Elles s’appellent Miriam López, Yolanda Oquelí, ou encore Yorm Bopha. Au Mexique, au Guatemala ou au Cambodge, ces femmes, des citoyennes ordinaires, sont des symboles de la lutte contre les fléaux, qui ravagent leurs pays respectifs. L'ONG Amnesty international mène
une grande campagne internationale jusqu'au 16 décembre pour faire entendre leurs voix.
Cela se passe au Mexique, plus précisément en Basse Californie. A proximité des Etats-Unis, cet Etat fait partie de la longue liste des territoires amplement touchés par la violence liée aux narcos. Miriam López connaît cette réalité de près. Elle a été passée à la moulinette de la fabrique de coupables qu’est le Mexique.
Le 2 février 2011, elle est enlevée par deux hommes encagoulés. Au début, la jeune femme, qui a alors 30 ans, pense qu’elle est une nouvelle victime du business des séquestrations. C’est quand ses bourreaux lui enlèvent le bandeau des yeux qu’elle se rend compte que ce qui l’attend est bien pire.
Cette mère de quatre enfants se retrouve dans une caserne militaire et les hommes, qui l’ont embarquée, habillés en civil, appartiennent à l’armée. La même armée que l’ancien président Felipe Calderón avait déployée dans le Nord du pays pour endiguer la violence.
Elle est accusée de faire partie d’un réseau de trafic de drogues. Pour lui arracher une confession qu’ils n’obtiendront jamais, les militaires vont la violer et la torturer à plusieurs reprises. Miriam López maintient sans relâche qu’elle n’est pas une « mule ».
La perverse pratique de la détention préventive
Au bout d’une semaine, elle est transférée dans un centre de détention à Mexico. Elle passera 80 jours en détention préventive. C’est « l’arraigo ». Dans le cadre des enquêtes préliminaires, le parquet a la possibilité d’émettre un mandat d’arrestation de 40 jours, voire 80 quand il s’agit de crime organisé.
Faute d’aveux, Miriam Lopez est de nouveau transférée en Basse Californie à la fin de son « arraigo ». C’est seulement alors qu’elle revoit son mari qui porte plainte pour torture et fait appel à un avocat. La commission nationale des droits de l’Homme du Mexique confirme que Miriam López a bien été torturée.
Traumatisée, celle-ci ne s’exprime qu’à travers son avocate Isis Goldberg de crainte d’être retrouvée et persécutée si elle parle ouvertement. « Ce que Miriam López a fait est remarquable, raconte Maître Goldberg. Car, si les tortures, les arrestations arbitraires et les méfaits des militaires sont malheureusement légion, les plaintes ne sont pas nombreuses. Après un traumatisme comme celui qu’elle a vécu, les victimes veulent oublier et surtout se protéger vis-à-vis d’une nouvelle agression. Mais, Miriam, elle, continue à exiger que justice se fasse car les coupables n’ont pas été identifiés. Quand l’armée est visée c’est souvent l’impunité qui règne. Mais nous nous battons car elle ne veut pas que d’autres femmes subissent ce qu’elle a subit. »
Aujourd’hui, les forces armées affirment que l’affaire est close, information que la Commission mexicaine des droits de l’Homme a transmise à Maître Goldberg. « C’est très préoccupant tout simplement parce que c’est faux, tan que nous n’aurons pas trouvé les coupables et qu’il n’y aura pas eu de réparations, l’affaire ne sera pas close. »
Résister contre le pouvoir des multinationales
C’est l’histoire d’une compagnie d’exploitation minière américaine, un gouvernement qui la soutient, des travailleurs qui comptent sur ce projet pour survivre et des habitants qui craignent pour l’environnement. On en lit des comme ça tous les jours. Sauf que cette fois-ci c’est Yolanda Oquelí, leader de l’organisation, Front Nord de la zone métropolitaine qui s’est retrouvée au cœur du conflit.
Depuis mars 2012, les habitants des municipalités de San José del Golfo et San Pedro Ayampuc, dans la zone métropolitaine du sud-est du Guatemala protestent contre l’ouverture du site minier : El Tambor. Au fur et à mesure que les habitants se mobilisent, les affrontements entre eux et les mineurs se multiplient.
Si l’Etat a donné son feu vert à la compagnie Exploraciones mineras de Guatemala, une filiale de l’américaine Kappes, Cassiday & Associates, les citoyens demandent une consultation populaire. C’est ce que le droit international prévoit. Car selon, eux, cette activité minière entraînera la pollution de l’eau et des problèmes de santé graves dans la région.
L’attentat
Tout bascule le 13 juin 2012, un groupe d’hommes barre la route à Yolanda Oquelí. Ils lui tirent dessus. Elle pense que son heure est arrivée. Mais cette mère de famille survit. Une balle logée à proximité de sa colonne vertébrale est là pour lui rappeler ce qu’elle qualifie « d’attentat ». Le 10 juillet 2013 des coups de feu en l’air sont tirés à proximité de sa maison. Depuis, cette femme vit dans un état permanent d’alerte et sa santé vacille depui la première attaque et sous la pression du stress permanent.
