Nils Muiznieks, commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe, signe ce mardi 5 décembre 2017, un rapport à charge contre les atteintes de plus en plus nombreuses exercées dans l'Union européenne à l'encontre de l'un des droits les plus fondamentaux des femmes, celui de décider quand et comment avoir des enfants. Ou pas.
Lors de la présentation publique du rapport sur la "Santé et les droits reproductifs des femmes en Europe", Nils Muiznieks n'a pas cherché à louvoyer : «
La santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes sont des droits humains. Malheureusement toutefois, les femmes en Europe continuent de voir ces droits bafoués ou restreints en raison de lois, politiques et pratiques qui reflètent en définitive la persistance de stéréotypes et d’inégalités de genre. Les États doivent prendre conscience de ces violations, y remédier, et s'engager résolument à faire progresser l'égalité de genre dans ce domaine crucial de la vie ».
Droits sexuels reproductifs des Européennes entre fermeture et recul
Ce que montre
cette étude de 84 pages du Conseil de l'Europe, chargé de veiller à la bonne application des droits humains, ce n'est pas seulement le refus de certains pays européens à s'ouvrir aux droits reproductifs des femmes, mais le retour en arrière parfois violent, le "backlash" (contrecoup) comme disent les féministes américaines, mis en oeuvre par des ultraconservateurs portés au pouvoir dans des Etats de plus en plus nombreux.
Extrait du rapport Santé et droits sexuels et reproductifs des femmes en Europe :
"Bien que la quasi-totalité des États membres du Conseil de l’Europe ait légalisé l’avortement à la demande de la femme enceinte ou motivé par divers facteurs socio-économiques, un petit nombre d’États membres a toujours des lois très restrictives, qui interdisent l’avortement dans toutes les situations, à l’exception de quelques circonstances strictement définies. Ces lois entraînent toute une série de conséquences graves et préjudiciables à la santé et au bien-être des femmes. La plupart des femmes de ces pays qui décident d’interrompre leur grossesse se rendent dans un autre pays européen pour bénéficier de services d’avortement sécurisé ou se font avorter dans leur pays de manière illégale et clandestine. En outre, dans ces pays, même les femmes qui remplissent les conditions très strictes requises pour pouvoir avorter légalement se heurtent donc souvent à d’importantes difficultés d’accès. Même dans des pays européens ayant légalisé l’avortement à la demande de la femme, l’accès à des services d’avortement sécurisé reste problématique. Plusieurs États membres n’ont toujours pas adopté de cadre réglementaire et de mesures d’application qui permettent aux femmes d’avoir accès à des services d’avortement légal en pratique lorsque des professionnels de santé refusent de dispenser des soins pour des motifs de conscience. Dans un certain nombre d’États membres subsistent également des obstacles procéduraux qui entravent l’accès rapide des femmes à des services d’avortement, comme l’obligation d’obtenir l’autorisation d’un tiers."
Il y a d'abord les pays qui refusent toute avancée, comme Malte et Monaco, ou n'en concèdent que de minuscules comme l'Irlande, avant parfois de revenir sur ces petites conquêtes comme la Pologne. Il y a ensuite ceux qui tentent de rayer de leur législation le droit à l'avortement, comme l'Espagne ou la Pologne encore, et même de restreindre l'accès à la contraception. Et puis, il y a les sournois, comme l'Italie, la Turquie ou la Fédération de Russie (le Conseil de l'Europe va en effet au delà des frontières de l'Union avec 47 États membres dont la Turquie, l'Ukraine ou la Russie, par exemple) qui rognent les droits existants en les rendant si difficiles à exercer (avec des personnels de santé rétifs par exemple) que leurs citoyennes sont obligées de partir pour avorter, par exemple.
Le point commun à tous ces Etats, minuscules ou gigantesques, à l'Est, au Sud ou à l'Ouest ? Qu'ils soient majoritairement peuplés de chrétiens (catholiques ou orthodoxes) ou de musulmans, la religion y envahit la politique.
Des violences, des menaces, des propos haineux et des campagnes de dénigrement, de la part de groupes d’extrême droite ou d’extrémistes religieux, continuent de viser à la fois les défenseurs des droits de l’homme qui plaident pour l’égalité de genre ou pour les droits sexuels et reproductifs des femmes, et les professionnels de santé qui prodiguent des soins dans ce domaine
Nils Muiznieks, commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe
Le Commissaire note plusieurs manières de revenir sur ces droits que les Européennes ont acquis de haute lutte dans la deuxième moitié du 20ème siècle : rhétorique hostile, reculs législatifs, contestations en justice, menaces contre les défenseurs des droits de l’homme. Les groupes hostiles au droit à l'avortement mais aussi à l'accès à la contraception usent en général de tous les moyens. Il sont de plus en plus en plus organisés, comme les mouvements "Sens commun" ou "La manif pour tous" en France, et sont arrivés au pouvoir, en Pologne ou en Slovaquie où quoique dirigée par un social-démocrate la coalition inclut des populistes qui ont réussi à rogner l'IVG, une concession sans doute "mineure" de la gauche à ses alliés...
Sur ce sujet le constat est alarmant et donne à l'Europe un air de ce pire qu'on trouve aux Etats-Unis, du côté des croisés anti IVG : "
Dans certains contextes, des violences, des menaces, des propos haineux et des campagnes de dénigrement, notamment de la part de groupes d’extrême droite ou d’extrémistes religieux, continuent de viser à la fois les défenseurs des droits de l’homme qui plaident pour l’égalité de genre et pour la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes, et les professionnels de santé qui prodiguent des soins dans ce domaine."
Que faire ? Les cas espagnols et dans une moindre mesure polonais montrent que les gouvernements ont reculé face à de grandes mobilisations. La loi revenant sur l'IVG a été retirée à Madrid, et celle l'interdisant même en cas de risque sanitaire pour les femmes a été suspendue à Varsovie.
Les obligations qu’ont les États membres de promouvoir et de protéger la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes sont des éléments clés de leur obligation de respecter et de garantir les droits humains des femmes, et de faire progresser l’égalité de genre
Nils Muiznieks, commissaire aux droits humains du Conseil de l'Europe
Le Conseil de l'Europe ne se contente pas de dénoncer une situation dangeureuse en matière de droits humains mais avance aussi une série de pistes (dix) pour renverser la tendance. C'est que, selon le letton Nils Muiznieks, tout est lié - les atteintes aux droits reproductifs sont l'une des faces de l'augmentation des discriminations liées au genre : "
Par conséquent, les droits sexuels et reproductifs des femmes, dont le droit à la santé sexuelle et reproductive, ne sont pas distincts des droits de l’homme. Au contraire, comme les mécanismes de droits de l’homme le reconnaissent largement, ils en font intrinsèquement partie. De même, les obligations qu’ont les États membres de promouvoir et de protéger la santé et les droits sexuels et reproductifs des femmes sont des éléments clés de leur obligation de respecter et de garantir les droits humains des femmes, et de faire progresser l’égalité de genre."
En cette année 2017, celle durant laquelle les femmes ont pris la parole, une parole répétée en écho tout autour du monde pour dénoncer violences et harcèlements sexuels en tout genre, il est essentiel de rappeler haut et fort que sans les droits à l'avortement et à la contraception, l'égalité entre femmes et hommes ne pourra être atteinte.
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