Congé menstruel : l'Espagne dit oui, et ailleurs ?

L'idée d'un congé menstruel fait peu à peu son chemin, mais reste encore rare dans le monde. Voté en première lecture en décembre 2022 à l'Assemblée, un projet de loi a été adopté définitivement par les sénateurs espagnols ce 16 février 2023. L'Espagne devient le premier pays en Europe à mettre en place une telle mesure, qui ne fait pas forcément l'unanimité. 
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irene montero et d'autres
La ministre espagnole de l'Egalité femmes-hommes, Irene Montero (deuxième en partant de la droite) levant le poing de la victoire après avoir déposé le projet de loi consolidant le droit à l'avortement et instaurant un congé menstruel en Espagne. 
©page facebook Irene Montero
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"C'est un jour historique pour les avancées féministes", a lancé sur Twitter la ministre de l'Égalité Irene Montero, membre de la formation de gauche radicale Podemos, alliée des socialistes au sein de l'exécutif.

Adoptée par 185 voix favorables, 154 contre et 3 abstentions, cette loi permet à une femme de se mettre en arrêt de travail en cas "de règles incapacitantes" liées, par exemple, "à des pathologies comme l'endométriose". Ce qui sera reconnu comme une "situation spéciale d'incapacité temporaire" de travail. "Il s'agit d'accorder à cette situation pathologique une régulation adaptée afin d'éliminer tout biais négatif" pour les femmes "dans le monde du travail", ajoute le texte. 

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En Europe, l'Espagne, déjà très en pointe déjà sur le combat contre les violences sexuelles, devient ainsi le premier pays à mettre en place une telle mesure, destinée selon le gouvernement à briser "un tabou". 

Le texte avait été voté en première lecture à l'Assemblée nationale en décembre 2022. 

Une première en Europe

Une journée par mois, dix par an, du télétravail ou des salles de repos... Petit à petit l'idée d'un congé menstruel fait son chemin. Pourtant, il reste encore peu appliqué dans le monde et semble loin de faire l'unanimité, au sein même des organisations syndicales comme chez les militantes féministes, qui craignent qu'il stigmatise les femmes sur le marché de l'emploi. 

En 2017, un projet de loi avait été examiné par le Parlement italien, pour permettre aux femmes de bénéficier de trois jours de repos supplémentaires par mois en période de règles douloureuses. Cette mesure a finalement été abandonnée.

"Nous allons être le premier pays d'Europe à instaurer un arrêt maladie temporaire financé intégralement par l'État pour des règles douloureuses et invalidantes", s'est félicitée la ministre de l'Egalité, Irene Montero. "Les règles ne seront plus taboues (..) C'en est fini d'aller au travail avec des douleurs" ou en "se gavant de comprimés" et "de cacher notre douleur", a ajouté la ministre, l'une des chefs de file du parti de gauche radicale Podemos, partenaire du parti socialiste du Premier ministre Pedro Sánchez au sein du gouvernement de coalition.

La ministre avait indiqué plus tôt à la télévision publique que cet arrêt maladie, qui devra être signé par le médecin traitant, "n'aurait pas de durée limite", alors qu'une version préliminaire du projet diffusée la semaine dernière par les médias évoquait un congé de trois jours pouvant être porté à cinq en cas de symptômes aigus.

La mesure a toutefois suscité des réticences au sein même de l'exécutif, parmi les ministres socialistes, mais aussi au sein des syndicats. "Il faut faire attention avec ce type de décision", a mis en garde la secrétaire générale adjointe de l'UGT, l'un des deux principaux syndicats espagnols, Cristina Antoñanzas, se disant inquiète vis-à-vis d'un possible frein à l'embauche des femmes de la part d'employeurs voulant éviter ces absences. Une analyse réfutée par Commissions ouvrières, l'autre grand syndicat espagnol qui, lui, salue une "avancée législative" majeure de nature à "rendre visible et reconnaître un problème de santé jusqu'à présent ignoré".

Espagne : congé menstruel et élargissement du droit l'avortement

Le congé menstruel est l'une des mesures phares d'un projet de loi plus large prévoyant également de renforcer l'accès à l'avortement dans les hôpitaux publics, qui pratiquent moins de 15% des IVG dans le pays en raison d'une objection de conscience massive des médecins.

Il doit également permettre aux mineures d'avorter sans l’autorisation de leurs parents à 16 et 17 ans en revenant sur une obligation instaurée par un précédent gouvernement conservateur en 2015.

L'Espagne est un pays considéré comme l'un des pionniers en Europe en matière de féminisme depuis l'adoption en 2004 d'une loi sur les violences de genre. Se revendiquant féministe, le gouvernement Sánchez compte plus de femmes (14) que d'hommes (9 en incluant le Premier ministre).

Zambie, pionnière africaine

C'est le seul pays du continent africain à avoir mis en place une telle mesure : la Zambie. La loi date de 2015. Une loi qui permet aux femmes de prendre un jour de congé supplémentaire par mois, sans préavis ni certificat médical en cas de règles douloureuses. Une journée surnommée "fête des mères", mais certains employeurs se montrent encore réticents et demandent par exemple que les femmes donnent un préavis.

Selon Ruth Kanyanga Kamwi, spécialiste en communication et militante féministe, "certaines entreprises ne veulent même pas entendre parler du fait que leurs employées ont droit à la "fête des mères"", mais grâce notamment aux syndicats, les salariées sont de plus en plus nombreuses à exercer leur droit.

En Asie, un congé peu populaire

Au Japon, le droit au congé menstruel est inscrit dans la loi depuis 1947 : les entreprises ne peuvent forcer une employée à travailler si elle demande à être en "congé menstruel". Il n’y a pas de limite au nombre de jours qui peuvent être pris pour ce type de congés, mais ils ne sont généralement pas payés.

