Fil d'Ariane
La conférence des Nations Unies sur l'océan se déroule du 9 au 13 juin à Nice, en France. Claire Nouvian, fondatrice et directrice générale de l'ONG BLOOM, est engagée depuis près de 20 ans pour la protection des océans. Un engagement qu'elle paie au prix fort, subissant régulièrement des menaces. Entretien.
Claire Nouvian, directrice générale de BLOOM sur le plateau de TV5monde, le 2 juin 2025.
"On en est à une étape cruciale de notre trajectoire humaine", constate Claire Nouvian, invitée du journal de TV5monde le 2 juin 2025, une semaine avant le coup d'envoi de la Conférence des Nations Unies sur l'Océan à Nice, en France.
Cette militante joue dans la catégorie des lanceuses d'alerte. Depuis plus de vingt ans, elle oeuvre pour défendre ce qui compose 70% de notre planète bleue, si justement baptisée.
Sa force de combat, le constat. Sur la page d'accueil du site de BlOOM, la fondation qu'elle a créée, s'affiche un compteur : "41 520 km2 de fonds marins détruits par le chalutage dans des aires marines protégées de France métropolitaine en 2025".
Née à Bordeaux en 1974, Claire Nouvian va beaucoup voyager dans son enfance, suivant ses parents, son père travaillant chez Total. Aujourd'hui, elle parle six langues. Elle entame sa carrière professionnelle comme journaliste, productrice et réalisatrice audiovisuelle.
Le déclic ? Il lui tombe dessus en 2001 "de façon complètement fortuite", explique Claire Nouvian sur le site franceinfo.fr. Lors d'un tournage en Californie, elle découvre ces créatures de l'ombre, vivant à plus de 4 000 m sous la surface de la mer. "Des créatures complètement étonnantes qui vivaient dans les grandes profondeurs", raconte-t-elle, "À partir de là, j'ai plongé au sens propre et figuré dans l'émerveillement".
Irrésistiblement attirée par ces hautes profondeurs, elle suivra l'expédition scientifique menée par le chercheur excentrique Craig Smith qui donnera le documentaire Expeditions dans les Abysses ainsi qu'un livre mais également une exposition itinérante à travers plusieurs pays.
En 2004, Claire Nouvian fonde et devient présidente de BLOOM, dont elle est aujourd'hui la directrice générale.
En 2018, elle se lance -brièvement- dans le combat politique en participant à la création de Place publique, parti politique "citoyen, écologiste et solidaire", avec Raphaël Glucksmann, aux côtés duquel elle sera candidate -non éligible- aux Européennes. Un an plus tard, s'avouant incompatible avec les "tambouilles politiques" et dénonçant diverses récupérations, elle quitte le mouvement et renonce définitivement à toute ambition politique, se consacrant uniquement à son engagement au sein de l'association BLOOM.
En 2015, elle reçoit des mains de Paul Watson de Sea Shepherd le prix Environnement des Positive Awards. Trois ans plus tard, elle est récompensée par le Prix Goldman pour l’Environnement, considéré comme le Prix Nobel de l’Écologie, saluant ainsi sa sa réussite à faire interdire le chalutage profond en Europe, en 2016. Une victoire pour laquelle elle a aussi remporté le Ocean Awards, et le Grand Prix des Sciences de la Mer Albert Ier de Monaco.
(Re)lire Son combat pour les océans lui offre le prix Goldman pour l'environnement
Endosser la casquette de lanceuse d'alerte n'est pas sans risque, et encore moins lorsqu'on est une femme. Comme le démontre cet épisode à la télévision, le 6 mai 2019 lorsqu'elle est invitée sur le plateau de CNews, pour l'émission L'heure des pros de Pascal Praud. Sur un plateau quasi-exclusivement masculin hormis la présence de Elisabeth Lévy (directrice de la rédaction du magazine conservateur Causeur, ndlr), Claire Nouvian, alors candidate aux élections européennes sur la liste Parti socialiste-Place publique, dénonce un "discours climato-sceptique" régnant sur le plateau. Le ton monte. L'animateur estime alors qu'elle donne une image "hystérique" de sa pensée. L'échange, assorti d'un montage dont sont friands les internautes de la faschosphère, fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Exemple plus récent, cet "incident" qui s'est produit lors d’une rencontre organisée par l'association au cinéma Max Linder en mai 2025 à Paris, sur le thème des destructions de la pêche industrielle.
