Congé paternité : la Suisse dit oui

Le congé paternité en Suisse, c'est fait ! Ainsi en ont décidé les électeurs et électrices, à une très large majorité. Les nouveaux papas pourront prendre deux semaines de congés payés à 80 %. Jusqu'ici, ils n'avaient droit qu'à un ou deux jours lors de la naissance de leur enfant. La France, elle, vient de le faire passer à quatre semaines. 
La votation du 27 septembre pourrait permettre à la Suisse de rattraper son retard sur le congé paternité. 
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C’était l’un des serpents de mer de la politique suisse. Près d'une trentaine de propositions de loi ont été déposées en treize ans. C'est donc au terme d’un âpre consensus que, comme le veut la tradition helvète, le peuple a pu enfin se prononcer et dire ... un grand "OUI" à 60,3%. Ce vote va donc permettre à la Suisse de rattraper un peu de son retard face à ses pairs en Europe.
 
Ce résultat montre que l'heure n'est plus à un modèle où la femme doit rester à la maison.
Philippe Gnaegi, directeur de Pro Familia

"Le congé paternité dispose enfin de plus de temps qu'un déménagement", a déclaré Adrian Wüthrich, membre du comité en faveur du congé paternité. "Ce résultat montre que la société a évolué et que l'heure n'est plus à un modèle où la femme doit rester à la maison", souligne Philippe Gnaegi, le directeur de Pro Familia, un groupement d'organisations familiales, cité par l'agence ATS.
 

Si depuis 2005, la loi accorde aux mères en activité 14 semaines de congés payés après la naissance d'un enfant, les pères eux n'avaient droit qu'à un ou deux jours s'ils sont employés. Et rien pour les indépendants.Après d'innombrables tentatives, le parlement fédéral a adopté en septembre 2019 un congé paternité de deux semaines. Il restait aux Suisses à se prononcer par référendum.

Le texte voté ce 27 septembre 2020 prévoit d'accorder aux pères un congé de deux semaines financé par les allocations pour perte de gains. Il devrait être pris dans les six mois suivant la naissance, pas forcément en bloc. Quatorze indemnités journalières sont versées pour deux semaines, soit un montant maximal de 2500 euros. Les employeurs ont l'interdiction d'écourter les vacances des pères, rappelle le gouvernement. Ils gagneraient même en attractivité. Selon lui, la charge financière est supportable et la crise du coronavirus ne change rien à la faisabilité du projet.

La Suisse, lanterne rouge

Jusqu’à présent, la Suisse était la lanterne rouge parmi les pays de l’OCDE dans le soutien aux jeunes parents. Aucune trace d’un congé paternité dans la loi, juste un jour accordé par le Code des obligations. Une misère bien à l’image d’une politique familiale encore très embryonnaire en Suisse.

"Une journée vraiment historique ?", s'interroge dans son édito, Michel Guilhaume du Temps, "Un petit, tout petit pas dans la bonne direction. Car dix jours, voire vingt jours, ne suffiront jamais pour aboutir à une nouvelle réelle répartition des rôles au sein du couple. Juste de quoi permettre au père de gagner en compétences et en sûreté dans des gestes élémentaires avec son bébé, qui risquent cependant d’être vite oubliés une fois le congé terminé."

"Seul un congé parental raisonnable – entre 20 et 30 semaines – assurera l’égalité des chances entre hommes et femmes dans leur carrière professionnelle, de même qu’il profitera à une économie en quête de main-d’œuvre qualifiée", écrit l'éditorialiste, rappellant qu'il s'agit d'une des volontés défendues lors de la forte mobilisation du 14 juin 2020, "près de 500 000 personnes – femmes et hommes, jeunes et vieux, Suisses et étrangers – sont descendues dans la rue".
 
L’amélioration de la condition féminine profite aux femmes et aux hommes.
Alexis Burger, psychiatre, écrivain
Même son de cloche du côté d'Alexis Burger, psychiatre et psychothérapeute, qui anime un blog sur le site du Temps, dans lequel il aborde la masculinité par l'angle clinique et sociologique (auteur de Le Défi Masculin aux éditions Favre). "Le congé paternité sur lequel nous allons voter est un congé paternité au rabais, mais c’est un début d’aide aux familles. Il va dans le bon sens…", écrit-il.   

