000 apparaissait le tablier d'une femme dont on ne voyait ni la tête ni les jambes mais
Babette
(capture écran)
avec ce texte provocateur : " Babette, je la lie, je la fouette et parfois elle passe à la casserole. ". Les militantes de la Coordination française pour la marche mondiale des femmes s'étaient fendues d'un communiqué pour dénonçer "la banalisation du sexisme, de la violence conjugale et du viol". Etonnement de Candia qui affirmait qu'être accusé de sexisme ne tenait pas puisque cette campagne, parait-il, avait été  "conçue par une équipe en majorité féminine".

Ce qui change aujourd'hui, c'est que le scandale semble  parfaitement recherché. Il permet, outre de crier à la censure, (et donc de se victimiser) d'occuper un espace médiatique sans avoir à débourser le moindre euro supplémentaire pour investir durablement le champ médiatique.

#NeRienLaisserPasser

Laissons au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) le dernier mot. En octobre 2017, il publiait un rapport après avoir examiné plus de 2 000 pubs diffusées juste avant 20 heures, sur 24 chaînes. Le verdict était sans ambiguïté :  "Le rôle attribué aux femmes est réducteur et, volontairement ou non, des stéréotypes de genre imprègnent encore un grand nombre de messages". Sylvie Pierre-Brossolette, qui supervisait le rapport,  écrivait alors : " Tant que l’on conserve ces clichés de représentation en objets de désir ou en consommatrices, on ne favorise pas le respect des femmes. Les messages sont parfois subliminaux, avec des poses lascives ou des airs évaporés qui imprègnent les mentalités".

Laurence Rossignol répond pour sa part à celles et ceux qui s'inquiètent du coup de pub supplémentaire offert à Robert Ménard par la polémique et le dépot de plaintes : 

"Je crois que Robert Ménard cherche les provocations. On donne un peu de médiatisation supplémentaire, mais je ne pouvais pas laisser passer. L'indignation collective a été extrêmement rapide et vive. À cette indignation collective, j'ai jugé utile d'assortir une plainte au parquet.