Confinement et après Covid-19 : le risque d'excision en hausse, les associations donnent l'alerte

Après des années d'efforts et d'avancées, la lutte contre l'excision se retrouve victime "collatérale" de la pandémie du coronavirus. En Somalie, le taux d'excision a considérablement augmenté pendant le confinement. Difficultés économiques et déplacements limités ont freiné, voire stoppé, les campagnes de sensibilisation. Un regain de cette pratique est à craindre dans les mois et années à venir, selon plusieurs associations. 
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somalie fillette
En Somalie, le confinement imposé pour lutter contre le coronavirus a eu pour effet d'accroitre massivement le taux d'excision. 
©AP Photo/Farah Abdi Warsameh
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Ces mois de pandémie auront été marqués par une bonne nouvelle, mais aussi des mauvaises sur le front de la lutte contre l'excision. Début mai, le Soudan vote une loi criminalisant les mutilations génitales féminines ; voilà qui marque une réelle avancée, renforçant la loi existante, mais quasi jamais appliquée. Quelques semaines plus tard, ce sont des nouvelles de la Somalie qui viennent assombrir le tableau. L'ONG Plan International nous apprend que le taux d'excision y a très fortement augmenté pendant cette période. Le confinement imposé dans ce pays a eu de terribles conséquences pour les fillettes. Privées d'école, elles disparaissent plus facilement des radars. Autre raison, économique cette fois. Les exciseuses échangent leurs "services" contre des revenus, non négligeables en ces temps de pandémie où les ressources se font encore plus rares. 
 
Les familles recourent à cette pratique alors que leurs filles ne vont plus à l'école et restent confinées à la maison.
Sadia Allin, responsable Plan International en Somalie
"Nous observons ces dernières semaines une augmentation massive des MGF (toutes les interventions incluant l'ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme)", alerte Sadia Allin, responsable de l'ONG Plan International en Somalie. "Les familles recourent à cette pratique alors que leurs filles ne vont plus à l'école et restent confinées à la maison. En raison notamment du ralentissement économique engendré par le coronavirus, les exciseuses exercent ces activités de subsistance néfastes et font du porte à porte pour vendre leurs services", lit-on dans le rapport publié sur le site de l'ONG.

98% des femmes sont excisées en Somalie

La Somalie, où l'excision reste légale, détient le triste record du taux le plus élevé au monde avec 98% de femmes affectées. Cette pratique ancestrale fait partie des coutumes.

La crise du Covid-19 n'a évidemment pas arrangé les choses en rendant impossibles les campagnes d'éradication de cette pratique, les militant.e.s ne pouvant se déplacer à cause des restrictions imposées pendant le confinement. Difficile, donc, d'aller au contact des communautés pour expliquer encore et encore les dangers qu'impliquent ces mutilations.
 
Cette pratique constitue une violation brutale des droits et de l'intégrité physique et morale des filles et des femmes.
Sadia Allin
"Les MGF représentent les formes les plus extrêmes de violence à l'encontre des filles et des femmes", rappelle la responsable de l'ONG. Cette pratique constitue une violation brutale des droits et de l'intégrité physique et morale des filles et des femmes."

C'est une torture à vie pour les filles. La douleur continue... jusqu'à ce que la fille aille dans la tombe. L’excision a un impact sur son éducation, son ambition… sur tout",
ajoute sur Reuters cette militante, elle-même victime de mutilation et mère de deux fillettes. 
"Nous demandons au gouvernement que la réponse au Covid-19 intègre la lutte contre les MGF et contre toutes les violences de genre !", conclut-elle. 

Le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) estime que 290 000 filles subiront une forme de MGF en Somalie au cours de l'année. Et toujours selon les estimations des Nations unies, la pandémie pourrait provoquer une augmentation des MGF et affecter 2 millions de filles supplémentaires au cours de la prochaine décennie dans le monde. A ce jour, plus de 200 millions de filles et de femmes en ont subies. Une fillette est excisée toutes les dix secondes, cette pratique existe sur tous les continents et dans une multitude de pays.

Le même phénomène ailleurs ? 

Ce qui a pu être observé en Somalie nous interpelle. Qu'en est-il dans les autres pays héritiers de cette pratique à l'issue des mois de confinement et de couvre-feu ? 
Nous avons posé la question à plusieurs observatrices et expertes, engagées de longue date dans la lutte contre l'excision, Isabelle Gillette-Fay (directrice de la Fédération GAMS, Groupe pour l'abolition des mutilations sexuelles), et Marion Schaefer (co-présidente de Excision, parlons-en).
 
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A gauche, Isabelle Gillette-Faye, directrice de la Fédération GAMS, à droit Marion Schaefer, co-présidente "Excision Parlons-en". 
©Twitter/TV5monde
Comme on le voit en Somalie, faut-il craindre un regain d'excision ?

Marion Shaefer : Ce qui est certain, c'est que le confinement dans le monde entier s'est traduit par un accroissement des violences faites aux femmes. Du coup, on a commencé à s'interroger sur les liens possibles avec l'excision. Mais il est encore un peu tôt pour rassembler des informations. Au Kenya, des activistes et des journaux locaux ont confirmé qu'il y avait une augmentation de l'excision. Un journal a écrit "Les parents profitent de la restriction pour s'organiser pour la coupe". Il y aurait aussi des signes d'inquiétude en Tanzanie, au Nigeria ainsi qu'au Burkina, en Côte d'Ivoire et au Mali.
 