"L’amélioration de la condition féminine profite aux femmes et aux hommes. Il n’y a qu’à penser, parmi de nombreux exemples, aux fantastiques bouleversements de la sexualité que l’émancipation féminine a permis", insiste Alexis Burger. Citant "l'exemple norvégien", il souligne l'apport d'un congé paternité pour les enfants, "ils ont deux parents plutôt qu’une mère à la maison et un père perdu quelque part au travail. Ils apprennent l’égalité par l’expérience vécue, c’est un apprentissage bien plus profond que par la théorie".

Congé paternité et taux de fécondité

Si la Suisse est le seul pays d’Europe qui ne propose pas de congé pour ses pères, elle se situe également en queue de peloton en termes de natalité. Avec en moyenne 1,5 naissance par femme, les Helvètes ont moins d’enfants que les Européens, et sont loin du seuil des 2,1 naissances nécessaire au renouvellement des générations.
 

L’effet du congé paternité sur le taux de fécondité diverge d’un pays à l’autre en Europe. En Suède, mais aussi en France et en Belgique, celui-ci a fait bondir les natalités.
Clémentine Rossier, professeure à l'Université de Genève
"L’effet du congé paternité sur le taux de fécondité diverge d’un pays à l’autre en Europe. En Suède, mais aussi en France et en Belgique, celui-ci a fait bondir les natalités, tandis que l’effet semble nul ailleurs, comme aux Etats-Unis. A contrario, l’Espagne a vu le nombre de ses naissances faiblir", explique Clémentine Rossier, professeure à l’Institut de démographie et de socioéconomie de l’Université de Genève. 

"La fécondité s’amplifie dans les pays qui proposent un large éventail de mesures de politique familiale permettant de concilier travail et famille (garde extra-familiale, cantines scolaires, centres aérés, congé parental, etc.). L’idée n’est pas d’offrir une seule politique mais toute une gamme pour que chacun puisse y trouver son compte, et d’ainsi évoluer vers une culture favorisant l’implication familiale des hommes", précise encore la chercheuse. 

"En Suisse, si ce congé paternité n’influera probablement pas sur la fécondité, il s’agira d’une pierre à l’édifice qui pourrait instiguer un changement d’attitudes – notamment en impliquant davantage les hommes dans les tâches éducatives et ménagères, ajoute-t-elle, Ce petit pas vers un contexte plus paritaire, et donc plus favorable à la parentalité, constituerait une étape essentielle en Suisse pour consolider une conciliation travail-famille plus équitable." 
 

Le bon mot

Au Japon, on parle de shussan kyūka (congé de l’accouchement), sans préciser qui, de la mère ou du père, en bénéficie. Au Danemark, barselsorlov est une contraction entre le mot barsel, signifiant naissance, et orlov, mot utilisé pour évoquer le congé des militaires. Les Suédois, eux, parlent de Foräldre ledigt (littéralement: congé de parent). Mais l’expression peut se décliner en Mama ledigt ou Papa ledigt selon le sexe du parent. Des termes plutôt progressistes pour des pays qui offrent de larges possibilités en matière de congé paternité ou parentaux. 

L’Autriche parle d’Elternkarenz (renoncement parental) et l’Allemagne d’Elternzeit (temps parental), des termes neutres choisis pour remplacer la formule Mutterschaftsurlaub - vacances maternelles ou congé maternel - et pallier le double sens du mot Urlaub, plus souvent associé aujourd'hui à un temps de repos.

Du côté latin de la Suisse, on parle à la fois de congé paternité, en français, et de congedo di paternita, en italien. Le 27 septembre, les Suisses alémaniques se sont exprimés, quant à eux, au sujet du Vaterschaftsurlaub. Comprenez littéralement : vacances paternelles, équivalent masculin du Mutterschaftsurlaub. Comme si s’absenter du travail pour s’occuper d’un nouveau-né pouvait ressembler à des vacances ...