Comme la militante le raconte sur son compte Instagram, "La salle était pleine, l’ambiance studieuse : nous avons présenté notre rapport sur les ‘Big five’ – ces majors néerlandaises de la pêche industrielle qui vident nos océans – puis nous avons projeté en avant-première l’enquête ‘Scandale de la pêche industrielle : l’omerta’ du journaliste de terrain Charles Villa. C’est au moment du dialogue avec le professeur Daniel Pauly – le plus grand spécialiste mondial de l’océan et des ressources marines – que nous avons entendu un son étrange venant du fond de la salle… Un son métallique, froid, sans doute produit avec l’IA… Une espèce de chant scandait : ‘Claire Nouvian ment, Claire Nouviant ment'". "La violence de trop", comme l'a qualifiée la militante, qui tient une chronique sur France Inter dans l'émission La Terre au carré.
Une semaine avant le coup d'envoi de l'UNOC, la militante subissait de nouvelles menaces, trouvant la porte de son domicile recouverte de peinture noire. "Je ne sais pas si tout le monde réalise la gravité de ces actes. Si des limites ne sont pas posées immédiatement, jusqu’où iront-ils la prochaine fois ?", s'indigne-t-elle sur son compte Instagram, "Ce déchaînement de violences n’est pas un hasard : les lobbies de la pêche industrielle essaient de me faire taire car la Conférence cruciale de l’ONU sur l’océan démarre dans 5 jours à Nice, en France".
TV5monde : Le sommet des Nations Unies sur l'océan débute ce lundi 9 juin à Nice. Quels seront les grands sujets qui seront abordés et ceux qui ne le seront pas ?
Claire Nouvian : Il y aura beaucoup de sujets qui vont être abordés, qui vont être très poussés par le gouvernement français, mais qui ne sont pas malheureusement les sujets qu'on devrait aborder parce qu'on est à une étape cruciale de notre trajectoire humaine. Et il semblerait que le politique a décidé de nous faire défaut.
Les sujets dont on va parler, ça va être des sujets qui ont déjà en fait leur propre agenda. Une conférence des Nations Unies, c'est un moment très particulier. Là, c'est seulement la troisième fois qu'on a une conférence des Nations Unies. C'est un moment où on a tous les chefs d'État ou des délégations gouvernementales qui viennent dans votre espace pour discuter. Donc ce n'est pas une COP parce que ce n'est pas une conférence des partis comme les COP climat où on peut avoir un texte contraignant.
C'est ce que vous regrettez justement ?
On pourrait en faire une COP, en faire une occasion extraordinaire pour parler des deux sujets qui, en fait, mènent directement à la destruction de l'océan et qui ne sont pas abordés, qui sont la pêche industrielle, première cause de destruction de l'océan au niveau historique, reconnu comme tel, et évidemment les émissions de CO2.
On n'a pas 36 façons de sauver l'océan. Il faut arrêter de le détruire ! Claire Nouvian, directrice de BLOOM
Et dans les deux cas, on n'a pas 36 façons de sauver l'océan. Il faut arrêter de le détruire ! On n'a pas 36 façons de sauver le climat. Il faut arrêter de le détruire. Et dans les deux cas, ça tombe bien. On a un fléchage très direct vers les causeurs, en fait, les fauteurs de troubles, les causes directes de ce désastre. Ce sont les pêches industrielles pour la destruction de tout ce qui est vivant, de tous ces habitats aussi. C'était des forêts sous-marines sous l'eau pendant... Il faut bien se représenter ça. Et avec des méthodes de pêche destructrices comme le chalutage, on a détruit tous ces écosystèmes.