Comme toujours, il est très difficile d'obtenir des chiffres, parler d'excision reste tabou et, dans un contexte de crise, c'est encore plus compliqué.
Marion Schaefer (Excision parlons-en)
Mais on sait que comme toujours, il est très difficile d'obtenir des chiffres, parler d'excision reste tabou, et dans un contexte de crise, c'est encore plus compliqué. Ce qu'on peut dire, c'est que le risque est réel. Le premier indice, c'est que certaines ONG et associations risquent d'être en faillite dans les mois à venir. D'autres, en période de confinement, ont vu leur activité de terrain impossible à réaliser. Par ailleurs, la fermeture des lieux de culte et des écoles n'a pas rendu facile le travail des professionnels engagés pour faire reculer cette pratique.

Les Nations unies prévoient la réduction d'un tiers des progrès en matière d'élimination des MGF d'ici 2030. Il y a aussi tout le travail des professionnels de santé, quand les femmes survivantes d'une excision ne peuvent pas aller à l'hôpital pour se faire soigner. Sur le plan économique, la crise va pousser d'anciennes exciseuses à reprendre leurs activités pour nourrir leur famille. 

Isabelle Gillette-Faye : quand on a vu les mesures de confinement s'imposer avec la pandémie, on s'est dit, tiens, super, on va avoir moins d'excision ! Sauf que c'est totalement l'inverse qui s'est produit. Tout d'abord parce que sur le continent africain, la COVID est plus ou moins associée au palu, les populations se disent qu'elles ont l'habitude de vivre avec, donc qu'elles ne vont pas s'arrêter pour autant. Donc première surprise pour les experts que nous sommes, cela n'a pas du tout arrêté la pratique. Avant même la publication du rapport de Plan International sur la Somalie, des contacts locaux nous avaient alerté de la situation au Mali, ainsi qu'en Guinée. Ils nous racontent que les préparatifs pour les cérémonies d'excision de cet été vont bon train et ne sont pas du tout au ralentis, au contraire.

 
En Guinée et au Mali, les préparatifs pour les cérémonies d'excision de cet été vont bon train et ne sont pas du tout au ralenti, au contraire.
Isabelle Gillette-Faye (GAMS)
Nous étions tous et toutes en train de mettre au point la dernière ligne droite des programmes d'abandon de l'excision, mais si on arrête le suivi, tout tombe à l'eau et reprend comme avant. Heureusement pas dans les zones qui ont abandonné la pratique depuis 20 ou 30 ans. Là, je pense que cet abandon est inscrit au sein des nouvelles générations. Mais ailleurs, dans les régions les plus fragiles, tous les efforts sont menacés. Par exemple en Guinée, où comme on l'a fait au Burkina, on organise des cérémonies qui reproduisent les rites de passage sans pratiquer l'excision, mais si on n'a pas d'argent pour poursuivre ce qui a été mis en place, on ne sait pas si les populations ne vont pas reprendre leurs anciennes habitudes. 

L'excision médicalisée est-elle en augmentation ?

Isabelle Gillette-Faye : C'est vraiment ma plus grande inquiétude. Les Etats-Unis ont perdu leur loi fédérale interdisant l'excision, des cliniques moscovites pratiquent des tarifs dégressifs selon le nombre de fillettes que vous faites opérer, comme on peut le voir dans des publicités des journaux russes. Et il y a aussi des régions où il est très difficile d'obtenir des statistiques. Dans les anciens pays satellites de l'URSS, par exemple. Cela concerne des populations du Caucase Nord, principalement musulmanes. Comme celles que l'on connaît en Malaisie et Indonésie et qu'on commence à voir au Sri Lanka. Certains groupes religieux se radicalisent et mettent sur le même plan philosophique l'excision féminine et la circoncision masculine. En Thaïlande, on fait face à un discours banalisant qui nous dit 'ne vous inquiétez pas, on n'enlève que le prépuce qui entoure le gland du clitoris', sauf qu'en réalité, c'est bien toute une partie du gland du clitoris qui est blessé.
Aux Emirats arabes unis, on sait qu'on est sur des excisions par médicalisation, mais c'est trop récent pour pouvoir recueillir des données précises. Il faut rester prudent. Le risque principal, c'est le ralentissement de la progression de la lutte contre les MGF.

Marion Schaefer : En Egypte, 75% des excisions se font dans des centres de santé. Peut-être que pendant la pandémie, des opérations n'ont pu se faire, mais pour autant, on peut craindre un effet retard. 
 
Alors qu'on avait enregistré des avancées dans la lutte contre les mariages précoces et les MGF, avec de forts taux de diminution, on risque là de perdre tous les bénéfices acquis au cours de ces vingt dernières années. 
Isabelle Gillette-Faye (GAMS)
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L'Ile de France est la première région concernée par l'excision en France. L’essentiel des victimes d'excision sont à Paris et en Seine-Saint-Denis.
DR

Comment réagissent les diasporas ?

Marion Shaefer : On pourrait espérer qu'avec l'interdiction des voyages, les diasporas qui profitent des vacances d'été pour faire exciser les filles ne pourront pas le faire cette année... Cela dit, cela peut se reporter l'année prochaine. Tout est à prendre au conditionnel.

Isabelle Gillette-Faye : Le contexte de la COVID va avoir un impact au niveau des diasporas. Il existe actuellement un risque accru pour les fillettes bloquées en raison de la pandémie, avec une excision médicalisée ou non dans les pays occidentaux : en Europe, aux Etats-Unis ou Nouvelle-Zélande. Avec la paupérisation due au ralentissement des activités informelles, l'argent envoyé habituellement par les diasporas sont aussi en train de diminuer de façon drastique. Donc les populations locales cherchent par tous les moyens de nouvelles sources de revenus.
La pandémie de la Covid est une catastrophe, et ça devient une pandémie mondiale concernant les violences intra-familiales et sexuelles. Alors qu'on avait enregistré des avancées dans la lutte contre les mariages précoces et les MGF, avec de forts taux de diminution, on risque là de perdre tous les bénéfices acquis au cours de ces vingt dernières années.