Corée du Sud : K-pop, sous les paillettes, les scandales sexuels

Habituellement, ce sont leurs nouveaux tubes qui mettent en émoi leurs millions de fans. Mais depuis quelques mois, les stars de la K-pop, ce genre musical pour jeunes ados à couettes ou en short, font la Une des médias en Corée du Sud pour des scandales sexuels en série. Plusieurs chanteurs ont dû ranger leurs paillettes au placard, pour cause d'incitation à la prostitution ou pour avoir filmé leurs ébats à l'insu de leurs partenaires.
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Le groupe Big Band lors de la présentation d'une tournée à Hong Kong en 2014, au faîte de leur gloire, à gauche, le chanteur Seungri, aujourd'hui impliqué dans un scandale sexuel et poursuivi pour incitation à la prostitution. 
©AP Photo/Kin Cheung
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Burning Sun était l’un des clubs les plus en vue de Séoul. Situé au cœur du quartier huppé de Gangnam, il accueillait des DJ réputés et tout le gratin de la K-pop – genre musical populaire lisse, composé par des groupes de jeunes chanteurs, qui séduit un public plutôt très jeune.

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Seungri, au centre, membre du célèbre groupe K-pop Big Bang, arrive à la police métropolitaine de Séoul, à Séoul, en Corée du Sud, le jeudi 14 mars 2019.
©AP Photo/Ahn Young-joon

Mais fin janvier, ce haut lieu de la nuit s’est fait prendre dans un scandale sans précédent. Tout a commencé lorsqu’un client âgé de 28 ans a relaté comment il s’était fait tabasser par le gérant du club, puis par la police, après avoir tenté d’aider une jeune femme en train de se faire agresser sexuellement à l’intérieur. Son récit a fait émerger des dizaines de témoignages de femmes, qui ont raconté avoir été droguées, puis violées dans les salles VIP de l’établissement.
 

Ceux qui connaissent le milieu de la K-pop de l'intérieur savent que l'exploitation sexuelle y est très répandue.
Patty Ahn, experte
 

Une vidéo en montre une, inconsciente, qui se fait traîner à bout de bras vers une arrière-chambre sous le regard impassible des videurs. L’un des investisseurs du club, la star coréenne Seungri, aurait participé à ces faits, en procurant des jeunes femmes à ses partenaires d’affaires. Il est désormais sous enquête pour prostitution.
Ses fans sont sous le choc. « Mais ceux qui connaissent cette industrie de l’intérieur savent que l’exploitation sexuelle y est très répandue », relève Patty Ahn, une experte de la K-Pop à l’Université de Californie à San Diego. Un proche du milieu raconte avoir vu les membres d’un groupe de K-pop féminin se faire entraîner dans un club, où se trouvaient des gros poissons de l’industrie musicale. « Chacun en a choisi une pour passer la nuit avec », se souvient-il.

« Tu l’as violée haha »: au cœur du « boys club »

Mi-mars, le scandale rebondissait à nouveau. L’investisseur et star Seungri avait fait partie d’un chat privé avec une dizaine d’autres stars de la K-pop. Ils s’échangeaient des vidéos documentant leurs exploits sexuels avec des femmes filmées à leur insu. «Je lui ai donné des somnifères avant de me la faire», dit un message. «Elle est inconsciente.» «Et alors?» «Tu l’as violée haha», dit un autre échange. Un message envoyé en 2016 laisse entendre qu’un policier aurait touché un pot-de-vin pour se taire.

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Le chanteur de K-pop Jung Joon-young arrive à la police métropolitaine de Séoul, en Corée du Sud, le jeudi 14 mars 2019. Jung a reconnu s'être filmé en secret en train d'avoir des relations sexuelles avec environ 10 femmes et de partager les images avec des amis. par une application de messagerie mobile.
©Photo AP / Ahn Young-joon

Fin mars, Jung Joon-young, considéré comme l’instigateur de cette plate-forme de discussion, se faisait arrêter. Ce chanteur et acteur de 30 ans a depuis annoncé qu’il quittait l’industrie. Seungri a lui aussi dû suspendre sa carrière, tout comme deux idoles des Coréens, Yong Jun-hyung et Choi Jong-hoon, membres respectifs des groupes Highlight et FT Island.

Des abus à la chaîne dénoncés depuis deux ans

Cette affaire survient dans un climat déjà tendu. Depuis deux ans, le pays subit une épidémie de « molkas », ces mini-caméras dissimulées dans des toilettes publiques, des vestiaires de salles de sport ou des cabines d’essayage pour filmer les femmes à leur insu. En 2018, 6800 cas ont été rapportés à la police. « En Corée du Sud, les femmes ont pris l’habitude d’inspecter chaque recoin d’un cabinet de toilettes à la recherche d’une caméra avant de se dévêtir », relate Michael Hurt, sociologue à l’Université de Séoul.

