Fil d'Ariane
Nathalie Ille, présidente de Women For Sea (à droite)
Nathalie Ille est marin et engagée dans la protection des océans. Elle est la fondatrice de Women for Sea, une association qui vise à amplifier la voix des femmes et à les encourager à s’engager activement pour la sauvegarde des mers. C'est ce qu'elle compte défendre à l'UNOC, la Conférence des Nations Unies sur l'Océan à Nice. Rencontre.
“Moi, je monterai mes propres expéditions, et mes propres expéditions seront féminines !” À bord de son voilier comme dans ses engagements, Nathalie Ille navigue à contre-courant.
En quittant à 17 ans sa ville de cœur, Marseille, pour Paris, la jeune femme éprouve le manque de la mer. Après avoir été mannequin international, elle devient capitaine. Marin, militante, elle a fondé l’association Women for Sea, qui œuvre à rendre visibles celles qu’on entend trop peu dans les sphères maritimes et scientifiques : les femmes.
De ses premières traversées océaniques à ses expéditions féminines engagées, elle trace une voie nouvelle, celle d’un leadership au féminin, ancré dans l’écoute, la coopération et la protection du vivant. Depuis près de quinze ans, elle dirige des expéditions à la voile par et pour des femmes.
Terriennes : D’où est venue l’envie de créer Women For Sea ?
Nathalie Ille : Women for Sea se dédie à la protection du milieu marin à travers la voix des femmes. C'est-à-dire que dans l'association, on permet aux femmes de prendre du pouvoir pour protéger le milieu marin, faire rayonner leur voix, et les outiller pour démultiplier leur impact.
Je crois que dans ma vie, c'est la mer qui m'a le plus appris. Nathalie Ille
En fait, je suis d'abord tombée amoureuse de la mer. À 20 ans, j'ai fait une traversée entre les Açores et Marseille. Et pour moi, ça a été un grand révélateur. Je crois que dans ma vie, c'est la mer qui m'a le plus appris. D'abord, elle m'a appris à être humble. En fait, en mer, on s'adapte à la nature et ce n'est pas le contraire. Et ça, je trouve que c'est la plus belle leçon de vie.
Ensuite, en montant des projets, en passant mes brevets de capitaine de sans voiles, j'ai réalisé à quel point, en tant que femme, on n'a pas la même place qu'un homme.
Quand j'ai cherché du travail, je voulais déjà aller dans la protection du milieu marin, aller dans la compréhension du milieu marin. Donc, j'ai postulé à des expéditions scientifiques, et je me suis rendu compte qu'on me mettait à des places de chargée de communication, de cuisinière, alors que j'ai passé des brevets de marin, de capitaine et c'est ce que j'ai envie de faire. Ça m'a permis de me donner l'énergie de me dire : “moi, je monterai mes propres expéditions, et mes propres expéditions seront féminines.”
Quand on arrivait au port, au début de mes expéditions féminines, on me demandait toujours “Où est le capitaine ?” Nathalie Ille
Comment conserver l’envie de monter des projets exclusivement féminins ?
Nathalie Ille : Alors, il y a une anecdote qui m'a vraiment donné envie de continuer à monter des projets féminins. Quand on arrivait au port, au début de mes expéditions féminines, on me demandait toujours “Où est le capitaine ?” Ou alors, quand on arrivait au port, il y avait des hommes sur le quai qui nous disaient comment faire. Donc, j'ai aidé ces femmes à prendre confiance en elles. Je me souviens que, dès qu'on met un homme à bord, même si c'est un cuisinier, un caméraman, ou quelqu'un qui ne s'y connaît pas du tout, les hommes qui sont à terre vont s'adresser à lui pour parler de la navigation.
Même les femmes à bord vont directement ne plus se comporter pareil et avoir un moment de retrait en mode “Ah, ben, il doit savoir mieux que moi.” Pour moi, ça a été fondateur pour se dire qu'en fait, il y a besoin à la fois que les hommes laissent la place aux femmes, mais il y a besoin aussi que les femmes prennent leur place et prennent conscience qu'elles sont capables, qu'elles vont pouvoir le faire et qu'elles peuvent le faire.
La navigation, c'est un formidable moyen de prendre confiance en soi. Souvent, les femmes arrivent à bord en disant “Je ne vais pas y arriver. Je ne suis pas capable. Moi, je ne sais pas naviguer.” Et en fait, un équipage, c'est ça qui est merveilleux, c'est qu'à bord d'un bateau, on a besoin de tout le monde et chacun peut avoir sa place. Et j'adore ces moments-là où elles me disent “la manœuvre, je ne vais pas y arriver.” Et en fait, si je dis "Si, si, tu vas le faire, ça va bien se passer." En fait, c'est une petite victoire de se rendre compte qu'ensemble, on y est arrivé. Ça crée aussi beaucoup de fierté de réaliser collectivement les choses.
(Re)lire Vendée Globe : les femmes à la barre
Pourquoi c'est important de mettre en avant les femmes engagées aussi sur le milieu marin ?
Nathalie Ille : Aujourd'hui, elles sont très peu visibles dans les médias, dans la valorisation en général de la société. Et j'ai un directeur d'un grand média qui est lié à la mer, qui me disait : “j'en ai marre, je n'ai que des hommes qui s'expriment sur mes sujets.” Et pourtant, il y a énormément de femmes sur les sujets d'expertise dans le milieu marin, il faut juste aller les chercher.
Plus on va valoriser ces femmes, plus ça va aussi créer des modèles, des rôles modèles pour que les jeunes filles puissent se projeter en tant que chercheuses, que femmes capitaines ou autres. Nathalie Ille
Et donc, nous, on se positionne comme comme référence. On a aujourd'hui 500 adhérents, des femmes qui sont autant chercheuses que navigatrices, qu'expertes du milieu marin, de l'économie maritime ou de l'industrie maritime et qui ont une voix à porter. Plus on va valoriser ces femmes, plus ça va aussi créer des modèles, des rôles modèles pour que les jeunes filles puissent se projeter en tant que chercheuses, que femmes capitaines ou autres.
Qu'attendez-vous de l'UNOC, la Conférence des Nations Unies sur l'Océan à Nice ?
À l’UNOC, on porte un plaidoyer qui demande plus de parité dans la gouvernance des océans. Parce que, bien sûr, il faut accompagner les femmes à prendre leur place dans la gouvernance des océans. Mais il y a aussi la loi et les quotas et plein de mesures qui peuvent nous aider à la rendre plus paritaire. Nous avons besoin de toutes les énergies pour protéger la mer. On ne peut pas se passer de la voix des femmes.
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