Le chercheur Daniel Pauly l'a dit, dans l'océan, la catastrophe a déjà eu lieu. Donc quand une catastrophe a déjà eu lieu, normalement, on a des chefs d'État responsables qui font en sorte de mettre fin à la destruction, à la cause de la catastrophe. Et de l'autre côté, on a des émissions de CO2 qui continuent à atteindre des records d'émissions qui nous mettent sur une trajectoire d'autodestruction. Et ce qui est fou, c'est qu'en face de ça, en face de ces constats et des cris d'alarme, de désespoir de la communauté scientifique, on n'a pas le niveau de responsabilité politique.
Et quel rôle, justement, jouent les ONG comme BLOOM dans ces grandes négociations internationales ? Êtes-vous écoutée ?
Malheureusement, pas du tout. Donc on force le passage avec les citoyens, avec quelques médias qui continuent à parler des sujets qui fâchent, que sont donc la destruction du climat et la destruction des conditions de vie pour nous, les humains sur Terre. Mais globalement, en fait, il faut qu'on soit très persévérant, très répétitif. C'est très lassant.
Aujourd'hui, on n'a quasiment rien qui a avancé. Donc les choses se portent plutôt mal. On a des aires marines protégées qui ne sont pas protégées. Claire Nouvian
Ça dure des années pour en fait forcer le pouvoir politique à faire de la politique et donc de respecter sa mission de préserver l'intérêt général. Et donc on va entendre parler, par exemple, même le deep sea mining, vous savez, de l'extraction des minerais en profondeur et dans les eaux internationales. Depuis la dernière conférence des Nations unies, on a gagné parce qu'on a mis une pression infernale à Emmanuel Macron. On a gagné son soutien à un moratoire sur l'exploitation des minerais en eaux internationales. Mais qu'est-ce qu'il a fait en 3 ans ? A part répéter à l'envie que, en effet, la France ait été championne sur le deep sea mining et l'extraction des minerais ? Rien. Aujourd'hui, on n'a quasiment rien qui a avancé. Donc les choses se portent plutôt mal. On a des aires marines protégées qui ne sont pas protégées et on va faire la leçon aux autres pays du monde...
Pourtant on dit bien que les aires marines protégées seraient la solution ?
Mais vous voyez, en fait, comme on a une cause de destruction directe qui est la pêche, on a une autre solution à opposer à ça. C'est la vraie protection. Donc les chercheurs se sont tous mis d'accord au niveau international pour dire qu'il faut protéger 30% de l'océan en laissant deux tiers pour les pêcheurs artisans, pas la pêche industrielle, et un tiers pour la nature. Et ça, c'est fonctionnel. Ça permet à tout le monde de gagner sur tous les tableaux et même les pêcheurs artisans. Est-ce que c'est ce qu'on fait en France ? Non. On a un président qui va nous casser les oreilles à nous dire toute la journée qu'on protège 30%. En vérité, en France métropolitaine, on protège moins de 0,1% de nos eaux.
Qu'est-ce qui ferait selon vous que ce sommet constitue un vrai tournant ?
Si Emmanuel Macron annonce qu'il interdit les méthodes de pêche destructrices comme toutes les formes de chalutage, ces filets qui sont tirés soit dans l'eau, soit sur les fonds, dans les aires marines dites protégées. Si on avait des aires marines vraiment protégées, on serait en mesure d'avoir des zones de résilience pour la nature qui permettraient aux pêcheurs de renouveler et de régénérer leurs revenus aussi.
Si à côté de ça, on interdit aux eaux littorales, c'est-à-dire les 12 000 nautiques, ça fait environ 22 km, si on interdit aux grands bateaux industriels de plus de 25 mètres de venir pêcher sur les zones de pêche des pêcheurs artisans, ça permettrait à la fois de régénérer les écosystèmes et de répondre aux besoins des pêcheurs artisans. Et si on était un petit peu sérieux par rapport au niveau de désastre qu'est le nôtre aujourd'hui, climatiquement, on est parti sur une trajectoire d'auto-destruction, je le dis, je le redis, parce que je sais qu'il y a beaucoup de chercheurs qui ont déjà baissé les armes, vous voyez, il nous faudrait un traité de non-prolifération des énergies fossiles.
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