« Ma situation est très difficile aujourd’hui, raconte-t-elle d’une voix à la fois émue et déterminée. C’est le prix que je paye pour avoir résisté à un projet qu’on nous a imposé. Malgré tout, je reste mobilisée et ma position reste la même. Mon engagement s’est même accru car j’ai survécu à ces attaques. Ce projet minier est une violation de nos droits, mais aussi de ceux des Guatémaltèques et de tous le Latino-américains. Car ce à quoi nous faisons face à San José del Golfo et San Pedro Ayampuc c’est le quotidien de tant de personnes dans la région. »
Et la situation de Yolanda Oquelí ne risque pas de s’améliorer d’aussitôt puisque aujourd’hui le gouvernement de Otto Pérez Molina veut la traduire en justice pour « incitation à la violence et répression illégale ».
« Ridicule ! », répond cette femme qui évoque une persécution politique. « Nous avons toujours tenu à mener une mobilisation pacifique. Nous ne croyons pas à la violence, nous croyons au dialogue. D’ailleurs, nous avons été reçus à plusieurs reprises par les grandes instances de l’Etat. Mais pour eux le dialogue se réduit à essayer de nous convaincre de céder au lieu de trouver un terrain d’entente pour le bien commun. Et comment parler de dialogue quand le ministre de l’Intérieur traite les défenseurs des droits de l’Homme de criminels, d’agitateurs et de manipulateurs ? », s’insurge Yolanda Oquelí, qui vit désormais sous protection.
« Malgré les difficultés, nous pouvons parler de victoire car toute activité est paralysée dans la mine El Tambor. Mais nous n’allons pas arrêter la mobilisation, jusqu’à ce que nous ayons la garantie que cette exploitation restera fermée. Malgré les risques, je ne me laisse pas paralyser par la peur car ce travail je le fais au nom de mes enfants pour qui je dois rester vivante, et au nom de tous les Guatémaltèques » .
Résister contre le pouvoir des entrepreneurs immobiliers
Une autre femme qui ne se laisse pas paralyser par la peur : Yorm Bopha au Cambodge. Elle vient d’être libérée sous caution après avoir passé un peu plus d’un an en prison. Elle avait été condamnée à trois ans. Militante pour le droit au logement de la communauté du lac Boeung Kak à Phnom Penh - la capitale du pays - elle fait barrage aux nombreuses expulsions des habitants de cette zone. Des habitants qui sont chassés pour faire place à des entrepreneurs qui construisent des logements flambants neufs. « Nous avons une pénurie de logements au Cambodge », arguent les autorités.
Vincent Trintignant et Christine Chansou la connaissent bien, ainsi que toutes ces femmes qui luttent pour garder leurs logements. Ils sont les auteurs du film Même un oiseau a besoin de son nid, qui a suivi en 2012 leur bataille, la destruction arbitraire de leurs maisons, et la brutalité policière.
Les femmes en première ligne
« Les femmes sont en première ligne parce que ce sont les premières touchées, explique Vincent Trintignant. Boeung Kak est un quartier central et touristique de Phnom Penh. Les femmes y ont des échoppes, les revenus issus de cette activité complètent le salaire de leurs compagnons qui ne gagnent pas beaucoup en tant que fonctionnaires de l’Etat. Et même s’il y a des violences, des coups de bâton, quand ce sont des femmes qui manifestent il y a un peu plus de respect vis-à-vis d’elles. Elles entraînent dans la mobilisation tous les hommes du quartier ».
Yorm Bopha a suivi l’exemple de Tep Vanny figure de proue de cette contestation pacifique. C’est elle que l’on voit dans le documentaire des deux réalisateurs. En mai 2012, cette dernière a est arrêtée aux côtés de douze autres femmes. Ayant participé à cette mobilisation, Yorm Bopha, ainsi que des membres de sa famille sont visés. Elle est accusée à son tour d’avoir fomenté des violences. Une quelconque ressemblance avec le cas de Yolanda Oquelí est pure coïncidence.
L’accusation n’a pas de preuves cohérentes, mais Yorm Bopha est tout de même condamnée à trois ans de prison. Grâce à la mobilisation nationale et internationale menée par les ONG, dont Amnesty International, Yorn Bopha est aujourd’hui libre, mais pas blanchie. Le système judiciaire local ne lâche pas l’affaire.
« Elles ont su s’organiser, se servir des armes dont elles disposent pour se faire entendre, ce qui est rare dans le pays. Grâce à leur combat pacifique, l’opposition politique s’est affirmée et le gouvernement fait quelques efforts pour répondre à leurs revendications comme rebâtir quelques demeures », raconte le cinéaste.
« Mais il est très difficile de faire des pronostiques, prévient Christine Chansou, dans ce pays la situation peut changer d’un moment à l’autre. A Phnom Penh, les efforts sont visibles car la pression médiatique dans la capitale est forte. Il ne faut pas pourtant oublier que tout le pays est touché par les expulsions arbitraires. A la campagne c’est beaucoup plus confidentiel et beaucoup plus violent car les paysans qui défendent leurs terres n’hésitent pas à contre-attaquer.»
S’il lui est interdit de manifester, Yorn Bopha ainsi que toutes les femmes du quartier ne vont pas hésiter à braver l’interdit car le combat est loin d’être fini. Les prix de l’immobilier montent en flèche dans la capitale khmer. Depuis 2007, date à laquelle leur terrain a été concédé à des promoteurs, près de 20 000 personnes ont été expulsées de force.
Campagne d'Amnesty International
Pour soutenir ces trois femmes, ainsi que les neuf autres activistes faisant partie de la campagne d’Amnesty International, rendez-vous sur le site 10 jours pour signer.