Congeler ses ovules, solution miracle pour concilier carrière et maternité ?

Deux géants de la Silicon Valley, Facebook et Apple, souvent novateurs en matière de management, vont faciliter pour leurs employées la congélation d'ovules, en leur payant ce traitement qui permet aux femmes d'avoir des enfants plus tard. L'information révélée par NBC News n'en finit pas de susciter des commentaires. Nouvelle potion magique pour les femmes ou illusion d'optique ?
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Congeler ses ovules, solution miracle pour concilier carrière et maternité ?
Un technicien ouvre une urne d'ovocytes congelés - Amsterdam, 2011 - Van Lieshout/Agence France-Presse
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C'est ce qu'on appelle le féminisme Web 2.0. Et il est loin de faire l'unanimité. Deux entreprises de pointe du secteur de la cybernétique, deux géants de la Silicon Valley, Facebook et Apple proposent déjà ou proposeront bientôt à leurs employées de prendre charge la congélation de leur ovocytes qu'on appelle communément oeufs outre-Atlantique, afin de leur permettre d'enfanter plus tard, quand la fameuse horloge biologique aura sonné l'alarme de la perte de fertilité. Facebook aurait commencé au début de cette année 2014, Apple entrera dans la danse aux premiers jours de 2015. Les deux sociétés qui ne commentent pas pour l'heure l'information donnée par NBC News ont été pointées du doigt pour leur déséquilibre sexuel parmi leurs employés : deux hommes pour une femme.

La directrice des opérations de Facebook, l'américaine
Sheryl Sandberg n'est pas pour rien dans cette "aventure" qui oppose déjà les féministes entre elles. En 2013, elle avait publié un livre qui avait fait couler beaucoup d'encre, "Lean In" ("Bougez-vous"), présenté comme un manifeste féministe moderne dans lequel elle exhortait les femmes à "se bouger" pour réussir le grand écart entre vie professionnelle et familiale. Time Magazine avait offert sa Une à la conquérante, tandis que quelques mois plus tard Bloomberg BusinessWeek consacrait la sienne à celles "qui congèlent leurs ovules pour leur carrière. Ce qui pourrait laisser entendre que cette possibilité relèverait plutôt du business et du pouvoir que de l'égalité femmes/hommes au travail…

Congeler ses ovules, solution miracle pour concilier carrière et maternité ?
A gauche la Une du Time consacrée à Sheryl Sandberg, directrice générale de Facebook et à droite celle de BusinessWeek sur les femmes qui congèlent leurs ovules pour mener leur carrière
"Wonderwomen" exclusivement

Loin de toute considération morale, il n'est pas outrancier de dire que cette nouvelle opportunité s'adresse à des femmes éduquées, aisées et heureuses dans leur emploi. Ce qui ne constitue pas forcément la majorité du monde. On imagine mal une ouvrière des usines textiles de Dacca au Bangladesh y avoir recours… C'est ce que montre l'enquête bienveillante à cette méthode d'avancement inédite "Congeler vos oeufs, lancer votre carrière", réalisée par Bloomberg BusinessWeek au printemps 2014 : "Arrive un moment dans toute vie de femme sans enfant, habituellement aux environs de 35 ans, quand le monde commence à s'intéresser à son utérus. Les amis et la famille s'interrogent sur sa santé, pourquoi donc son ventre semble rester vide, et quand sera-t-il plein, et pourra-t-il l'être un jour ? Pour celles qui effectivement voudraient un enfant, cette pression peut être castrante et contre-productive. (.../...) Le Dr Suzanne LaJoie, une gynécologue de Manhattan, à l'âge de 37 ans a payé 10 000 dollars pour la cryogénisation de ses ovocytes, appelée plus communément congélation des oeufs. "Je voulais juste me sortir de la pression ambiante" dit-elle. LaJoie est le profile typique d'une 'congélateuse' d'oeufs : elle aime son boulot, elle gagne des tonnes d'argent, et elles suivent les avis de Shertl Sandberg. (.../...)"

Et si on mettait les hommes à contribution ?

