Fil d'Ariane
La liberté des femmes de recourir à l'IVG face à la liberté des soignants de ne pas la pratiquer : la garantie de la clause de conscience des médecins sera l'un des points de débat ce 28 février 2024 au Sénat lors de l'examen du projet de loi prévoyant d'inscrire l'IVG dans la Constitution.
Le Sénat se prononce ce 28 février 2024 après-midi sur l'inscription de l'IVG dans la Constitution. C'est l'étape la plus périlleuse de la révision constitutionnelle promise par le président de la République, Emmanuel Macron, puisqu'elle ne peut aboutir sans un vote majoritaire des 348 parlementaires du Sénat.
Or les réticences de la droite compromettent cette majorité, risquant de bouleverser le calendrier parlementaire de la réforme. Une partie de la droite sénatoriale craint qu’une "liberté garantie" à la femme de recourir à l'IVG, consacrée dans la Constitution, ne se traduise par des jurisprudences opposables à des médecins qui ne souhaiteraient pas pratiquer l’IVG.
Les médecins disposent d'une clause de conscience générale, de nature réglementaire, qui leur permet de refuser de pratiquer un acte médical, pour des raisons professionnelles ou personnelles. "Si les relations entre un médecin et son patient sont tendues, le médecin peut l'adresser à un confrère", explique Bertrand de Rochambeau, président du syndicat national des gynécologues-obstétriciens de France (SYNGOF). Cette clause ne s'applique pas aux cas d'urgence vitale.
En outre, en légalisant l'avortement en 1975, la loi Veil a consacré un droit spécifique de ne pas le pratiquer. Cette clause de conscience spécifique s'applique aux médecins, sages-femmes, mais aussi au personnel qui participe à l'acte, tels que les infirmiers.
L'IVG est une mission obligatoire des hôpitaux publics avec maternité, tous doivent avoir du personnel qui accepte de le faire. Philippe David
Dans ces deux cas, les médecins doivent en informer immédiatement leur patient et l'orienter vers une équipe médicale aussi compétente que lui en la matière.
"Les médecins les plus âgés, qui ont connu une époque où des avortements clandestins pratiqués par des non-soignants provoquaient des séquelles pour les femmes, sont plus attachés à l'IVG que les jeunes générations qui n'ont pas connu cette époque", observe Bertrand de Rochambeau.
Tous les médecins, soit 100 000 généralistes et 100 000 spécialistes, pas seulement les gynécos, ont la possibilité de réaliser des IVG, dont 234 000 ont été pratiquées en 2022, pour 726 000 naissances. "L'IVG est une mission obligatoire des hôpitaux publics avec maternité, tous doivent avoir du personnel qui accepte de le faire. En général, certains médecins s'y consacrent plus particulièrement", explique Philippe David, président de la commission d’éthique du Collège national des gynécologues et obstétriciens (CNGOF).
Sur 24 000 sages-femmes en exercice, 500 sont habilitées à faire des IVG instrumentales "et elles sont donc volontaires", explique Isabelle Derrendinger, présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes. Pour le Planning familial, qui souhaite sa suppression, "la clause de conscience spécifique est un frein à l'IVG".
Le garde des Sceaux et le rapporteur du projet de loi ont répété que la clause de conscience n'était pas menacée par l'inscription de l'IVG dans la Constitution.
"Si la liberté d’interrompre la grossesse est garantie à la femme dans la Constitution, n'est-ce pas supérieur à la clause de conscience, reconnue par la loi Veil et le règlement ?, s'interroge toutefois Bertrand de Rochambeau. Ne faut-il pas intégrer dans la Constitution que les soignants puissent opposer leur clause de conscience ?", demande-t-il, craignant que la constitutionnalisation de l'IVG "contraigne les médecins à réaliser des actes contraires à leur conscience".
La clause de conscience spécifique est régulièrement remise en cause par la gauche et les associations féministes. Des propositions de loi, déposées par l'ex-ministre de la Famille Laurence Rossignol en 2018, puis par l'ex-députée Albane Gaillot (LREM) en 2020 ont tenté, en vain, de la supprimer.
Le sujet sera discuté au Sénat : des sénateurs, dont le chef de file LR Bruno Retailleau, ont déposé un amendement pour inscrire dans la Constitution la liberté des "professionnels de santé de ne pas être tenus" de "pratiquer" ou "concourir" à une IVG.
Beaucoup de sénateurs souhaitent que le droit reconnu aux médecins de ne pas pratiquer les IVG soit porté au même niveau juridique que la liberté d'y recourir. Agnès Canayer
Beaucoup de sénateurs sont favorables à la reconnaissance constitutionnelle de l'IVG, mais souhaitent un "équilibre" : que "le droit reconnu aux médecins de ne pas pratiquer les IVG", "en raison de leur conscience", soit porté "au même niveau juridique que la liberté d'y recourir", déclare la rapporteure du texte (rattachée LR) Agnès Canayer.
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