Quelque 30 % des entreprises seulement proposent de rembourser entièrement ou partiellement ces congés périodiques, selon une étude du ministère japonais du Travail, réalisée en 2020 sur 6 000 entreprises. Selon CNN, ce dispositif a connu un certain succès les années qui ont suivi son lancement. Si, en 1965, 26% de femmes y ont fait appel, aujourd’hui, très peu de femmes y ont recours (0,9% en 2017).

Japon 1957
Tokyo le 7 août 1957. La femme portant le kimono traditionnel symbolise un Japon d'avant-guerre dans lequel les femmes étaient complètement soumises à l'homme. Les femmes vêtues à l'occidentale symbolisent le Japon moderne dans lequel elles ont obtenu des droits étendus, dont le congé menstruel. 
©AP Photo/MG

En avance comme le Japon, l'Indonésie, qui, dès 1948, accorde aux femmes deux jours de congés menstruels par mois. En 2003, le pays revient en arrière et décide de soumettre cette loi au bon vouloir des employeurs, censés négocier avec leurs salariées. Il est prévu d'autoriser un ou deux jours de congés payés en début de cycle menstruel, en cas de règles douloureuses. La loi oblige seulement les employées à notifier à leurs employeurs la date de prise de ces congés. Dans la pratique, beaucoup d’entreprises n’autorisent qu’un seul jour de congé menstruel, ou aucun en choisissant d’ignorer la loi.

En Corée du Sud, depuis 1950, les employées sont autorisées à prendre un jour de congé menstruel par mois, qui n’est pas payé. Les entreprises qui ne respectent pas la loi sont passibles d’une amende de 5 millions de won, soit environ 3 750 euros. Ce congé règles était payé jusqu’en 2004, date d’une importante modification en matière de droit du travail. Selon un sondage effectué en 2018, seulement 19 % des employées déclarent utiliser le droit au congé menstruel.

Taïwan reconnaît également le droit au congé menstruel pour les employées dans la limite d’un jour par mois et d’un total de trois jours par an. Les salariées n'ont pas le droit de bénéficier de plus de jours de congé menstruels, mais ils sont dans ce cas comptabilisés comme des jours de congé maladie normaux. Ces jours de congés particuliers sont remboursés, tout comme les congés maladie, comme des demi-journées travaillées.

Pas de loi en Chine, mais des recommandations des ministères de la Santé et du Travail pour accorder un ou deux jours de congés maladie sur certificat médical aux femmes souffrant de règles très douloureuses.

France : débat sur la gestion de la douleur

En France, comme au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, quelques entreprises accordent un congé menstruel à leurs salariées, mais il n'est pas inscrit dans la loi.

Si on instaure ce congé menstruel, toutes les femmes vont s’arrêter à chaque fois qu’elles ont leurs règles ? Ce serait du délire.
Joëlle Belaisch Allart, présidente CNGOF, dans 20 minutes

Interrogée sur le site de 20 minutes, Joëlle Belaisch Allart, la présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) "ne comprend pas bien l’intérêt. Si une patiente souffre énormément pendant ses règles, on peut déjà faire un arrêt de travail en France. Or si on instaure ce congé menstruel, toutes les femmes vont s’arrêter à chaque fois qu’elles ont leurs règles ? Ce serait du délire."  

"Cela montre une mise en lumière des problèmes gynécologiques. Des livres, des propositions de loi, des start-ups parlent de règles, de fausses couches, d’infertilité… Toutes ces initiatives visent à faire changer les attitudes. Le décliner en loi, ça demande du temps. On part de tellement loin…", se montre plus enthousiaste, Virginie Rio, présidente du  collectif Bamp, qui accompagne les couples infertiles.

Beaucoup de femmes voient dans le congé menstruel un argument supplémentaire pour les exclure et, avant de l’instaurer, il faut d’abord pouvoir parler librement des règles.
Aline Bœuf, université de Genève
"Beaucoup de femmes voient dans le congé menstruel un argument supplémentaire pour les exclure et, avant de l’instaurer, il faut d’abord pouvoir parler librement des règles", estime de son côté Aline Bœuf, qui achève un master en sociologie à l’université de Genève sur l’expérience du cycle menstruel dans le monde professionnel.
 
Est-ce que ça va être vraiment une avancée et permettre de mettre sur la table la gestion de la douleur ou est-ce que c'est une autre façon de dire que finalement on ne veut pas prendre en charge la douleur ?
Justine Okolodkoff, association Règles élémentaires
"C'est vrai qu'aujourd'hui, le congé menstruel en France est à la disposition des entreprises privées qui vont le mettre en place. Le cas de l'Espagne permet de se questionner et de mettre en avant qu'il peut y avoir des douleurs de règles et qu'elles peuvent être invalidantes. Comme il n'y a pas eu d'application concrète, est-ce que ça va être vraiment une avancée et permettre de mettre sur la table la gestion de la douleur ou est-ce que c'est une autre façon de dire que finalement on ne veut pas prendre en charge la douleur ? Cela peut être une discrimination à l'embauche et tout dépend de comment c'est pris en charge, comment c'est assuré ; il y a encore beaucoup de flou pour le moment en tout cas", estime Justine Okolodkoff, responsable contenus et sensibilisation à Règles élémentaires, qui organise du 27 au 29mai le premier festival "Sang gêne" à Paris.
Selon une enquête publiée par le British Medical Journal en 2020, 68% des femmes sont favorables à la possibilité d’horaires plus flexibles. Quand à la prise de conscience de la douleur menstruelle, cela commence peut-être dès l'école : en France, une fille sur deux a déjà manqué l'école à cause de ses règles, selon une nouvelle étude menée par l'ONG Plan International France avec OpinionWay.