Contraception masculine : un tabou, un combat pour l'égalité

La contraception, avec sa charge mentale et ses effets secondaires, est encore une affaire de femmes. Et pourtant, la contraception masculine existe. Deux journalistes se sont emparés du sujet. Ils ont rencontré des hommes qui la pratiquent et des spécialistes de la question. Ils publient Les contraceptés, un roman graphique entre introspection et enquête sur l'un des derniers bastions du patriarcat.

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Les contraceptés, couverture
Détail de la couverture du roman graphique Les contraceptés, paru chez Steinkis le 14 octobre 2021.
©capture d ecran/editions Steinkis
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Ils portent des "slips chauffants", un anneau autour des testicules, ou préfèrent une piqûre hebdomadaire : quelques milliers d'hommes en France ont fait le choix innovant de la contraception masculine, une tendance saluée dans les cercles féministes, ravis que les hommes prennent aussi leur part de cette "charge mentale".

La contraception, une affaire de bonshommes, aussi...

Hormonal ou "thermique", ce type de contraception reste peu pratiqué et se heurte encore à un "obstacle sociétal", note Guillaume Daudin, co-auteur d'un livre-enquête sur le sujet, Les Contraceptés (éditions Steinkis), en librairie le 14 octobre 2021. "Pour beaucoup d'hommes, porter atteinte à leur fertilité est encore perçu comme une remise en cause de leur virilité", observe ce journaliste de 34 ans. Il en parle d'autant plus librement qu'il a lui-même, depuis un an, basculé dans le camp "un peu underground" des hommes "contraceptés".

Lors d'un entretien à nos confrères de France Info, Guillaume Daudin explique le cercle vicieux qui fait que la contraception masculine n'est toujours pas une priorité de santé et reste même un tabou : "La plupart des hommes ne s'intéressent pas à la contraception de leur compagne dans un couple hétérosexuel. Ils n'y pensent pas..." Tant que les hommes ne s'interrogeront pas là-dessus, continue-t-il, "Les laboratoires pharmaceutiques se disent que ça ne marchera pas, qu'il n'y a pas de marché."

"Il n’existe aucune barrière scientifique qui empêche d’avoir la pilule masculine, abondait son confrère et co-auteur Stéphane Jourdain lors d'un entretien à Madame Figaro. Si on avait eu une réelle impulsion des lobbys, des politiques, des laboratoires et surtout une envie des hommes, cette pilule serait déjà sur le marché." Le phénomène est cependant en nette hausse depuis quelques années, révèle l'enquête de Guillaume Daudin et Stéphane Jourdain, transcrite en bande dessinée par la dessinatrice Caroline Lee et préfacée par Camille Froidevaux-Meterie.

La méthode thermique : comment ça marche ?

"Il y a une vraie demande. Principalement d'hommes qui disent vouloir partager la charge contraceptive", confirme Maxime Labrit, qui en deux ans a fabriqué et commercialisé, depuis chez lui près de Bordeaux, quelque 10 000 anneaux en silicone à placer autour des bourses et de la base du pénis. 

Porté toute la journée, mais pas la nuit, l'anneau entraîne une remontée des testicules hors du scrotum. Habituellement 2 à 4 degrés plus froides que le reste du corps, les glandes sexuelles ainsi "réchauffées" ne produisent plus de spermatozoïdes. Après trois mois d'utilisation quotidienne, l'homme devient infertile, un processus réversible lorsqu'on cesse de porter l'anneau, affirme son concepteur. Cette méthode "thermique" peut également se pratiquer à l'aide d'un sous-vêtement qui remonte les testicules - et que les hommes fabriquent parfois eux-mêmes, lors d'"ateliers couture". 

anneau contraceptif homme fonctionnement
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

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Problèmes de validation

La méthode thermique est présentée comme efficace et sans effet secondaire dans une étude publiée sur le site de l'Association française d'urologie. Mais, faute d'étude à grande échelle, elle n'a pas été validée par les autorités sanitaires : puisqu'il "revendique une action contraceptive", l'anneau "est considéré comme un dispositif médical" et devrait donc "disposer d'un marquage CE, dont il ne dispose pas à ce jour", indique une porte-parole de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). L'agence précise être "en contact" avec la société fabriquant ce produit pour "l'accompagner dans ses démarches de mise en conformité".

Une réponse pertinente ne consiste pas à interdire un dispositif, mais à accompagner les évolutions d'une société.
Tribune d'associations féministes

Les promoteurs de la méthode craignent cependant une possible interdiction. Or, "une réponse pertinente ne consiste pas à interdire un dispositif, mais à accompagner les évolutions d'une société", ont fait valoir dans une tribune publiée récemment par Libération, plusieurs associations, dont le Planning familial. Elles estiment que le gouvernement devrait soutenir davantage la recherche sur ce sujet, mais aussi promouvoir la vasectomie, méthode de contraception quasi-définitive très courante aux Etats-Unis mais marginale en France. 

Volonté politique

Début septembre, le gouvernement français a annoncé la gratuité de la contraception... pour les femmes de moins de 25 ans. "C'est très bien, mais pourquoi on ne met pas des moyens supplémentaires dans la recherche sur la contraception masculine ?", s'interroge Marylie Breuil, du collectif "Nous Toutes".

C'est "l'une des prochaines étapes vers plus d'égalité entre les sexes", juge cette militante féministe. Car "actuellement, c'est la femme qui va chez le médecin, paie, prend la contraception, met une alarme sur son téléphone pour ne pas oublier. Et l'homme, lui, n'a rien à faire. Parfois il sait à peine comment ça marche".

Il n'y a pas de raison que le poids de la contraception repose toujours que sur le même membre du couple.
Olivier Véran, ministre français de la Santé

La gratuité pour les jeunes femmes était une "priorité très nette" pour le gouvernement, puisqu'"aujourd'hui le poids financier de la contraception repose avant tout sur les femmes", a répondu à l'AFP le ministre de la Santé, Olivier Véran, dans une déclaration transmise par son cabinet. "Je le vois comme une première étape", a ajouté Olivier Véran, pour qui "la question plus large de la contraception masculine doit faire son chemin dans notre société", car "il n'y a pas de raison que le poids de ces questions repose toujours que sur le même membre du couple".

Pour de nombreuses femmes, difficile toutefois d'imaginer rétrocéder complètement cette charge à leur partenaire : certaines auraient trop "peur de perdre le contrôle de leur corps", pour lequel le mouvement féministe a longtemps lutté, observe Marylie Breuil.