La mesure prise par les entreprises de l'Internet laisse quelque peu sceptique la chroniqueuse du New York Times Claire Cain Miller : "Les compagnies des nouvelles technologies étaient déjà connues pour leurs généreux bénéfices à destination de leurs travailleuses, comme le coiffeur au bureau, le nettoyage de vêtements, ou des massages. Et voici donc un nouvel avantage offert : la congélation des oeufs. (.../...) Certains médecins pensent que cette pratique pourrait être aussi révolutionnaire que la pilule contraceptive. (.../...) Mais en déboursant ainsi pour permettre aux femmes de retarder leurs grossesses, les employeurs aident-ils à atteindre un équilibre entre carrière et maternité, ou bien aident-ils les politiques à ne pas prendre les mesures qui résoudraient le problème, comme le congé parental, les moyens de garde d'enfants, ou encore une flexibilité dans les modalités du travail".

Et on ne peut pas s'empêcher d'ajouter : et si on incitait un peu plus les pères à prendre leur part du boulot dans l'éducation des enfants et les tâches domestiques ? (Pour mémoire, en France les femmes y consacrent 4h30 par jour contre 2h30 pour les hommes.)

Congeler ses ovules, solution miracle pour concilier carrière et maternité ?
Fertilisation in vitro d'un ovule AFP
Les entreprises à l'origine du genre humain ?

En France, le Figaro adopte un point de vue plus moraliste sous le titre : "Ovocytes congelés par Apple et Facebook : bienvenue dans le meilleur des mondes ", et donne la parole au professeur Bertrand Vergely, philosophe et théologien : "La chose est présentée de manière très ambiguë. D'un côté, on peut y voir un désir, de la part des compagnies, de ne plus sanctionner les femmes à cause de leur grossesse. Jusqu'ici, une femme pouvait ne pas être engagée car on supposait qu'elle allait devoir partir, s'occuper de ses enfants et qu'on ne pourrait ainsi pas compter sur elle. Cette mesure peut donc permettre à ces femmes d'outrepasser cette discrimination: l'entreprise lutte contre son propre sexisme, et cette mesure est en cela un réel progrès. D'un autre côté, sous prétexte de respecter la femme en tant que personne, on ne respecte peut-être pas suffisamment l'être humain en tant que personne. A partir du moment où vous congelez des ovules, du sperme, et engagez un processus de procréation artificialisée, vous manipulez l'être humain. En cela, la procréation devient technique, impersonnelle, hors du corps des parents. De plus, Google, par exemple, Facebook ou Apple se servent en réalité de cette proposition pour gagner de l'argent: les femmes deviennent encore plus corvéables, déchargées du souci de la maternité, et peuvent en cela se consacrer corps et âme à l'entreprise. Le plus frappant, c'est que ce gain de productivité, caché sous une enveloppe féministe, donne une excellente image à l'entreprise. On a donc un cocktail redoutable, entre une image féministe d'une part, et une exploitation, une dépersonnalisation de la femme d'autre part. Il est également très difficile de critiquer les entreprises, protégées par leur apparent combat pour l'égalité et les progrès des femmes, sans passer pour un réactionnaire sexiste."

Chère, très "chère" Sheryl Sandberg

En revanche, sur le site américain Eggsurance, dédié à la promotion de la congélation des ovocytes (qui deviendront des ovules quand ils seront grands), on trouve de véritables odes d'amour à la pionnière Sheryl Sandberg. "Chère Sheryl, si Facebook est l'une des premières entreprises à offrir une assistance financière à la congélation des oeufs, c'est parce que vous êtes là ! C'est que vous savez ce que c'est que de finir le collège, entrer dans le monde du travail, revenir sur les bancs des écoles supérieures, construire une carrière, rencontrer un amoureux, gravir les échelons, engranger un pécule, se marier, être enceinte, et si votre réserve ovarienne le permet, avoir un autre enfant. (.../...) Alors nous vous remercions Sheryl pour votre soutien. Nous nous engageons à parler les unes aux autres de nos (im)possibilités de fertilité. Nous nous engageons à prendre en mains l'avenir de notre fécondité. Et, si cela fait sens pour nous, nous allons utiliser toutes les nouvelles technologies à notre disposition pour nous aider à atteindre tous nos rêves."

Voici encore un sujet dont on n'a pas fini d'entendre parler… et qui pourrait finir par être coté en bourse.
 

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16.10.2014Reportage de nos partenaires de France Télévision
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