Ces vidéos illicites sont ensuite « postées en ligne sur des sites dédiés, qui les décrivent comme du porno naturel », explique Jenna Gibson, une experte de la culture coréenne de l’Université de Chicago. En regarder une coûte environ 100 wons (7 centimes d'euros). Soranet, l’une de ces plateformes, avait un million d’usagers lorsqu’elle a fermé en 2016 et avait généré 10 milliards de wons (7,7 millions d'euros) durant ses onze années d’existence.

Pourchassées et insultées sur les réseaux

Fin mars, deux hommes ont été arrêtés pour avoir installé des molkas dans les sèche-cheveux, les prises et les téléviseurs de 42 chambres d’hôtel. Quelque 8000 vidéos de femmes dénudées ou d’actes sexuels ont ensuite été mises en ligne sur un site.

Moins rémunérées que leurs collègues masculins et obligées de renoncer à leur carrière sitôt leurs enfants nés, les femmes y sont considérées comme des citoyennes de seconde zone.
Juge Jenny Gibson

Pour les femmes filmées ainsi, le calvaire ne s’arrête pas là. Leur identité est souvent révélée, puis elles sont pourchassées sur les réseaux sociaux et traitées de prostituées. Incapables de supporter ce harcèlement, certaines se sont donné la mort. « Cette femme s’est suicidée après la sortie de sa vidéo, regardez son chef-d’œuvre posthume », lit-on parfois sur les plateformes de partage.

« La Corée du Sud est une société extrêmement conservatrice et patriarcale, juge Jenny Gibson. Moins rémunérées que leurs collègues masculins et obligées de renoncer à leur carrière sitôt leurs enfants nés, les femmes y sont considérées comme des citoyennes de seconde zone. » A l’école, l’éducation sexuelle est quasi inexistante. Les hommes coréens ont l’habitude de traiter les femmes comme des objets dont ils peuvent faire ce qui leur plaît.

#MyLifeIsNotYourPorn

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©capturetwitter

« Ce pays a un gros problème de violence domestique, dit-elle. Mais la police considère en général qu’il s’agit d’une affaire privée entre les deux époux et qu’elle n’a pas à intervenir. » Sur les 5437 personnes interpellées en 2017 pour des affaires de molkas, seules 2% ont été condamnées.

Comme partout ailleurs, « les femmes hésitent à témoigner car on les accuse souvent de l’avoir cherché ou de mentir », complète Michael Hurt. Il rappelle le cas de Baek Ji-young, qui a dû s’excuser publiquement en 2000 après que son manager eut publié une vidéo de leurs ébats sexuels. La réaction du public fut d’une telle virulence qu’elle dut quitter le pays et interrompre sa carrière.
 

Mais deux événements récents ont embrasé la société coréenne. En mai 2018, une femme de 25 ans a été arrêtée pour avoir posté une photo d’un mannequin masculin posant nu pour un cours de dessin. « De nombreuses femmes y ont vu une preuve des doubles standards qui règnent en Corée du Sud: ces actes ne sont punis que lorsque la victime est un homme », analyse Jenny Gibson.
 

Au même moment, une jeune résidente de Séoul apprenait qu’un homme l’avait filmée à son insu, alors qu’elle se promenait nue dans son appartement au 22e étage d’une tour. Et que la police avait libéré le voyeur en minimisant l’affaire. Outrée, elle a créé le hashtag #MyLifeIsNotYourPorn, qui est instantanément devenu viral.
 

60 000 femmes dans la rue pour exiger le respect

S’en sont suivies plusieurs manifestations de masse, qui ont culminé par une marche ayant réuni 60 000 femmes en octobre dernier. Une série de vidéos sont également apparues montrant des femmes détruisant leur maquillage ou tranchant leur chevelure pour lutter contre les standards de beauté ultra-perfectionnistes que la société coréenne leur impose, sous l’égide du slogan «Escape the corset».

Sur Youtube, cette jeune femme, Lina Bae, se montre au naturel puis se transforme sous nos yeux grâce au maquillage, se soumettant aux injonctions de la société, et enfin se démaquille, toujours devant la caméra, pour finir à nouveau sans fard ni mascara, avec ce message qui s'inscrit à l'écran : "Je ne suis pas jolie, mais ça va".